Carlos Tavares: "un jour, si Stellantis va mal, Leapmotor sera dans la place pour le racheter"
Passionnante interview que celle accordée cette semaine au Point par Carlos Tavares, l’ex-dirigeant du groupe Stellantis. Passionnante, car dépourvue de langue de bois. Morceaux choisis.

Tout le monde ou presque a un avis sur Carlos Tavares et son obsession du résultat, louable sur circuit mais redoutable quand on le côtoie dans le milieu professionnel. De fait, il n’est pas certain que beaucoup de gens aient écrasé une larme à la suite de son départ de Stellantis fin 2024, même si lui-même reconnaît dans l’entretien qu’il a accordé à nos confrères du Point que l’expression "psychopathe de la performance" qu’il a souvent employée pour se qualifier lui-même, ait été très heureuse: "j’ai un peu arrêté d’utiliser cette expression à la demande des syndicats et de ma femme. Cela fait un peu trop « tueur en série »." Pas faux.
Quoi qu’il en soit, l’homme revient sur son départ en assurant qu’il n’a pas été mis à la porte : "il fallait prendre une décision : soit freiner sur la production de voitures électriques comme tous les constructeurs pleurnicheurs expliquant qu’ils n’y arriveraient pas, soit profiter de leur coup de frein pour accélérer et prendre la tête de la course à l’électrique. Nous avions choisi la deuxième option via un plan stratégique validé. Pourtant certains au conseil d’administration ont voulu temporiser. Aux Etats-Unis, Stellantis avait eu un problème conjoncturel de stocks excessifs qui s’était réglé. La marge opérationnelle s’était dégradée, mais l’entreprise était rentable. Un soir de décembre, John Elkann, Président de Stellantis, m’appelle et évoque une perte de confiance envers moi. La confiance c’est réciproque. J’étais là pour exécuter un plan valide et on m’a dit « non, il faut rentrer au box. » C’est contraire à l’intérêt de mes petits-enfants car le fusible, c’est la planète. Qui se soucie aujourd’hui du réchauffement climatique ? Moi, quand il fait 46° l’été au Portugal et que des incendies ravagent 220 000 ha. J’ai donc dit à Elkann qu’il valait mieux nous séparer. L’accord a été négocié en 48 heures et mon départ a été annoncé à la fin du week-end."
"L'Europe a ouvert un boulevard aux Chinois."
Et Tavares de poursuivre sur l’électrique, en évoquant les "fautes" de Bruxelles : "la plus grosse erreur de la commission européenne a été de se venger contre l’industrie automobile européenne après le dieselgate de 2015, au lieu de ne s’en prendre qu’à Volkswagen qui avait fraudé sur les émissions de CO2 de ses moteurs. Elle est devenue dogmatique et n’a pas du tout écouté les constructeurs. La solution aurait été d’interdire la vente de moteurs thermiques par paliers, selon leur taux d’émission de CO2, et à imposer une augmentation progressive de véhicules électriques. Les ingénieurs européens auraient eu le temps de plancher sur une technologie à faible émission. Cela aurait permis à la classe moyenne de se payer des véhicules moins polluants. Au lieu de cela, on a obligé les constructeurs européens qui n’étaient pas prêts à foncer vers l’électrique et on a ouvert un boulevard aux Chinois, qui maîtrisaient la technologie. Les Européens ont dépensé 50 milliards pour rattraper leur retard, quel gâchis !"
Les constructeurs chinois sont une autre source d’inquiétude pour le Portugais, qui ne croit pas à l’efficacité des tarifs douaniers pour s’en protéger : "Les Chinois viennent assembler leurs voitures en Europe. Les fournisseurs européens exigent alors que les constructeurs chinois produisent avec des pièces européennes et ils finissent par produire aux prix européens. Qu’aurons-nous gagné ? L’automobile européenne sera devenue chinoise. Je me suis toujours demandé pourquoi le chinois Leapmotor avait accepté le deal selon lequel Stellantis prenait 21% de la société et 51% de son business en dehors de la Chine. Je n’ai qu’une seule réponse : un jour, si Stellantis va mal, il sera dans la place pour le racheter."
"L'Europe a un problème avec le capitalisme."
L’interview, passionnante, court sur 4 pages et justifie à elle seule l’achat du magazine qui sera encore en kiosque aujourd’hui et demain. Elle revient aussi sur la rémunération souvent jugée stratosphérique de Carlos Tavares, qui feint de s’étonner : "pourquoi acceptons-nous qu’un footballeur gagne 100 millions par an mais pas qu’un patron en perçoive 20 ?"
On aurait aimé malgré tout qu’il revienne sur sa chasse aux coûts effrénée, qui s’est aussi traduite par la déplorable gestion des affaires des moteurs PureTech et des airbags Takata (chez Citroën, notamment). Mais la réponse se situe aussi en partie dans le livre que Carlos Tavares publiera ce jeudi 23 octobre : "la première chose à rappeler, c’est que ce sont les actionnaires qui décident et demandent aux patrons d’être greedy (cupide !) La France en particulier, et l’Europe en général, a de toute évidence un problème avec le capitalisme, mais c’est ainsi : une entreprise a le devoir de servir ses actionnaires. Sinon ils s’en vont et il n’y a plus d’entreprise." Mais gare à ce que les clients maltraités n’en fassent pas autant.

*Un pilote dans la tempête, de Carlos Tavares, ed. Plon, 256 pages, 21,9€
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