Quand le mollah Omar fuyait l'assaut de l'US Air Force à bord d'une Toyota Corolla
C'était en octobre 2001. Un mois après les attentats du 11 septembre, les troupes américaines débarquaient en Afghanistan. A la recherche notamment du mollah Omar, le chef des talibans, au pouvoir à Kaboul et complice de Ben Laden. L'occasion d'un focus inattendu sur la Toyota Corolla.
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les services secrets américains mettent à prix la tête des commanditaires : Oussama Ben Laden, le fondateur de l'organisation territoriste Al-Qaïda, ainsi que ses principaux lieutenants, Khalid Cheikh Mohammed et Abou Hafs notamment, mais aussi un certain « Omar », le mollah Omar, le chef des talibans.
Ce dernier, ancien moudjahidine à l’œil poché par un éclat d’obus, avait fait partie de la résistance afghane lors de l’invasion soviétique de 1979. Onze ans plus tard, il avait fondé un mouvement de jeunes combattants et fondamentalistes religieux (les talibans) depuis son fief de Kandahar.
C'est lui qui, en 1996, pousse à l'exil le Commandant Massoud. Il entre dans Kaboul sans résistance, avec sa horde de fidèles juchés à l'arrière de gros pick-up, kalashnikov AK-47 en bandoulière. Il ne tarde pas à faire appliquer strictement la charia et à orchestrer la terreur, au sein de la capitale d'abord, puis très vite, quasiment dans toute l’Afghanistan.
C'est après avoir refusé de livrer Ben Laden, complice dont il avait « épousé » une des filles, que le mollah Omar devient définitivement une cible pour les Américains. Dès le mois d’octobre 2001, Washington, assisté de la France, du Royaume-Uni et du Canada, décide d’envahir militairement l’Afghanistan. Objectif : neutraliser Ben Laden et faire tomber d'un même élan le régime taliban.
Le mollah décampe en Corolla
A la veille du déclenchement de l’offensive occidentale, le mollah Omar est parti se mettre au vert dans sa province de Kandahar. C’est ici, où il est né vraisemblablement 40 ans plus tôt, autour de l’ancienne capitale impériale et deuxième ville du pays, que le fils de paysan d’origine pachtoune et fondateur de l’ « Emirat islamique d’Afghanistan » peaufine en urgence un axe de fuite…
Alors que les premières bombes de l’US Air Force s’abattent sur le sol afghan, c’est à bord d'une Toyota qu’Omar décide sans attendre de quitter Kandahar. Direction la province rurale de Zabul, située à environ 150 km au nord-est. Dans ce paysage légèrement plus en altitude, caractérisé à la fois par les champs d’amandiers et les moyennes montagnes, le chef taliban espère bien trouver une cache avec l’appui de ses partisans.
C’est à bord d'une Corolla break de couleur blanche que le fugitif trace la route. Ou du moins, fait la route. Sur cet axe cabossé et ultra fréquenté, qui relie Kandahar à l’ancien Zabulistan, où les accidents mortels se comptent par dizaines chaque mois, mieux vaut en effet ne pas avoir le pied trop lourd. Cela tombe bien, Omar entend bien s’accorder un sursis et surtout, ne pas se faire repérer.
Voiture « passe-partout » en Afghanistan
Pour maquiller sa cavale, il a d’ailleurs choisi la bonne voiture. En Afghanistan, depuis le début des années 90, la Corolla est curieusement une voiture tout à fait commune. Le modèle iconique de Toyota, qui est aussi la voiture la plus vendue au monde depuis son lancement en 1966, est en effet présent en nombre dans le pays à cette époque. La population, notamment les commerçants et chauffeurs de taxi, l’apprécient pour son prix abordable, sa fiabilité, sa robustesse, et pour la facilité à trouver localement des pièces de rechange.
Qu’elle soit carrossée en berline compacte ou en « station wagon », l’égérie nippone a surtout connu son apogée ici entre 2001 et 2021, période marquée par une liberté retrouvée et une paix relative, sous l'ère des présidents Karzaï puis Ghani, juste avant que les troupes américaines ne se résignent à abandonner le terrain en catastrophe... Deux décennies au cours desquelles les talibans se sont servis hélas régulièrement de ces Toyota bien aimées et autres véhicules importés populaires pour commettre des séries d'attentats à la voiture piégée.
Si nul ne sait véritablement, depuis le retour des talibans à Kaboul en août 2021, si les Corolla continuent de susciter l'enthousiasme d'hier, au sein d’un peuple de nouveau muselé et opprimé, on est certain en revanche que l’itinéraire du mollah Omar s’est manifestement bien terminé ce jour d’automne 2001. Avec son escorte, il quitta son repaire de Kandahar sans éveiller les soupçons, par-delà les routes caillouteuses et les bordures de ravins, tapi à l'arrière de ce break. Après plusieurs heures de trajet, il trouva refuge dans un village zaboulien où la voiture fut aussitôt planquée d’une façon insoupçonnable.
Le break exhumé presque intact
Pelles à la main, ses frères d'armes creusèrent en effet un immense trou, d'environ trois mètres de profondeur, pour enfouir la Corolla sous terre, enveloppée dans une bâche en plastique. Peu après, le mollah Omar fut exfiltré. Il fut néanmoins repéré et à deux doigts d'être arrêté quelques mois plus tard, en 2002, dans la région de Helmand, à quatre heures de route à l'ouest de Kandahar. Mais le mollah avait beau être borgne, il avait vu le coup venir... L' occasion pour lui d’une nouvelle fuite rocambolesque, en solo et en moto cette fois, au guidon d’une Honda.
Après, ce fut officiellement le silence radio pour le très influent « Commandeur des croyants ». Clandestinement, depuis ce sud-est afghan ou depuis le Pakistan tout proche, depuis des tunnels où il était embusqué, il mobilisait ses troupes et fomentait des attaques contre les troupes de l'OTAN stationnées dans le pays. Cela dura des années, jusqu'à sa mort mystérieuse, survenue possiblement en 2013 et révélée seulement deux ans plus tard par les autorités afghanes. Entre-temps, les Etats-Unis avaient offert 10 millions de dollars pour sa capture.
Quant à la fameuse Corolla disparue des radars, elle fut déterrée sur ordre des talibans en 2022. Quasi intacte, à l’exception de la face avant légèrement amochée, elle semblait alors vouée à rejoindre Kaboul et le musée national d’Afghanistan en tant que « monument historique »... Ce musée avait été rouvert quelques mois auparavant (ndlr : encore ouvert en 2024) par les « nouveaux maîtres » du pays devenus soudainement sensibles à la culture, ou plutôt, pas peu fiers de véhiculer leur auto-promotion nauséabonde.
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