Allègement de la norme Euro7 : lobby y es-tu ?
Selon une enquête du site VoxEurop relayée par les médias européens et en France par Libération, l'allègement de la norme Euro7, en discussion à Bruxelles aujourd'hui, est le fruit d'un long travail de lobbying de près de 7 ans. Plongée au cœur des tractations bruxelloises.
L’adoption d’une règle européenne est d’une lenteur et d’une complexité qui ferait presque passer la mise en place d’un texte de loi français pour de la législation instantanée. Et le long chemin de 7 ans suivi par la nouvelle norme Euro7 en est un bon exemple. Adoptée par la Commission (sorte de gouvernement européen), puis approuvée par le Conseil de l’Union (qui représente les États membres), elle arrive enfin devant le Parlement, représentant des citoyens européens.
Mais cette norme discutée à partir d'aujourd'hui est fortement amendée, pour ne pas dire purement et simplement réduite à sa portion congrue, puisque ne figure dans le texte, en gros, que les réductions liées à la norme Euro6 précédente auxquelles s’ajoutent les émissions liées aux pneus et aux plaquettes de freins.
L'Acea en première ligne
Comment un texte contraignant pour les constructeurs parvient-il à être édulcoré à ce point ? C'est-ce qu'une enquête menée par VoxEurop, un site d’investigation sur les affaires européennes, raconte par le menu. Une enquête relayée dans les différents pays de l’Union par les médias et en France, c’est Libération qui s’est chargée de la publier.
On y apprend ce qu’évidemment on soupçonnait déjà : la pression des lobbys sur les édiles européens. Des lobbys en ordre de bataille dès 2018 sous la houlette de l’Acea (Association des constructeurs européens d’automobiles) dirigée à l’époque par Carlos Tavares. Selon Voxeurop, tout y passe pour mettre la pression sur la Commission, et notamment sur le Néerlandais Frans Timmermans l’un de ses vice-présidents.
Toujours selon VoxEurop, des études contestables, des courriers et des mails sont envoyés à l'édile. Après Timmermans, l’Acea cible un autre personnage : la haute fonctionnaire Kerstin Jorna, directrice générale du marché intérieur et de l’industrie. Des tonnes de courriers et de rendez-vous en visio plus tard, l’acharnement commence à produire ses fruits. Euro7 s’en retrouve affaibli et la commission préconise des taux d’émissions de NOx de 20 à 30 mg /km au lieu des 10 mg souhaités au départ. L’Acea est content, mais ce n’est pas suffisant.
Alors, l’association allume le deuxième étage de sa fusée et s’attaque à Thierry Breton. Le Français, commissaire au Marché intérieur et à l’Industrie est un poids lourd à Bruxelles et il reçoit les représentants des constructeurs le 19 mai 2021 en leur demandant de présenter un « projet alternatif ». Il arrive sur le bureau du commissaire deux mois plus tard et préconise « le maintien des conditions actuelles de test des émissions et quasi-statu quo sur les rejets d’oxydes d’azote, faute de quoi l’électrification du parc automobile serait compromise ». Pas moins. En gros, si vous voulez qu’on tienne nos objectifs pour 2035, il faut nous lâcher avec Euro7.
Un déjeuner secret à Bruxelles
Ces éléments de langage seront assénés et répétés au cours d’un déjeuner, le 1er juin 2022. Et il ne se déroule pas dans le salon particulier et caché d’un restaurant bruxellois, mais au siège même de l’Acea. On y retrouve évidemment le PDG de BMW, Oliver Zipse devenu entre temps président de l'association, ainsi que Kerstin Jorna, la haute fonctionnaire chargée de l’affaire et son équipe. Étonnamment, ce rendez-vous ne figure pas à son agenda, alors que les rencontres entre les membres du personnel de la Commission et les lobbys, s’ils sont autorisés, doivent être officiellement annoncés.
La norme paraît donc bien moribonde dès cette période. Mais le coup de grâce est donné près d’un an après, au printemps 2023. Car pour bien appuyer leur demande et en finir une fois pour toutes avec le texte, les constructeurs réunis expliquent qu’en adoptant un Euro7 durci, le coût supplémentaire pour le client serait de l’ordre de 2 600 euros pour une voiture diesel. Intolérable pour huit pays membres de l’Union, dont la France, l’Italie et les nations qui disposent de marques nationales ou d’usines automobiles.
Or, le consortium scientifique et technique réuni pour mesurer l’impact de la norme avait chiffré cette augmentation à 446 euros, une somme beaucoup plus supportable pour les consommateurs. Les membres de ce consortium expliquent que les constructeurs incluent dans leur calcul le prix d'une boîte automatique, dont toutes les voitures devraient disposer pour passer la fameuse norme, même allégée, Mais selon les ingénieurs du consortium, rien n’est plus faux. Ils ne sont pas entendus et même priés de revoir leur copie.
Depuis, l’eurodéputée verte Karima Delli, ne décolère pas. « L’argument financier, c’est l’arnaque du siècle ! Le coût induit par une Euro 7 ambitieuse serait faible. ». Pour elle, « sauver la vie des gens revient moins cher que de s’offrir une option peinture ».
Évidemment, il n’est pas question ici de démontrer le bien-fondé, ou non, d’une norme Euro7 très affaiblie. Elle sera certainement approuvée, en l’état, par le Parlement européen, comme elle l’est par les constructeurs, par Thierry Breton et même par Bruno Le Maire, puisque le ministre de l’économie affirmait-il y a quelques jours « s’être battu » pour cela. Mais cette histoire, si elle est avérée, témoigne néanmoins des us et coutumes bruxelloises et relance, pour le moins, le débat sur les rapports, et les pratiques, entre le secteur privé et public.
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