Comment nous avons procédé ?
Afin de bien appréhender notre sujet, nous nous sommes tout simplement entourés d'experts : Claire Tardy, professeur émérite de mathématiques, et un ingénieur d'une grande entreprise française, habitué à ce genre de projections et d'analyses de courbes en matière d'accidentologie, qui a préféré garder l'anonymat mais avec lequel nous avons l'habitude de collaborer.
Nous leur avons demandé de nous expliquer comment estimer le nombre de morts évités sur les routes depuis 2003 (et 2002), quelles qu'en soient les raisons.
Nous les remercions tous deux chaleureusement.
Estimer ce nombre de vies épargnées depuis l'installation des radars, cela revient en fait à évaluer le nombre de vies gagnées depuis 2003 par rapport au bilan que l'on aurait dû obtenir si la tendance précédemment observée (soit jusqu'en 2003) s'était poursuivie. Attention, pour autant, cela ne veut pas dire que ce nombre obtenu provienne – en tout ou en partie – de l'installation même des radars ! Là, il ne s'agit que d'une marque temporelle, à partir de laquelle nous avons donc estimé le nombre de vies gagnées. Cette marque temporelle correspondant à l'année de mise en place des radars, en 2003, éventuellement à leur annonce, en 2002.
Il est à rappeler dans tous les cas que la tendance du nombre de morts sur les routes françaises était déjà bien à la baisse, avant cela. Et ce depuis un bon moment ! Globalement, le déclin de l'hécatombe est amorcé depuis le début des années 70. Cela fait donc belle lurette déjà – et pas seulement depuis 2003, voire 2002 – que l'on gagne des vies chaque année.
Maintenant, il s'agit de voir si cette tendance s'est accélérée après 2003, voire dès 2002, soit dès l'annonce de la mise en place du contrôle automatisé. Telle est en fait la question. Et la réponse est clairement... oui ! Selon notre enquête, ça ne fait aucun pli. Comment l'expliquer ? C'est cela qui reste compliqué. Cette embellie ne serait-elle due qu'aux seuls radars automatiques (de vitesse) ? Ce serait sans doute exagéré de l'affirmer. De là, à assurer le contraire et prétendre qu'ils n'y sont pour rien du tout, que cette amélioration n'est due qu'aux progrès techniques des voitures, à l'évolution des mentalités des conducteurs et à l'amélioration des infrastructures... cela paraît bien gonflé !
Oui, la baisse de la mortalité routière
s'est accélérée après l'arrivée des radars !
Pour estimer le nombre de vies sauvées sur une période donnée – et en l'occurrence sur la période d'après 2003 –, il ne s'agit pas d'additionner le nombre de morts gagnés chaque année par rapport à l'année précédente... La réponse n'est donc pas 7 947, comme évoqué en bas de la troisième colonne de notre tableau ci-dessous. Non, ce qu'il faut, c'est d'abord évaluer le taux annuel de l'évolution – qui est à la décroissance – constatée sur la période précédente à celle que l'on souhaite étudier, soit celle d'après la mise en place du contrôle automatisé. En clair, la question est de savoir si la tendance d'avant l'installation des radars s'était poursuivie, est-ce qu'on aurait eu – à quelque chose près, du moins – le même nombre de morts sur les routes que ce que l'on a eu à déplorer en réalité ?
-3,13%, le taux de décroissance moyen entre 1991 et 2002
Pour calculer ce taux d'évolution moyen de plusieurs évolutions successives de taux différents (t1, t2... tn), la formule employée est la suivante :
Pour ce faire, nous avons multiplié les projections et notamment pris pour base la période allant de 1991 à 2002 (compris), sur laquelle nous avons estimé que le taux moyen de décroissance s'était établi à -3,13 % chaque année. Un taux que nous avons donc reporté sur les années 2003 et suivantes, comme si l'on était resté sur ce même rythme d'évolution... Nul doute : en gardant cette cadence, il y aurait eu davantage de morts sur les routes ! De combien ? Comme indiqué dans notre tableau ci-dessous (4e colonne), on aurait dû obtenir autour de 7 415 morts en 2003 (et non 6 058), puis 7 183 en 2004 (plutôt que 5 593), et ainsi de suite jusqu'en 2013, avec 5 394 décès estimés, alors qu'il n'y en a eu « que » 3 268 en vrai, selon le dernier bilan de la Sécurité routière. Et au final, ce sont plus de 20 198 vies (5e colonne de notre tableau) qui ont ainsi pu être sauvées entre 2003 et 2013 ! Attention, l'estimation vaut tous facteurs confondus. Et pas pour les seuls radars !
