Route de nuit - Drive my car : une Saab rouge en guise de fil rouge
C'est le personnage central du dernier long métrage de Ryusuke Hamaguchi, prix du scénario à Cannes cette année. Mais la Saab 900 Turbo du film n'est pas qu'un élément de décor : c'est un confessional, un lieu de répétition théatral, un endroit ou l'on se découvre et ou l'on renait. La vieille voiture rouge est également un anachronisme, un pied de nez à la modernité froide.
Dans un film, la voiture est souvent un accessoire utile, mais elle est souvent choisie par hasard ou pour toucher quelques subsides grâce au placement de produit d'un constructeur. Pas dans Drive my car. Pour son long métrage, récompensé par le prix du scénario au dernier festival de Cannes, le Japonais Ryusuke Hamaguchi a jeté son dévolu sur une Saab 900 Turbo rouge des années 80 qui est au cœur du film. Elle est de tous les plans et de tous les sentiments. Dans son habitacle, les liens se créent, le deuil s'opère et les émotions se révèlent et s'apaisent.
Une voiture qui doit changer de main
Adapté d'une nouvelle de l'écrivain Haruki Murakami, Drive my car suit les pérégrinations, en voiture, de Ysukuke Kaku, un metteur en scène de théâtre. Il tient à sa vieille Saab comme à la prunelle de ses yeux, qui sont d'ailleurs en mauvais état. Il souffle d'un glaucome et sa vue baisse. Le festival qui le charge de monter Oncle Vania de Tchekov, lui colle de force un chauffeur, ou plutôt une chauffeure, Misaki, ultra-douée selon ses employeurs. Réticent à ce que la jeune fille prenne le volant de sa Suédoise rouge qu'il bichonne depuis des années, il finit par accepter et par apprécier sa conduite "souple et douce" et sa personne. Car elle, comme lui, trimbale son lot de malheurs, de deuils et de culpabilité qu'ils vont se confier dans l'habitacle tendu de cuir patiné.
La Saab est aussi le lieu de travail ou Yusuke Kafuku réfléchit à sa pièce et à sa mise en scène. Il en écoute la lecture que sa femme en avait faite, avant sa mort, sur une cassette, forcément. La voix de son épouse disparue trouve un curieux écho dans la pièce de Tchekov et dans la culpabilité de cet homme qui s'accuse de la mort de celle qui a succombé à une méningite fulgurente alors qu'il n'était pas au domicile au moment du drame. C'est toujours dans la Saab que la conductrice lui avoue qu'elle ressent elle aussi de la culpabilité depuis le décès de sa mère. C'est encore dans l'auto suédoise qu'il accueillera un comédien qu'il a engagé et qui finit par lui faire comprendre qu'il était l'amant de sa femme.
La Saab rouge : le dernier rempart à l'uniformité
Ce curieux résumé pourrait être celui d'un mélo que le film n'est pas du tout. C'est même son exact contraire : l'histoire d'une rédemption, la juste évocation des rapports humains et intimes, le travail d'un metteur en scène au plus près de ses comédiens et de son texte, cet Oncle Vania qui est aussi une réponse à ses propres troubles. Le tout se déroule dans un Japon ultra-contemporain ou la Saab est un anachronisme, seule voiture rouge perdue des flots d'autos blanches et grises, dans les noeuds d'autoroutes, les rues de Tokyo, de Hiroshima ou les routes parfois escarpées de la campagne japonaise. Ce curieux et intense road-trip s'achève sur le parking d'un hypermarché ou la Saab se gare au milieu de dizaines de SUV Hyundai tous gris, tous strictement identiques et garés dans le même sens. La jeune conductrice descend de la voiture rouge, elle affiche un grand sourire. A ses côtés, la vieille auto suédoise se révèle alors comme un dernier rempart à l'uniformité du monde.
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