Sergio Marchionne : l’homme qui murmure à l’oreille des traders
Michel Holtz , mis à jour
Malgré une stratégie aléatoire, une dette de plus de 4 milliards et un avenir incertain, la valorisation boursière du groupe FCA est en pleine forme. Une tactique parfaitement mise au point par son patron à coups de rumeurs et de promesses spectaculaires suivies de démentis qui ne le sont pas moins.
Si ce n’est pas une crise ça y ressemble étonnamment. Pas une semaine ne se passe sans que Turin, la capitale historique, ou Detroit, la capitale économique du groupe FCA (Fiat Chrysler Automobiles) ne bruisse de rumeurs de rachats, de démantèlement, de promesses, de démentis et de volte-faces. Des tensions logiques puisque l’ex-fleuron italien ne se porte pas au mieux. La division américaine (Dodge, Chrysler, Jeep, Ram) qui engrange 90 % du chiffre d’affaires est plutôt en bonne santé, alors qu’en Europe, ce qu’il reste du groupe Fiat est à la ramasse. Alfa Romeo, malgré les lancements successifs de Giulia et Stelvio ne redécolle pas, Lancia est définitivement enterrée et la Fabricazione Italiana de Automobili de Torino (Fiat) se contorsionne entre le passé prestigieux de sa 500 déclinée jusqu’à l’usure en monospaces crossoverisants et en SUV à la mode du moment, le retour aux fondamentaux populaires de sa Tipo et une incursion dans le cabriolet d’antan avec son 124 Spider.
L’électrique et l’autonome ? Pas de ça chez Fiat
Un grand écart aussi compliqué que la tentative de Maserati, autre marque maison, qui a reçu l’ordre de baisser en gamme avec une Ghibli presque démocratique et un SUV Levante obligé de se bagarrer avec Porsche et Jaguar. Quant à l’électrique, qui est, bon gré ou mal gré, le futur probable de l’automobile, Fiat n’est pas vraiment aux avant-postes. Reste la voiture autonome, bataille ou l’ensemble des constructeurs mondiaux est furieusement engagée, sauf FCA qui, faute de cash, manque de ressources pour investir en recherche & développement. Le cabinet PriceWaterhouse, qui ausculte régulièrement l’industrie auto, lui a même décerné un bonnet d’âne pour son manque d’innovation en le classant dernier parmi les dix grands groupes du secteur. Sa marge opérationnelle est ultra-basse et au même niveau que celle de Renault et Volkswagen, ce qui n’est pas folichon. Mais contrairement à ces deux marques, FCA est endetté pour plus de 4 milliards de dollars. Avec un tel tableau, aux allures de corbillard, on se dit, logiquement, qu’à Wall Street, c’est la bérézina, et que l’action FCA est au plus mal.
Quand Marchionne dit, Wall Street applaudi
Sauf que pas du tout, bien au contraire. Le cours de la boîte a même augmenté de 102 % depuis le début de l’année. Grâce, notamment, au pull bleu le plus célèbre de l’industrie automobile, au bateleur le plus infatigable du secteur, à l’homme qui, sous son allure de prof d’économie de fac de province, est aussi malin que redoutable. Un cadre de la maison raconte, sous le sceau d’un anonymat plus que compréhensible, les réunions auxquelles il a pu assister, et au cours desquels le boss tranchait dans le vif et en cinq minutes, fermant des filiales étrangères impliquant des dizaines d’emplois. Surtout, l’homme qui avec sa petite maison Fiat a réussi à racheter le gros Chrysler, est un rusé financier, qui sait parler aux marchés comme personne. Il est à la bourre en matière d’électrification de sa gamme ? Aucun souci : il vient de promettre que la moitié de ses modèles seront branchés en 2022. Comment ? Ou en sont les recherches quatre avant la mise en circulation ? Personne n’en a la moindre idée. Depuis le début de l’année, Marchionne multiplie ainsi les déclarations. Au mois d’avril, il lâche au détour d’une conversation avec un journaliste américain qu’il comptait vendre Jeep et Ram. Wall Street s’emballe avant que le facétieux patron ne démente. Au mois d’août, c’est Alfa et Maserati qui pourrait, peut-être, le cas échéant, pourquoi pas, être cédé. Nouvel emballement boursier, avant un nouveau démenti.
La Chine puis la Corée prèts à racheter, mais pas vraiment
Entre-temps, deux autres rumeurs sont venues elles aussi emballer les traders et ont fait grimper le cours de l’action FCA. La première, au début de l’été, faisait état d’un rachat possible du groupe par le chinois Great Wall. En septembre, ce n’est rien moins que le Coréen Hyundai-Kia qui se serait déclaré intéressé. Des infos assez rapidement niées par les principaux intéressés. Reste que ces rumeurs ont à chaque fois profité à un seul bénéficiaire : FCA. Alors, lorsque Sergio Marchionne a expliqué à qui voulait l’entendre, il y a quelques jours à peine, qu’il entendait vendre son équipementier Magnetti-Marelli, on ne sait plus si c’est du lard ou du cochon, puisque le même expliquait dans le même temps, qu’ « Alfa et Maserati n’étaient pas encore prêts à être cédé ». Faut-il le croire, alors que, selon l’agence Bloomberg, les deux marques étaient prêtes à quitter le giron il y a deux petits mois à peine ?
Marchionne et Musk, ou la stratégie de la bulle
Reste une chose certaine. Marchionne sait parler à l’oreille des traders. Ses allers-retours discutables ? Ils n’en ont cure et la côte de l’italo-américain reste au beau fixe. Évidemment, cette tactique du dumping boursier n’a qu’un temps. Et viendra le moment où les boursicoteurs ne prendront plus au sérieux les infos concernant le groupe FCA. À moins que ce temps ne dure longtemps. À moins que Marchionne ne tente d’imiter Elon Musk qu’il a sans doute observé de près. Car le patron de Tesla est passé maître dans l’art du bonneteau boursier. Voilà un garçon, et une entreprise (Tesla) qui, depuis sa naissance, en 2003, n’a gagné de l’argent qu’au cours de deux trimestres. C’était en 2009 et 2016 et ce dernier bénéfice n’était lié qu’à la seule revente des actions carbone engrangées, en bon élève de l’environnement qu’il est. Mais jamais au grand jamais, la fabrication, et la vente de voitures, n’a permis d’engranger des dollars. Or, son entreprise était, toujours l’an passé, mieux valorisée que la vénérable General Motors. On sait que les édifices boursiers sont souvent fictifs, du moins très éloignés de l’économie réelle. Mais on sait aussi, que de temps à autre, ces beaux montages financiers s’écroulent sous trop de virtualité. Ce sont des bulles qui éclatent, comme l’on dit dans le joli langage économique, précieusement choisi pour éviter d’être dramatiquement ressenti. Pourvu que, pour FCA comme pour Tesla, ces bulles ne deviennent pas de grosses montgolfières qui explosent en plein vol.
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