Contrôle technique : la grande hypocrisie
Le contrôle technique des autos n’a pas réduit le nombre de tués. Celui des motos ne fera pas mieux. Et si vous espérez qu’il les rendra moins bruyantes, gardez quand même vos boules Quies à portée de main…
Les manifestations de motards n’y ont rien fait : le contrôle technique moto va entrer en vigueur entre janvier et mars prochain. Seule concession du gouvernement à la Fédération française des motards en colère, une clause de revoyure : s’il n’améliore pas l’accidentalité des motards, il sera abrogé.
Une promesse de marchand de noix : le CT moto ne sauvera pas de vies, mais ne sera pas pour autant abrogé. Car cette mesure n’a rien à voir avec la sécurité, j’y viendrai plus loin.
Revenons en 1992. Quand le contrôle technique des voitures est instauré, la fédération française des assureurs prédit que cette mesure n’aura aucun impact sur la mortalité routière. Ils rappellent alors deux chiffres : une défaillance technique n’intervient que dans 9 % des accidents et dans 90 % de ces 9 %, le pneu - usé, sous gonflé, abîmé – est en cause.
Le plus bête, c’est qu’après son adoption, les gendarmes ont peu à peu cessé d’inspecter les pneus en même temps que les papiers. Pourquoi se pencher puisque le contrôleur les a inspectés ?
Sur la sécurité routière, il faut toujours prendre au sérieux ceux qui paient les factures. De fait, la suite a donné raison aux assureurs. Jetez un œil à la courbe des accidents depuis les années quatre-vingt : l’effet a été absolument nul. Contrairement à d’autres mesures comme le port obligatoire de la ceinture, les limitations de vitesse, les baisses du taux d’alcoolémie, la vitesse en ville, les radars automatiques qui ont, à chaque fois fait dégringoler d’une marche le bilan de l’hécatombe, le CT n’a amélioré que le bilan des casseurs.
Pire, dans les années suivantes, on a assisté à une sensible augmentation du pourcentage de jeunes conducteurs parmi les victimes. Remplacer leurs 2 CV, 4L et 104 finissantes par de bien plus performantes AX, Super 5 et 205 n’était pas une excellente idée. À croire que ce n’est pas la rouille du soubassement qui tue, ni la fatigue des amortisseurs, mais bien les chevaux-vapeur.
De l’emmerdement et de la paperasse
De fait, ce contrôle périodique n’avait qu’une finalité et une seule : faire tourner l’industrie automobile en accélérant le renouvellement du parc roulant.
Et, accessoirement, générer artificiellement des emplois, ce genre de job à la mode en période de désindustrialisation, qui ne produit aucune richesse supplémentaire mais gonfle le PIB, n’améliore pas le solde commercial et apporte un faux sentiment de sécurité en même temps que de l’emmerdement et de la paperasse.
Mais il y a aussi ce que je ne peux qualifier autrement que d’hygiénisme automobile. On se doute bien que ce n’est ni au Portugal ni en Italie qu’a été inventé ce machin… Si c’est la France qui a inventé l’homologation des véhicules en 1794 avec l’agence des mines, c’est bien l’Allemagne qui s’est préoccupée la première de leur vieillissement et fut le précurseur avec son sacro-saint TÜV du CT le plus strict d’Europe.
Je parle d’hygiénisme car en Allemagne, conduire une voiture sale est mal vu, voire suspect et une voiture négligée ne peut être que dangereuse. Et, son conducteur aussi en fait… Un Français expatrié à Stuttgart m’a raconté s’être fait mal voir de ses collègues pour avoir monté sur sa superbe Mercedes des pneus hiver sur de moches et noires jantes tôles, le gross filou.
Pardon pour ce qui suit, mais le rationalisme allemand fonctionne différemment du cartésianisme français.
De l’autre côté du Rhin, il tombe sous le sens que le plancher percé d’une deuche ou le freinage un peu diagonal d’une 4L (ou soyons juste, d’une VW, Mercedes, Audi ou BMW) représentent un danger objectif en cas de crash ou d’arrêt d’urgence.
C’est parfaitement vrai et pourtant, on constate que cela ne se vérifie pas dans les faits. Car le conducteur qui voit la route défiler sous ses pieds ou dont la voiture freine de travers conduit plus prudemment, en tout cas moins vite et compense ainsi le danger. De même qu’il compensera, si on l’oblige à se payer une auto plus moderne, la sécurité supplémentaire qu’elle lui apporte en s’autorisant à conduire plus vite et moins prudemment.
Ce phénomène très contre-intuitif qui explique l’augmentation de jeunes tués dans les années 90 relève d’un phénomène au nom et aux effets barbares : l’homéostasie du risque dont découle ce que les spécialistes de la sécurité routière nomment « conduite à risque constant ». Voici pourquoi le contrôle technique n’a pas servi à grand-chose. Sauf à réduire un peu la pollution.
Pas de CT pour les motos des rodéos urbains !
Il en sera de même pour le CT moto. Et pourtant, l’enjeu est de taille : les motards et assimilés représentent un quart des tués sur la route pour 1 à 2 % des usagers et un pouillème du trafic routier. Mais l’état de leurs machines n’est qu’exceptionnellement en cause dans leurs accidents. Et quand il l’est, faut-il un contrôleur ou un gendarme pour sanctionner ces minuscules feux et clignotants garnis de loupiotes de sapin de Noël, invisibles de jour ? Ou ces rétroviseurs au format miroir de poudrier ? À l’heure où j’écris, on ne sait même pas si ces aberrations seront un motif à contre-visite.
Mais au fond, ce n’est pas la sécurité des motards qui est en jeu, ni même l’obligation de se conformer aux exigences européennes, mais leurs nuisances : bruit et pollution. Car, ce n’est pas un secret, beaucoup de motards et de scootéristes suppriment, dès l’achat, le catalyseur de leur moto accusé de réduire les performances et d’étouffer le son. Ils remplacent aussi souvent les silencieux d’origine par d’autres « réservés à la compétition ».
C’est d’ailleurs au motif de ces nuisances que des associations ont forcé le Conseil d’État à imposer le CT moto à un gouvernement pas pressé de se coltiner les défilés de motards en colère.
Hélas, le contrôle ne rendra pas les motos plus propres et plus silencieuses, sauf le jour du contrôle où le catalyseur et les pots d’origine, rangés dès l’achat dans un carton - parfois par le concessionnaire même - seront fissa remis en place de trois coups de clé de 14.
Résultat probable, de même qu’à partir de 1992 le pandore vérifiait notre vignette de CT mais plus nos pneus, les rares contrôles au sonomètre pourraient disparaître.
Comble de l’hypocrisie, cette mesure épargnera les plus nuisibles – et de loin – des deux-roues à moteur : les motos de cross qui pullulent dans certaines banlieues et s’illustrent dans les rodéos urbains. Elles ne seront pas contrôlées car non immatriculées et d’ailleurs pas immatriculables puisqu’elles sont interdites à la circulation sur la voie publique.
Étonnant, non ?
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