Interdiction du thermique : quand le lobbying se met en marche après la bataille
C’est voté, validé et acté, du moins par les députés européens. Sauf qu’après le vote du 8 juin dernier, et les premières réactions des industriels, plutôt favorables, de nombreuses voix se sont insurgées, en France comme en Allemagne pour dénoncer le tout électrique à venir en 2035. Des réactions qui arrivent un peu tard. Trop tard ?
Lobbying : voilà un bien grand et vilain mot, teinté d’influence, voir de corruption. Pourtant, le fait d’éclairer un avis politique par une connaissance du monde industriel que les pouvoirs publics ont du mal à appréhender n’a rien de répréhensible, s’il ne s’en tient qu’à ça. Encore faut-il que les voix de cette industrie s’élèvent lorsqu'il est encore temps d’agir. Or que s’est-il passé dans l’affaire du siècle, du siècle automobile tout du moins ?
Depuis plusieurs années, l’industrie automobile européenne, et même mondiale, se prépare, à coups de milliards, à basculer vers le tout électrique en 2035, voir en 2030. Tout le monde s’y attelle et attend l’échéance. Alors, au lendemain du verdict du 8 juin dernier, les constructeurs européens, par le biais de l'ACEA, l'organisme qui les représente, acceptent la sentence. Sauf que quelques jours plus tard, un autre son de cloche tintinnabule aux oreilles des fonctionnaires de Bruxelles. Des voix s’élèvent pour dénoncer la future directive.
Un combat engagé lorsque la guerre est perdue
Pourquoi pas ? Certains arguments émis par les anti sont parfaitement recevables. Mais pourquoi les avancer maintenant ? Pourquoi engager le combat après la bataille ? Elle n’est certes pas totalement perdue, la directive peut encore être amendée, remaniée et adaptée par les 27 pays qui devront adopter le texte avec leurs propres élus nationaux. Mais il est fort à parier que d’ici la fin de l’année, tout ou parti de cet appel au tout électrique du 8 juin soit définitivement adopté. Par manque de réaction des professionnels en temps et en heure, bien sûr, mais aussi par manque de cohésion entre eux.
Car lorsque le texte sera définitivement adopté, on s’apercevra non seulement que le fameux lobbying de la bagnole a sacrément du plomb dans l’aile, mais qu’en plus, la filière est divisée comme jamais. Et dans l’agenda industrialo-politique de ces derniers jours, certains indices prouvent qu’il ne va peut-être pas falloir attendre plusieurs mois et le jour de l'adoption définitive pour constater la dispersion façon puzzle de la belle unité de l’industrie automobile européenne.
Mais commençons par le premier acte : dès le 9 juin, l’ACEA (l’association européenne des constructeurs européens d’automobiles) qui regroupe toutes les marques du vieux continent, approuve le texte voté à Strasbourg. Tout va bien dans le meilleur des mondes automobiles, puisque tout le monde est d'accord. Patatras, moins d'une semaine plus tard, les Français lancent l'offensive anti-Bruxelles, mais aussi anti-allemande. Carlos Tavares quitte l'ACEA et, sous des dehors très polis, dénonce les manquements de l'organisme et notamment son lobbying pour les nuls.
C'est que l'organisation européenne est aujourd'hui dirigé par un Allemand, le patron de BMW Oliver Zipse, qui a remplacé Tavares à ce poste il y a trois ans. Les vieilles rancunes franco-allemandes referaient-elles surface ? Toujours est-il qu'en parallèle du coup de sang du boss de Stellantis, Luc Chatel, président de la plateforme automobile, le syndicat professionnel français de la profession, monte lui aussi au front et fustige le texte voté à Strasbourg en évoquant "un saut dans le vide et un sabordage industriel". De son côté, Alain Prost, qui a toujours l'oreille des politiques et des patrons de l'automobile français, évoquait hier, un "tapis rouge déroulé aux Chinois".
Le vote de Strasbourg serait donc venu à bout du couple automobile franco-allemand, mais peut-être aussi des bonnes relations entre constructeurs et équipementiers. Car si les premiers, surtout en Allemagne, semblent plus ou moins accepter la bascule vers l'électrique, car tous ont déjà engouffré des dizaines de milliards dans cette transformation, certains de leurs fournisseurs risquent d'y laisser des plumes, principalement ceux qui produisent des pièces purement mécaniques, et ce dans les deux pays.
C'est donc une double fracture qu'a produite la décision de Strasbourg, celles des constructeurs entre eux, et celle des constructeurs avec leurs équipementiers. Autant dire que c'est la cohésion de la filière tout entière qui est aujourd'hui en miettes. Mais à quoi pourrait-elle bien servir si elle était toujours intacte ? À mettre en ordre de marche le fameux lobby de l'automobile ? À condition de se réveiller avant la fin du film. Pourrait-elle permettre de sauver ce qui, dans le thermique, peut encore être sauvé ? À condition de ne pas débarquer à Bruxelles pour infléchir les futurs amendements en ordre dispersé et en s'envoyant des noms d'oiseau dans les couloirs du Parlement. Le thermique semble bel et bien mort, le lobbying aussi. Une bonne chose selon certains, une mauvaise selon d'autres.
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