L'évolution de la mortalité routière entre 1991 à 2013
Année |
Nombre de tués à 30 jours (bilan réalisé) |
Différence de tués par rapport à l'année précédente |
Nombre de tués estimé selon le taux de décroissance moyen de 1991 à 2002 (-3,13% par an) sur la période d'après 2003 |
Ecart entre le nombre réalisé de tués depuis 2003 et ce qu'il aurait pu être avec le taux de décroissance annuel de 1991 à 2002 (-3,13%) |
1991 | 10 281 | -934 | 10 281 | - |
1992 | 9 900 | -381 | 9 900 | - |
1993 | 9 568 | -332 | 9 568 | - |
1994 | 9 019 | -549 | 9 019 | - |
1995 | 8 891 | -128 | 8 891 | - |
1996 | 8 541 | -350 | 8 541 | - |
1997 | 8 444 | -97 | 8 444 | - |
1998 | 9 019 | 575 | 9019 | - |
1999 | 8 487 | -532 | 8 487 | - |
2000 | 8 170 | -317 | 8 170 | - |
2001 | 8 160 | -10 | 8 160 | - |
2002 | 7 655 | -505 | 7 655 | - |
2003 | 6 058 | -1 597 | 7 415 | -1 357 |
2004 | 5 593 | -465 | 7 183 | -1 590 |
2005 | 5 318 | -275 | 6 958 | -1 640 |
2006 | 4 709 | -609 | 6 740 | -2 031 |
2007 | 4 620 | -89 | 6 529 | -1 909 |
2008 | 4 275 | -345 | 6 324 | -2 049 |
2009 | 4 273 | -2 | 6 126 | -1 853 |
2010 | 3 992 | -281 | 5 934 | -1 942 |
2011 | 3 963 | -29 | 5 749 | -1 786 |
2012 | 3 653 | -310 | 5 568 | -1 915 |
2013 | 3 268 | -385 | 5 394 | -2 126 |
Total | 155 857 | -7 947 | 176 056 | -20 199 |
Source : nos calculs à partir des chiffres officiels de la mortalité routière (France métropolitaine) publiés par la Sécurité routière.
Entre quelque 16 700 et 26 450 vies sauvées en 10 ans
selon nos différentes projections
Qu'elles qu'en soient les raisons, on peut donc juste affirmer que le nombre de vies gagnées s'est accéléré après 2003. Cela ne fait aucun doute. Quand on compare (comme ci-dessous) la courbe du bilan routier réellement obtenu (courbe rouge) avec les courbes que l'on aurait dû obtenir si les tendances constatées entre 1991 et 2003 (courbe bleue) ou entre 1991 et 2002 (courbe verte) s'étaient poursuivies, il est évident que l'on n'aurait pas connu les mêmes niveaux de mortalité. Dans les deux cas, on aurait été bien au-dessus...
Selon les périodes étudiées, soit selon si l'on remonte à 1991, ou jusqu'à 1981, voire jusqu'aux premières années de la décroissance, soit dès le début des années 70, le nombre de vies sauvées diffère toutefois quelque peu. Il en est de même si l'on prend comme année de référence 2003 plutôt que 2002, ou l'inverse. Ainsi, selon nos projections, on passe allègrement de près de 17 000 à plus de 22 000 morts de gagnés depuis 2003, et de près de 22 000 à plus de 26 000 en partant de 2002.
Voici le détail des résultats de nos différentes hypothèses :
- Nous sommes donc arrivés à 20 199 morts économisés depuis 2003 (jusqu'en 2013), en comparant les chiffres réels avec ceux que l'on aurait dû obtenir si l'évolution constatée entre 1991 et 2002 (compris) s'était poursuivie. Et à 24 173 en calculant depuis 2002.
- En prenant pour référence l'évolution depuis 1981 (et non plus seulement 1991), on obtiendrait mieux encore, soit 22 463 vies sauvées depuis 2003 et 26 452 depuis 2002.
- Si l'on avait suivi la tendance amorcée en 1973, pendant trente ans ou presque, on estime alors qu'on se serait situé entre les deux niveaux précédemment obtenus, soit 21 111 tués gagnés depuis 2003 et 24 468 depuis 2002.
- En revanche si l'on ne remonte pas aussi loin et que l'on observe seulement les quelques années qui ont précédé 2003 (ou 2002), comme dans l'étude de Laurent Carnis et Etienne Blais qui sont partis de 1999, le bilan est bien moins favorable, avec 16 675 vies sauvées depuis 2003, et 21 974 depuis 2002. Que faut-il en déduire ? Que l'accélération de la baisse de la mortalité routière – même dans une moindre mesure – s'est amorcée avant même l'arrivée des radars ? C'est fort probable en effet.
Comment réussir à comprendre les différentes estimations concernant pour le coup le seul impact des radars à partir de là ? Comment en arriver à plus de 15 000 vies sauvées grâce aux seuls radars entre 2003 et 2010, comme dans l'étude de Laurent Carnis et Etienne Blais, alors qu'on n'en serait même pas à 12 500 sur cette même période (2003-2010), selon nos propres projections toutes raisons confondues ? Surtout, comment expliquer le bilan des plus de 36 000 morts évitées brandi ces derniers temps par nos autorités ? Faut-il en déduire que toutes les estimations publiées sur le sujet sont tout bonnement farfelues et mensongères ? Peut-être pas toutes... quand même !
La suite avec la page « La majorité des chiffres inventés ? ».
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