Comment l’habitacle d’une BMW est-il dessiné ? Quel avenir pour les nouvelles interfaces high-tech ? Pourquoi les planches de bord des dernières « béhèmes » ont-elles regagné en sobriété ? Qu’annonce le concept-car Active Tourer, l’une des stars du Mondial ? Marc Girard, directeur du design intérieur de BMW décrypte son métier… et se livre sur le futur des habitacles de la marque.


A 42 ans, ce Parisien d’origine dirige le prestigieux département design intérieur de BMW depuis 2009. Entré à 22 ans chez le constructeur bavarois, le designer est diplômé de l’ENSAAMA Olivier de Serres, pépinière à vedettes tels Jean-Pierre Ploué (directeur du design Peugeot-Citroën), Thierry Metroz (style Citroën DS) et Anne Asensio (ancienne star de Renault puis GM, aujourd’hui chez Dassault Systèmes), mais aussi de l’Art Center College de Pasadena. Parmi ses réalisations figurent les Série 1 de première génération et la Mini seconde mouture. L’homme pense 5, 10 ans en avance sur ses clients, mais se surprend à dire « au jour d’aujourd’hui » à chaque phrase. Car bien qu’il accepte de livrer quelques clés, l’avenir de BMW reste viscéralement secret…


Interview - Marc Girard, directeur du design intérieur BMW : "Mon agenda d’aujourd’hui est basé sur… 2018"

Que regroupe le design intérieur, chez BMW ?

Déjà, l’architecture : toutes les surfaces telles que vous les voyez dans le véhicule. La planche de bord, la console, les sièges, les panneaux de custode, le toit, etc. On appelle ça la géométrie. Deuxième élément, les couleurs et matières, les tissus, les cuirs, les boiseries, les aluminiums pour l’intérieur mais aussi pour l’extérieur. Troisième élément, qui est en train de prendre de l’ampleur chez nous : la graphic user interface (interface graphique utilisateur, donc !), c’est-à-dire, les différentes modalités et interactions, le design des boutons qui se trouvent dans l’habitacle. Le quatrième pilier est un département où il y a des ingénieurs. Ce sont eux qui développent les surfaces, le grainage. C’est extrêmement technologique d’appliquer un grain sur un matériau, qu’il s’agisse de plastique, de peaux en « slush », de peaux en cuir, en PVC, simili. Notre but est que, pour le client, l’intérieur donne l’impression d’avoir été réalisé avec un seul matériau, qu’il y ait une harmonie des grains, des couleurs, que les tissus aillent avec les cuirs qui aillent avec les plastiques renforcés, etc. L’approche est très technologique : un ingénieur est plus à même de mesurer les matières, avec des appareils, des tables, sous différentes lumières, pour aboutir à cette homogénéité. Cette organisation est très spécifique à BMW. Comme on dit en allemand, tout doit être « stimmig » (harmonieux NDLR).


Interview - Marc Girard, directeur du design intérieur BMW : "Mon agenda d’aujourd’hui est basé sur… 2018"

 

Interview - Marc Girard, directeur du design intérieur BMW : "Mon agenda d’aujourd’hui est basé sur… 2018"

L’intégration des interfaces graphiques dans le design, c’est nouveau, non ?

BMW était assez pionnier, avec l’ancienne Série 7 [photo ci-contre, NDLR] et l’iDrive. L’intégration des interfaces dans le design a été vraiment développée en 2002, il y avait une personne qui s’occupait de ça spécifiquement. Aujourd’hui, dans mon service, 80 personnes interviennent directement ou indirectement sur le design des user interfaces ! Il y a à peu près 750 pages différentes dans un système iDrive et chacune est vraiment dessinée, conçue.

 



Selon vous, quelle direction les interfaces vont-elles prendre à l’avenir ? Celles des Smartphones avec leurs icônes colorées ?

Interview - Marc Girard, directeur du design intérieur BMW : "Mon agenda d’aujourd’hui est basé sur… 2018"

Ce n’est pas un hasard si les users interfaces sont intégrées chez nous dans le design intérieur, car c’est très stratégique. La vision que j’ai avec mes équipes, c’est vraiment une symbiose entre l’information, l’interaction et l’architecture intérieure. Pendant très longtemps, on a fait une planche de bord avec un trou, un carré, pour y mettre un écran. Dessiner le trou, ça n’intéressait personne. Là, on est en train de s’apercevoir que l’interaction a une grande influence sociale, sur notre manière de communiquer… Un exemple très clair, nous nous posons la question à l’heure actuelle : quelle taille vont avoir les écrans à l’avenir ? Combien d’écrans ? A qui l’information sera destinée ? Aujourd’hui, on a un volant avec une instrumentation derrière qui passe au digital (Série 7), on a la vision tête haute avec une certaine redondance d’informations, on a un écran au milieu, qui est un petit peu pour tout le monde. Notre démarche est de reconnaître la spécificité du conducteur, son besoin d’information. Il n’est pas le même qu’un passager à l’avant, à l’arrière ! On doit intégrer cela dans l’architecture, mais cela dépend aussi de quel type de véhicule on parle si c’est une Mini ou une Série 1, les passagers ont leur iPhone, leur iPad, ou leur Samsung. A partir d’un certain niveau, sur une Série 5 [photo ci-dessus, NDLR] ou 7, c’est important d’offrir au client une solution embarquée, très facile à utiliser, intuitive, mais aussi esthétique et très marquée BMW.

 



Pourquoi pas un écran unique, à l’avant ?

