Route de nuit - Clint Eastwood regarde l'Amérique à travers le pare-brise de sa Gran Torino
Le coupé Ford des années 70 n'est pas seulement emblématique de la série Starsky & Hutch. Il est aussi au cœur de l'un des grands films du sombre et prolifique réalisateur américain qui fête bientôt ses 91 ans. Une œuvre ou la voiture apparaît peu, mais ou elle est omniprésente.
Les cinémas sont fermés, et ne devraient pas rouvrir dans les prochaines semaines. Ce n'est pas une excuse pour se passer de grands films. D'autant que Gran Torino de Clint Eastwood, réalisé en 2008 est accessible via toutes les grandes plateformes de VOD et que les raisons de le voir et de le revoir encore sont nombreuses. Mais si l'on souhaite voir des voitures effectuer des prouesses, on passera son chemin, on n'est pas dans Bullit. Si l'on est captivé par la manière dont Ford a créé son coupé, on pourra zapper, on n'est pas dans Le Mans 66. En plus, cette fameuse Ford Gran Torino, on la voit assez peu. Mais elle est partout.
Cette auto est celle de Walt Kowalksi, interprété par Eastwood lui-même. Il est veuf et retraité des usines Ford. Le vieil homme a tous les défauts : il est solitaire, irascible et raciste. Il est l'un de ces vieux mâles blancs de Detroit et de la Rust Belt, cette ceinture de rouille ou vivent tant de déclassés et chômeurs qui près de dix ans plus tard ont permis l'élection de Donald Trump. Il ne reste à Kowalski que sa haine, ses souvenirs et sa Gran Torino qu'une nuit, un gamin essaie de voler. Il échoue, mais le vieil homme le retrouvera, et comprendra. C'est un ado du voisinage qui veut entrer dans un gang qui l'a mis au défi de piquer la voiture. Il vit là, avec sa famille d'émigrés Hmong, une communauté venue du Sud de la Chine.
Clint-Kowalski va apprendre à les connaître, s'ouvrir à eux et va finir par défendre l'ado qui a tenté de lui voler son auto. Cette voiture qu'il bichonne, qu'il ne conduit presque jamais, c'est tout ce qui lui reste de son passé, de sa vie d'avant, dans le Detroit des trente glorieuses, quand Motown était le poumon industriel de l'Amérique. Le vieil homme regarde sa Gran torino dans la cour de son pavillon de Highland Park, dans la banlieue désormais sinistrée de ce qu'il reste de Detroit qui vit, avec la chute des subprimes, son énième crise. Dans son univers en ruine, il reste le coupé vert quasi neuf et une musique, une chanson écrite par Clint Eastwood lui-même, composée par son fils Kyle et chantée par l'impeccable Jamie Collum. C'est la bande originale mélancolique d'un film qui l'est tout autant, la ritournelle d'une vie qui s'enfuit, d'un monde qui disparaît et d'une voiture qui les symbolise et sert de transition. Dans la dernière scène, le jeune Mhong sourit au volant de la Gran Torino, que le vieux bougon lui a légué, après s'être sacrifié pour lui.
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