Virée Caradisiac - Au volant des Bugatti : quand l'automobile touche ses limites
Depuis la première Veyron jusqu’à la récente Chiron Super Sport, rouler dans une Bugatti contemporaine donne l’impression de toucher aux extrêmes limites de la technologie du moteur à explosion et du rêve d'ingénieur. Retour sur près de deux décennies au sommet de l'automobile d'exception.
Ferdinand Piech rêvait-il déjà d’une supercar surclassant celles de la concurrence en dévoilant le concept-car Audi Avus ? Présentée lors du salon de Tokyo 1991, cette sportive d’exception à la carrosserie en aluminium possédait des phares ressemblant à ceux de la future Bugatti Veyron de série et, comme cette dernière, une mécanique à l’architecture en W.
Dès la fin des années 90, ensuite, l’homme fort du groupe Volkswagen a multiplié les concept-cars partageant tous cette architecture mécanique très particulière et une approche similaire : juste après la surprenante Volkswagen W12 Syncro du salon de Tokyo 1997 et dans la foulée du rachat quasi-simultané de Bugatti, Bentley et Lamborghini en 1998, chaque nouveau concept-car présenté par l’une des nouvelles marques de grand prestige de Volkswagen ressemblait à une déclaration d’intention de Piech.
Il commençait par installer un monstrueux moteur à 18 cylindres en W sous le capot du concept Bugatti EB 118 du Mondial de Paris 1998, dessiné par Giugiaro. L’année suivante, il le gardait dans l’EB 218, une évolution de l’EB 118 dévoilée au salon de Genève 1999. À quelques mètres du stand, on trouvait un inédit W16 derrière l’habitacle de la très spectaculaire Bentley Hunaudières sur le même salon helvétique, dans une version atmosphérique à 8 litres et 630 chevaux au lieu de 6,25 litres et 555 chevaux pour le W18 des grosses Bugatti. Quelques mois plus tard, le concept Bugatti Chiron présenté au salon de Francfort 1999 abandonnait le genre de la berline pour revenir aux supercars, avec le même W18 que les EB 118 et EB 218.
Dès le salon de Tokyo cette même année 1999, le groupe Volkswagen conceptualisait pour la première fois la Bugatti Veyron. Elle reprenait alors le fantasque W18 du concept Chiron mais dans une carrosserie différente. Le 1er juin 2000, enfin, Audi dévoilait le concept Rosemeyer équipé cette fois du W16 de la Bentley Hunaudière, connecté pour la première fois à une transmission intégrale (dans une version à 710 chevaux).
Bugatti Veyron, l'élue de Ferdinand Piech
Les réflexions ont probablement fusé dans l’esprit de Ferdinand Piech pour arriver à un tel nombre de concept-cars et de variantes techniques, le grand décideur du Volkswagen n’ayant finalement arrêté sa stratégie conquérante qu’à la fin de l’année 2000, après le mondial de Paris où était exposé un concept EB16/4 Veyron à la mécanique proche de l’Audi Rosemeyer : outre le lancement en série d’une nouvelle famille de moteurs en W pour les modèles hauts de gamme de Volkswagen, Audi et Bentley, le désormais gigantesque groupe allemand allait concevoir la voiture la plus puissante et la plus rapide du monde. Cette tâche revenait finalement à Bugatti et non plus à Audi ou Bentley, avec une version améliorée du concept-car Veyron. Piech avait commandé à ses équipes en dernière minute une puissance supérieure au millier de chevaux et une vitesse de pointe dépassant les 400 km/h. À une époque où les machines les plus extrêmes du marché ne touchaient même pas les 600 chevaux, la barre paraissait bien haute.
D’autant plus que Ferdinand Piech voulait aussi que cette supercar, littéralement fantasmée par l’ingénieur autrichien jadis concepteur du moteur de la Porsche 917, soit par ailleurs capable de se montrer confortable et d’amener ses deux occupants à l’opéra en tenues de soirée ! Cinq ans après, des milliards de nuits blanches d’ingénieurs en sueurs, de nombreux changements d’équipes dirigeantes et d’abyssales rallonges budgétaires plus tard, Bugatti présentait officiellement la première Veyron de série à la presse internationale. 0 à 100 km/h en 2,6 secondes, 0 à 200 en 7,3 secondes, 0 à 300 km/h en 16,7 secondes (contre respectivement 3,65 et 9,6 secondes pour les 0 à 100 et 200 km/h à la Ferrari Enzo de 2003) et 407 km/h en vitesse de pointe.
Des débuts mouvementés
Les journalistes essayeurs évoquaient bien des accélérations d’une violence historique et ces premiers testeurs louaient le confort très surprenant de la machine, digne d’une véritable GT. Mais l’enthousiasme n’égalait pas les retours des prises en main de la Porsche Carrera GT ou de la Ferrari Enzo quelques mois plus tôt. Steve Sutcliffe, du magazine anglais Autocar, écrivait par exemple : « comme tour de force d’ingénierie, la Bugatti Veyron restera sans rivale dans les années à venir et même possiblement à jamais. Mais cela ne suffit pas à en faire automatiquement la meilleure supercar du monde. La plus impressionnante, oui, incontestablement. Mais la plus inoubliable ? Pas pour moi », affirmait-t-il. Décrite comme une froide machine d’ingénieur et pénalisée par quelques problèmes de fiabilité sur les pré-séries reportés lors des premières prises en main, le rêve technologique de Ferdinand Piech ne profitait pas d’un excellent démarrage commercial : facturée 1,64 million d’euros TTC, elle peinait à convaincre la clientèle rompue aux Ferrari et aux Porsche les plus passionnantes à piloter. Pourquoi payer aussi cher pour une auto unanimement décrite comme moins excitante à piloter qu’une Enzo V12 ou une Porsche V10 ? Le rêve de Ferdinand Piech n’était-il qu’une coûteuse chimère d’ingénieur mégalomane vouée à l'échec ?
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