L’Europe : le continent maudit de General Motors
La vente d’Opel à PSA est le dernier épisode en date des aventures de General Motors en Europe. Une histoire qui, depuis presque trente ans, se solde systématiquement par des déconvenues. Des alliances, des rachats et des incursions qui, de Fiat à Saab en passant par Chevrolet, se sont toujours soldés par des échecs. Saga d’un manque de bol.
C’est plié, signé, paraphé. Opel a changé de main ce matin et Mary Barra, la patronne de General Motors, s’en est retournée à Detroit délestée de son boulet européen. C’est la fin de l’histoire entre le vieux constructeur de là-bas et le vieux continent d’ici. Jusqu’au prochain épisode du moins, tant la série des allers-retours entre GM et l’Europe est une suite de déconvenues. Comme si, au fil des décennies, l’ex-plus grande entreprise du monde n’en finissait pas d’accumuler les râteaux. Pourtant, le débarquement européen avait bien commencé.
La catastrophe Saab
En 1929, le fabricant de Buick, Olsdsmobile, Cadillac et on en passe, s’offre l’Allemand Opel. Tout va pour le mieux, et la machine à cash est en marche, nullement freinée pendant la période nazie. L’Américain coule ainsi des jours heureux entre ses Opel Senator, Odsmobile Tornado et Cadillac Eldorado.
Et puis, en 1989, le PDG d’alors, Robert Stempel, s’est souvenu de l’Europe et de ce que l’on n’appelait pas encore le premium, mais le haut de gamme. Un truc génial qui permet de s’offrir de bonnes grosses marges. Un petit tour d’horizon, et le voilà qui jette son dévolu sur une petite marque suédoise et particulière : Saab. Le constructeur vend depuis 1978 une 900 qui cartonne et depuis 1986, une version cabriolet que les fans affectionnent. Problème : le succès n’est que d’estime et Saab perd de l’argent. Banco, GM s’offre 50 % de la maison, avant d’en avaler le restant 10 ans plus tard. Surtout l’Américain entend bien gagner rapidement de l’argent et plutôt que d’investir, de faire plancher les bureaux d’études suédois sur de nouvelles plateformes et de nouveaux moteurs, il s’en va piocher dans sa banque d’organes. Résultat : une Opel Vectra mal rebadgée devient une Saab 900 mal née. Erreur grossière qui avait déjà fait plonger le Suédois avant son rachat, avec de douteuses alliances avec Fiat.
Là où depuis, d’autres ont réussi en misant sur le long terme et en laissant les ingénieurs s’ingénier et développer en toute autonomie (le Chinois Geely propriétaire de Volvo et l’Indien Tata de Jaguar Land Rover), GM a échoué à force d’oublier de laisser du temps au temps. Le verdict tombe aux premiers frimas : lors de la crise de 2008, le tout-puissant yankee est en faillite et se débarrasse de Saab qui n’y survivra pas.
Le raté Chevrolet
Pas de quoi dégoutter General Motors de l’Europe. À peine remis sur pied, grâce à un plan de secours gouvernemental et une nationalisation en bonne et due forme, le géant de Detroit renoue avec ses démons expansionnistes avec le même manque de vista qu’avant la crise. Nullement échaudé par une alliance financière avec le groupe Fiat quelques années auparavant, soldée par un retrait catastrophique et une ardoise de 1,5 milliard de dollars, GM replonge et s’offre 7 % de PSA au bord du gouffre en 2012... Il retire ses billes un an plus tard, pour laisser la place au Chinois Dongfeng et à l’État français. Damned, encore raté.
Mais il ne sera pas dit que le vieux continent reste inaccessible à la vieille maison du Michigan. Depuis 2005, elle commercialise en Europe des autos fabriquées en Corée sous sa vieille et mythique marque Chevrolet. Une bonne idée puisqu’en 2011, six ans seulement après son introduction sur le marché, il s’en vendait 206 000 en Europe. Pas suffisant. GM, à son habitude, a besoin de cash très vite et va passer à côté d’une occasion en or d’en engranger un peu plus tard. En 2013, la firme décide d’arrêter les frais. C’en est fini pour Chevrolet par ici, histoire de ne pas faire de l’ombre à la filiale Opel qui perd de l’argent tant et plus. Et pourtant. Chevrolet avait inventé un genre : la voiture (presque) low cost, lookée et bien équipée. Une idée que Fiat avec sa Tipo et Ford avec sa Ka + ont récupéré depuis. Et plutôt que d’attendre la montée en gamme d’Opel, en train de se produire, et qui évitait que les deux marques ne se cannibalisent, GM a préféré jeter le bébé Chevrolet il y a quelque temps, et l’eau du bain Opel aujourd’hui.
Cette énième déconvenue du géant de Detroit sur le vieux continent témoigne en tout cas d’une gouvernance par l’urgence. Sauf que, lorsqu’elle perdure pendant plusieurs décennies et sous le mandat de plusieurs patrons, ce n’est pas d’un simple tâtonnement hasardeux qu’il s’agit, mais d’une stratégie à long terme. Une stratégie pour le moins curieuse.
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