Voitures radar privatisées : attention de ne pas tomber dans les panneaux !
Entre les approximations, les éléments de langage, la communication officielle de nos gouvernants, et les faits, il y a souvent un gap. Le projet de privatisation des radars mobiles nouvelle génération (RMNG), ces "mobiles mobiles" comme on les surnomme, n'échappe pas à la règle. Alors pour ne pas tomber dans la désinformation, Caradisiac reprend point par point les raisons invoquées par le ministère de l'Intérieur pour justifier cette évolution qui a apparemment bien du mal à passer.
Pour légitimer la privatisation de la conduite des "mobiles mobiles", ces radars logés dans des véhicules banalisés, capables de flasher en roulant, et aujourd'hui uniquement gérés et utilisés par des policiers ou des gendarmes, le ministère de l'Intérieur avance plusieurs arguments qui ne sont pas sans soulever quelques interrogations.
Première raison invoquée pour justifier la privatisation :
leur sous-utilisation…
Ainsi, leur privatisation permettrait notamment une meilleure "gestion des deniers publics", ces engins valant tout de même quelque 71 200 euros pièce (sans compter les frais annexes d'entretien et de maintenance notamment). Mais comment se fait-il que l'État en ait acheté autant s'il n'était pas capable de les faire tourner suffisamment ?
Initialement, dans le marché signé en 2012 avec Fareco, le fournisseur de ces mobiles, il y avait bien une quantité minimum sur laquelle l'État s'était engagé à acheter, mais il ne s'agissait que d'un minimum de… 20 ! Or, il y en a au moins 383 en service désormais. Comment a-t-on pu en arriver là, si les services de la police et de la gendarmerie n'avaient pas les moyens de les utiliser quelque six heures ou même huit heures par jour, comme apparemment le gouvernement souhaiterait les voir utiliser avec cette privatisation ? Selon les derniers documents budgétaires publiés, il est même question d'accroître encore leur nombre à 440 d'ici un peu plus d'un an, au 31 décembre 2018. Comme "bonne gestion des deniers publics", nul doute, on fait mieux !
Autre réserve : quelle est en fait la véritable durée moyenne d'utilisation de ces voitures radar ? Il y a de quoi, là aussi, se poser des questions. Aux dernières nouvelles, elles seraient utilisées "moins d'une heure" ou au mieux "une heure par jour", ce qui n'est déjà pas tout à fait la même chose.
Fin 2015, une fois l'annonce de cette prochaine privatisation annoncée par le Premier ministre de l'époque, Manuel Valls, on en était pourtant officiellement au double, soit à "deux heures" ! Et c'est courant 2016, que la dégringolade s'est amorcée, avec des voitures radar qui ne tournaient plus "qu'1h13" en moyenne.
Quant à la Cour des Comptes, dans son fameux rapport publié il y a quelques mois, dans lequel elle dénonce l'inefficacité des amendes radars - toujours en hausse, sans réussir à faire baisser la mortalité routière -, elle évoque, elle, une "durée moyenne quotidienne d'utilisation (…) de 1h47" en 2016… Mais alors, qui dit vrai ?
Sur une plage journalière cible de six heures, voire huit heures, deux heures ou moins d'une heure, cela n'a bien sûr rien à voir ! En fonction, c'est 3 ou 4 fois plus, ou carrément 6 à 8 fois plus !
Deuxième raison invoquée pour justifier la privatisation :
une simple expérimentation pour commencer…
Ainsi, "l’État procédera (…) au lancement du premier appel d’offres régional qui permettra, d’ici à la fin de l’année, de confier, à titre expérimental dans une région, la conduite de voitures-radar à des sociétés privées, sous le contrôle étroit de l’État", indiquait dans un communiqué la Sécurité routière le 24 juillet. "C'est une expérimentation que nous allons déjà réaliser dans un département qui est la Normandie", précisait pour sa part Gérard Collomb, le ministre de l'Intérieur, sur Public Sénat, le 4 septembre, laissant alors entendre que le procédé ne s'étendrait aux autres régions françaises que si cette expérimentation était un succès… Ah bon ? C'est tout à fait nouveau de parler ainsi de privatisation "à titre expérimental".
Dans le dossier d'appel d'offres remis aux entreprises de chauffeurs intéressées par ce marché, fin juillet, et que Caradisiac a pu étudier, comme déjà révélé, il n'est pourtant aucunement question d'une expérimentation ! Or, si c'était vraiment le cas, ce serait quand même une information de nature à faire évoluer les propositions que les entreprises candidates ont dû rendre le 20 septembre à la Sécurité routière.
Officiellement, c'est vrai, il y a bien une expérimentation des nouvelles voitures radar, car à la base le véhicule doit être "profondément modifié" en vue de cette privatisation. Il doit être automatisé, afin que le seul chauffeur qui devrait être à bord n'ait plus rien d'autre à faire qu'à conduire. Mais cette expérimentation a débuté le 24 février dernier, autour d'Évreux. Et c'est seulement si cette expérimentation-ci était une réussite que la conduite de ces véhicules devait être effectivement confiée à des prestataires privés…
Le marché public pour le recrutement des chauffeurs, dont le début de la procédure remonte soit dit en passant au 19 avril, ayant donc été lancé, on ne pouvait qu'en déduire jusque-là que c'était parce que les six voitures testées autour d'Evreux fonctionnaient à merveille. Faudrait-il dès lors conclure de ce revirement que cela ne se passe finalement pas aussi bien ?
Selon nos informations, il y aurait bien en effet quelques problèmes avec le nouveau système mis en place dans les voitures. Mais en interne, il n'est pour autant aucunement question de considérer ce premier marché comme une expérimentation. Selon le calendrier fixé par la Sécurité routière, le premier contrat devrait être attribué début novembre, et les premières voitures avec un chauffeur du privé devraient commencer à rouler en décembre ou janvier au maximum. Devrait suivre cette externalisation région par région sur toute l'année 2018 et jusqu'à la mi-2019.
Troisième raison invoquée pour justifier la privatisation :
une homologation pour garantir le bon fonctionnement du système
Le test de plusieurs mois lancé le 24 février dernier que représente l'expérimentation des voitures radar "est destiné à permettre l’homologation du nouveau système et ne donnera lieu à aucune contravention", dixit, là encore, la communication officielle de Beauvau. Qu'entend exactement le ministère par cette homologation ? Mystère…
"Les modifications ne portent pas sur l'appareil de mesure [le radar, NDLR] lui-même, normalement il ne devrait donc pas y avoir de nouveau CET [certificat d'examen de type]", nous lâche un proche du dossier. Or, c'est bien le CET qui est considéré comme LE certificat d'homologation dans l'univers de ces instruments de mesure ! En l'occurrence, les CET de tous les radars en service sont publiés sur le site du Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE), en charge de cette certification. Et pour l'heure, il n'y a effectivement aucun changement concernant le Gatsometer de type Millia installé sur les voitures en question. La dernière révision date toujours de 2015…
La réponse apportée par le ministère de l'Intérieur au début du mois à une question posée par le sénateur socialiste des Hauts de France, Jean-Claude Leroy, n'a pas permis d'y voir plus clair : "un test grandeur nature, sans verbalisation, est aujourd'hui mené en Normandie afin de qualifier la solution technique. Les résultats sont satisfaisants et permettent de confirmer que le dispositif est conforme à la réglementation en matière de métrologie légale"… Alors, si Beauvau le dit, pourquoi en douterions-nous ?
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