Inventeur de génie, bricoleur autodidacte, Louis Renault va devenir l’un des hommes les puissants du XXe siècle. Pendant quarante ans, il sera le seul maître à bord d’une entreprise atteinte de gigantisme. La crise économique des années trente, son conservatisme technique ébranleront l’empire. La Seconde Guerre mondiale emportera l’empereur de Billancourt.
Dans un restaurant de la rue du Helder, au pied de la butte Montmartre, une bande de joyeux convives n’attend plus que l’arrivée des frères Renault pour commencer le réveillon de ce Noël 1898. Soudain, couvrant les rires et les conversations, un bruit de pétarade les attire sur le seuil de l’établissement. Marcel et Louis Renault perchés sur une minuscule voiturette savourent, sans rien laisser paraître, la surprise de leurs amis.
Emporté par l’euphorie ambiante, Louis Renault fait le pari de gravir la rue Lepic, une côte pavée qui serpente avec un fort pourcentage jusqu’au pied du Sacré-Cœur. Pari gagné. En dépit de son minuscule monocylindre De Dion, la voiturette semble voler sur la pente tout en dévorant les virages avec une étonnante facilité.
Un peu plus tard dans la soirée, lorsque Louis Renault repart vers Billancourt, il a en poche douze commandes fermes et un acompte de soixante louis d’or. Poussant sa machine à près de 50 km/h le long de la Seine, il ne sent même pas l’agression du vent glacé. Fier de son triomphe, il est aussi comme soulagé par la décision qu’il vient de prendre. Il sera constructeur d’automobiles.
Un bricoleur de génie
Tout destine ce troisième et dernier fils d’un important négociant en tissus à une paisible existence bourgeoise. Tout sauf son horreur maladive de la société et des mondanités. Timide et solitaire, peu loquace et souriant rarement, il ne pense qu’à démonter et remonter tout ce qui possède un quelconque caractère mécanique.
En 1888, à l’âge de onze ans, Louis Renault éclaire déjà sa chambre à l’électricité. Un an plus tard, il se cache sous un tas de charbon du train Paris-Le Havre, pour mieux comprendre le fonctionnement des locomotives. Une aventure inoubliable. Mais le retour à Paris avec les gendarmes sera moins glorieux. Alfred Renault pique une grosse colère… pour le principe. Le petit dernier, curieux de tout, goûtant le risque autant que l’indépendance, lui ressemble trop. Conscient qu’il ne pourra rien tirer par la menace de ce cancre qui passe son temps à rêvasser sur les bancs du lycée Condorcet, il décide d’encourager sa vocation de bricoleur afin d’éviter toute nouvelle initiative intempestive.
Louis Renault transforme alors la petite remise de la villa familiale de Billancourt en atelier. Il consacre ses économies à l’achat d’outils, de machines et de moteurs, multiplie les inventions, dépose ses premiers brevets mais s’enferme un peu plus dans sa solitude. Dans la famille, on espère vaguement que le service militaire va le rendre plus sociable ou même tempérer cette passion dévorante.
Vain espoir. Louis Renault, privé d’atelier, dessine inlassablement des plans pendant tous ses moments de loisirs. Il va même inventer une transmission révolutionnaire à prise directe que l’on retrouvera bien sûr sur la voiturette de ce fameux réveillon. Pour commencer, et tant que la famille doute de la réussite, le futur constructeur, le bricoleur génial sans profession déterminée n’est que le salarié de Renault Fils, tissus en gros. Quand en février 1899 – soit deux mois après la mémorable "course de côte" de la rue Lepic – sera créée la Société Renault Frères, pour la construction et la vente de voitures automobiles, Louis Renault, cette fois encore, ne sera qu’un simple employé, modestement appointé. Même s’il est en fait le principal responsable de la nouvelle affaire, les deux gérants sont Fernand et Marcel Renault, les frères aînés de Louis, qui ont apporté chacun la moitié du capital.
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