On se pose la question. Le problème est très souvent d’ordre technologique : les écrans sont très difficiles à intégrer pour nous designers, car il n’y a aucun angle droit à l’intérieur, et les écrans d’aujourd’hui sont carrés, relativement épais, fragiles. Beaucoup de choses sont en train de se passer, avec la projection par exemple, ou les écrans transparents. Tout ce qu’on voit au salon de Las Vegas, par exemple, nous inspire beaucoup. Le seul souci, c’est qu’une technologie pour un téléphone portable n’a pas les mêmes spécificités qu’en usage automobile. Les contraintes sont bien plus importantes en matière de chocs, de vibration, de chaleur. Une planche de bord en plein été peut monter jusqu’à 70°… si vous laissez votre téléphone dessus, il ne va pas survivre très longtemps. Toutes les nouvelles technologies qui apparaissent ne sont pas intégrables tout de suite. Il y a toujours un laps de temps, une phase de développement supplémentaire pour les adapter à l’automobile : entre 2 et 5 ans minimum !

 

Les écrans tactiles semblent monter en puissance, dans l’industrie, mais pas chez vous…

Le tactile, on y croit dans une certaine mesure : la Série 7 facelift que nous avons présentée en juillet a un bouton iDrive tactile. Le but est toujours d’offrir au client le meilleur compromis entre le plaisir de conduire, l’intuitivité des commandes et la sécurité.

 

C’est quoi, un intérieur BMW ?

Trois éléments très forts : l’orientation vers le conducteur, une icône que l’on redéfinit à chaque véhicule. Ce n’est pas uniquement la partie médiane de la planche de bord qui est orientée vers le conducteur, mais aussi la manière dont les lignes viennent s’enrober autour de la colonne de direction, si vous regardez notre concept Active Tourer. Tous les intérieurs des futures BMW auront ça. Deuxième chose, l’horizontalité et la légèreté, deux thèmes intimement liés. Quatrième élément, la console centrale : notre but est de créer un cocon très sportif, avec un intérieur qui s’enveloppe autour du conducteur. La console est comme un costume sur-mesure : elle « cintre » le conducteur, et les commandes très hautes apportent la sportivité. La console très haute permet en outre de réduire visuellement la hauteur de la planche de bord.


Interview - Marc Girard, directeur du design intérieur BMW : "Mon agenda d’aujourd’hui est basé sur… 2018"

 

Après une période très « chargée », les intérieurs BMW sont revenus à plus de sobriété. Est-ce une volonté de rentrer dans le rang ?

L’architecture et le mobilier étaient à la source de l’inspiration de l’ancienne Série 7, c’était très moderne. Cela a inspiré toute une génération de véhicules. Le seul élément qui n’était peut-être pas prédominant à l’époque, c’était l’élégance et l’harmonie. On travaille beaucoup sur ces deux sujets, en design intérieur comme extérieur. Donc, oui, si vous nous dites que les intérieurs sont plus « calmes », c’est vrai ! Si vous regardez la nouvelle Série 3 ou la dernière Série 1, vous observerez que l’on retrouve une dynamique plus marquée, plus d’amplitude, plus de courbes, un design plus émotionnel, mais toujours en harmonie et avec une qualité de finition.

 

Quand vous dessinez un intérieur, quelle est la plus grande contrainte ?

Raymond Loewy disait « constraints are designers’ best friends » (les contraintes sont les meilleures amies des designers). Je peux vous dire qu’on a pas mal d’amis ! En matière d’intérieur, je crois que l’élément principal, c’est ce qu’on appelle le package, qui comprend le moteur de climatisation, le plus gros composant de la planche de bord. C’est lui, cette grosse pieuvre pleine de connexions, qui détermine toute l’architecture intérieure. Parvenir à compacter ce module pour avoir suffisamment de liberté et faire une planche de bord fine, horizontale, très tendue et d’intégrer tous les éléments structurels, ceux qui donnent la stabilité à la planche de bord, à la colonne de direction… là est le plus gros challenge au jour d’aujourd’hui. Les progrès sur la réduction des blocs de climatisation avancent un petit peu mais pas assez vite à mon goût ! L’électronique embarquée, les technologies de réalisation de matériaux doivent également être traités très en amont du projet, comme la conception d’une nouvelle plateforme… on commence à travailler jusqu’à 80 mois avant la série. Mon agenda d’aujourd’hui est basé sur… 2018.

 

Vous commencez à travailler combien de temps avant la mise en production ?

Cela dépend du projet, de son amplitude. Par exemple, si on travaille sur une nouvelle plate-forme comme le concept Active Tourer, avec une traction avant, avec une nouvelle implantation de moteur, une nouvelle conception de climatisation, etc… on commence 70 mois avant la série à concevoir la plate-forme, quand le design commence environ 45 mois. 

 

Il sera comment, l’intérieur d’une BMW en 2018 ?

Vous aurez toujours une orientation vers le conducteur ! Par contre, vous remarquerez que la limite entre l’architecture, la géométrie et l’interaction va diminuer. Vous aurez plus de mal à mettre une séparation entre les trois. La place donnée à l’interaction sera plus esthétique, plus marquante. De quelle manière je vais interagir avec le véhicule ? Est-ce une commande ? Est-ce que je le fais en touchant, en m’approchant, en parlant ? Il y a tout un tas de technologies aujourd’hui à notre disposition pour cela… la Kinect de Microsoft montre ce que l’on peut faire ! Imaginez si vous pouviez conduire la voiture comme ça… Ca poserait des problèmes de sécurité… je crois aussi que même si la décision d’achat se fera toujours sur le design extérieur, l’intérieur va monter en puissance. La vitesse moyenne dans les grandes villes va continuer de baisser de manière radicale, le nombre de « megacities » va grossir et l’infrastructure à l’intérieur ne va pas se développer de façon aussi exponentielle !  Il faut garder ce plaisir de conduire tout en étant… quasiment à l’arrêt.