Prise en mains - Lightyear 0 : un pas vers le soleil
Comment une petite start-up hollandaise peut-elle arriver à lancer l’ambitieux projet de la première voiture électrique boostée à l’énergie solaire ? C’est ce que nous avons essayé de savoir en nous rendant au fin fond du nord de l’Espagne, dans le désert des Bardenas où Lightyear conviait quelques journalistes internationaux pour la prise en mains de la One, leur premier véhicule.
“Ceci est un test grandeur nature” : le message des gens de Lightyear a le mérite d’être honnête, alors que nous nous apprêtons à prendre le volant d’un des prototypes de pré-production de cet étrange vaisseau venu des Pays-Bas. Une voiture solaire ? Pas tout à fait.
La Lightyear 0 est avant tout une voiture électrique équipée d’une petite batterie de 60 kWh, suppléée par 5 mètres carrés de panneaux solaires qui recouvrent le maximum de surface de cette longue auto de 5,08 m. Le capot, le toit et le hayon sont donc des immenses capteurs prêts à absorber le moindre précieux rayon pour regagner un peu de courant dans les batteries, généreusement offert par Dame Nature.
Sa générosité a cependant des limites, car, dans des conditions absolument idéales d’ensoleillement, Lightyear annonce la possibilité de regagner ainsi 11 000 kilomètres par an, ou 70 km par jour, soit 7 mois de déplacements quotidiens de 35 km sans recharger, ou 2 mois dans des conditions moins favorables comme dans le pays d’origine de l’auto.
Plus précisément, le système solaire embarqué peut emmagasiner une puissance maximale de 1 kWh, qui se montait plutôt à 0,7 kWh au maximum lors de notre essai sous le soleil voilé espagnol. De quoi participer à la consommation ultra-maîtrisée de cette voiture conçue entièrement pour les économies d’énergie.
Structure en carbone recyclé pour atteindre une masse de juste 1 575 kilos, coefficient aérodynamique ultra-bas de 0,19, moteurs optimisés au maximum, voilà de quoi permettre une consommation officielle dépassant à peine les 10 kWh/100 km à une vitesse stabilisée de 110 km/h, permettant une autonomie de 560 kilomètres, ou 625 km en cycle mixte selon la norme WLTP.
Ainsi sur une vingtaine de kilomètres effectués à vitesse normale sur route et en traversant des villages, en conduite tranquille (il s’agit d’un prototype de développement !), nous avons pu constater une consommation de 12,8 kWh/100 km, ce qui reste excellent si on considère qu’il s’agit d’une auto aux dimensions de limousine confortable. Le confort, justement est la priorité dans le développement de ce modèle, loin de toutes velléités de performances.
Pas question d’être collé au siège à l’accélération avec un 0 à 100 km/h en 10 s, la performance est ici dans l’efficience. Visuellement, la 0 rappelle d’ailleurs un peu la radicalité de modèles dédiés aux ultra-basses consommations en leur temps, comme la Honda Insight ou la VW XL1 qui visait une consommation de 1 l/100 km. On y trouve aussi des points communs avec le récent concept car Mercedes EQXX, dont la consommation électrique est d’ailleurs proche.
Développement maison
Presque tous les éléments techniques de l’auto sont développés par la start-up néerlandaise, à commencer par les moteurs installés dans les 4 roues (37 kg chacun) d’une puissance cumulée d’environ 170 ch, qui atteignent jusqu’à 96 % d’efficience à leur niveau de couple maximal. Celui-ci est énorme, se montant à quelque 1 600 Nm, voire 1 725 Nm pour le modèle de production. D’ailleurs, de nombreux aspects de ce prototype franchement loin d’être parfaitement au point sont appelés à changer, nous explique Patrick Creevey, ingénieur en charge du développement et ancien de Jaguar. La puissance de régénération, la lourdeur de la direction, la qualité des rétroviseurs électroniques : tout est appelé encore à évoluer...
La conduite est agréable si on se met dans un état d’esprit porté sur l’efficience avant tout, et on apprécie l’absence de bruits de vent, le silence général à bord autour des 100 km/h et le confort des excellents sièges moelleux signés Recaro. L’occasion de détailler l’habitacle qui reste très proche d’un concept de travail à ce stade, parsemé de matériaux écologiques comme du daim en microfibre ou du bois de palmier. Certaines pièces semblent encore fabriquées en impression 3D et le système d’info-divertissement est pour le moment plus porté sur l’info que le reste, mais là aussi, work in progress...
Les places arrière avec trois sièges individuels placés très bas sont étranges, avec une bonne longueur aux jambes mais des pieds trop en hauteur pour offrir une position très confortable. L’absence de vitre de hayon donne une impression d’enfermement inhabituelle. Heureusement, le coffre très long offre un grand volume utile de 640 litres, de quoi emporter les bagages des aventuriers du solaire.
Reste que si l’efficience de l’ensemble est impressionnante, avec 43 kilomètres d’autonomie gagnés au long du jour de notre essai sous un ciel voilé, cette auto promise à une mise en production dans quelques mois semble loin d’être finalisée, et il manquera au modèle de production quelques “détails” pourtant utiles pour rouler de manière fluide et économe, comme des aides à la conduite semi-autonome.
"Après six ans de tests, d'itérations, de conception, de reconception et d'innombrables obstacles, Lightyear 0 est la preuve que l'impossible est réellement possible," affirme Lex Hoefsloot, le jeune cofondateur et P.-D.G. de Lightyear. Le plus gros défi est encore à venir avec la mise sur le marché de ce véhicule-test d’une technologie disruptive, comme aiment à le définir les start-up misant sur l’innovation.
Bilan
Voilà un projet qui laisse songeur, dans tous les sens du terme. Ainsi on ne peut qu’être séduit par le rêve de bénéficier d’une énergie gratuite et sans limite, et la beauté de ce projet. Mais on peut se demander aussi quelle viabilité peut-il bien y avoir pour une auto si chère (250 000 € !) et quels seront les 946 (le chiffre annoncé de production maximum) riches fous qui seront prêts à investir une telle somme dans une auto à des années-lumière (lightyear en anglais, donc...) des modèles de rêve premium ou hypercars dans cette zone de prix.
L’industrialisation d’une voiture est un énorme défi mais, avec 550 personnes de 38 nationalités travaillant au projet et un partenariat avec Valmet Automotive en Finlande, expérimenté et habitué des petites séries pour de grands constructeurs pour une production démarrant au cours de cette année, on ne peut que prendre au sérieux le projet.
Mais la vraie question concerne un futur plus lointain. La marque ambitionne de construire une Lightyear 2 d’ici 2025 pour démocratiser son concept et passer à une production de masse et un prix de vente à partir de... 30 000 € !
C’est ce qu’est en train d’essayer de réaliser l’allemand Sono Motors avec un modèle de ludospace solaire plutôt basique. On entre alors dans une tout autre dimension, celle d’un vrai constructeur automobile, avec les immenses investissements et contraintes d’homologation qui vont de pair. D’ici-là, les cellules solaires pourraient avoir gagné en efficience, passant de 21 à 28 %, alors espérons que ce projet aboutisse pour pouvoir un jour alléger sa facture de recharge sur une voiture de tous les jours.
Il faudra juste ne pas oublier de la garer à l’extérieur.
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