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L’automobile vers la décroissance ?

Dans Economie / Politique / Industrie

Jean Savary

L’inflation délirante des tarifs de nos voitures depuis dix ans est en train d’étouffer le marché automobile plus sûrement que la pénurie de puces. Le temps de la déflation tarifaire n’est-il pas venu ? Dacia montre pourtant la voie. En attendant les Chinois…

L’automobile vers la décroissance ?

Le projet politique de décroissance, par principe, je suis contre. Chacun sait d’avance qui elle frapperait le plus durement et que l’on ne vienne pas me parler de solidarité et de partage. Vu comment sont tranchées les parts d’un gâteau qui s’agrandit, gouvernement de gauche, de droite ou « d’en même temps », j’ai ma petite idée de la façon dont serait réparti son rétrécissement. La peau de chagrin porte toujours bien son nom.

Pourtant, concernant l’automobile, je suis de plus en plus persuadé qu’elle est nécessaire et même urgente.

En dix ans, le prix de la Peugeot 308 de base a bondi de 18 000 à 28 000 €, 55 % de hausse ! La VW Golf la moins chère est, elle, passée de 17 000 à 27 500 €, + 62 %. En clair, pour le montant de la 308 d’entrée de gamme en 2011, on s’offre aujourd’hui tout juste une 208 de base. Idem pour le prix de la Golf qui donne désormais droit à une Polo.

L’automobile vers la décroissance ?

Comme le salaire moyen du français, entre 2011 et 2021 n’a progressé lui que de 13 %, il a souvent fallu - pour ne parler que des acheteurs de voitures neuves - descendre d’une catégorie. Bien sûr en faisant semblant de trouver cela cool de passer d’une Renault Scénic ou Mégane à un Captur ou d’une Peugeot 307 SW à un 2008. Le SUV est souvent un pis-aller…

En ce moment précis, la hausse est encore plus terrifiante. Car quand en 2011, on décrochait au moins 10 % de remise d’un clin d’œil et facilement 20 ou 30 % pour la bonne voiture au bon moment, aujourd’hui sur un marché en pénurie, la "négo", c’est fini, terminé. Le prix catalogue n’est plus un vague ordre de grandeur mais bien le montant à inscrire sur le chèque et soyez sympa si vous voulez les tapis de sol en prime.

On peut aussi évoquer la disparition prochaine des petites de la catégorie A à 12 000 ou 13 000 € qui mettra la première marche du marché du neuf aux 17 000 ou 18 000 € de la catégorie B.

Voiture + 50 %, logement + 30 %, salaires + 13 %

Que l’on ne vienne pas arguer du nécessaire respect des normes de sécurité et de pollution : en dix ans, on n’est pas passé du tacot à la Batmobile. Le niveau d’équipement n’est pas plus un motif et d’ailleurs, la 308 a retrouvé ses compteurs à aiguilles. Quels sont les bidules indispensables ou vitaux qu’offrent les nouvelles et que n’avaient pas les anciennes ? Le chargeur de smartphone à induction ? Le machin qui tord le poignet quand on approche trop de la ligne médiane ou du bas-côté ? La caméra de recul ? Cherchez les bien sûr les versions de base d’aujourd’hui.

L’automobile vers la décroissance ?

Le fait est que l’augmentation des tarifs est proprement délirante. D’autant plus que dans le même intervalle, ceux de nos logements ont été pris de la même folie : 20 à 40 % selon les lieux et les sources, et portant sur de tout autres montants. Petit aparté : on ne dira jamais assez ce que doit la prospérité de l’industrie automobile allemande et de son marché automobile domestique à la stabilité de l’immobilier outre Rhin.

Comment payer 50 à 60 % plus cher sa voiture et 30 % son appartement quand son salaire n’a augmenté que de 13 % ? En vendant de la schnouff sur son temps libre ? En spéculant sur le Bitcoin ?

L’escalade d’un peu tout

Alors, je sais, les constructeurs ne se sont pas fait des bourses en or en explosant leurs tarifs. Et à propos de bourse, il n’y a qu’à comparer leurs capitalisations à celle cinq, dix ou vingt fois supérieure de Tesla pour constater que s’il y a extorsion de fonds, elle n’est guère profitable.

Même si, depuis quelques mois, tous profitent tous de la pénurie de l’offre pour pressurer le porte feuille de la demande et sauver leurs résultats, aucun ne peut se targuer d’un ratio bénéfice / chiffre d’affaires extravagant, tels ceux qui ont cours dans les GAFAM.

L’automobile vers la décroissance ?

Comment alors expliquer l’inflation délirante des tarifs en dix ans ? Pour être franc, je ne sais pas trop : le fait est qu’il y a eu escalade d’un peu tout, du poids, des puissances, des salaires des designers, des normes et sans doute même de la fameuse qualité perçue, cette entreprise absurde qui un jour poussera le plastique moussé jusque sur les bitoniaux de clignotant et à insonoriser les moteurs de lève-vitres ; pardon, c’est déjà fait.

Sans parler de la surenchère aux équipements dont un concessionnaire Renault me disait que, pour bon nombre, la première question des acheteurs était « à quoi ça sert vraiment ? » et la deuxième « comment ça se désactive ? »

Cette escalade, l’acheteur de neuf ne la suit plus : sa moyenne d’âge n’a cessé de grimper jusqu’à approcher l’âge de la retraite et la part des clients particuliers, versus celle des entreprises, de rétrécir et de se cantonner toujours plus aux segments inférieurs et aux… Dacia.

Le pari gagnant de la décroissance : Dacia

L’automobile vers la décroissance ?

Dacia, voilà où je voulais en venir : une marque qui ne connaît pas la crise et même en profite en basant son succès sur… la décroissance.

Voyez la part de marché de la Sandero, pas seulement en France, mais en Europe où elle loge souvent aux trois premières places et même à la première en juillet dernier.

Faire le choix de la roumaine, c’est d’abord renoncer au Toujours Plus technologique en même temps qu’aux vanités qui s’attachent aux grandes marques historiques. C’est faire décroître ses prétentions automobiles, lesquelles on le sait depuis plus de vingt ans indiffèrent totalement les nouvelles générations. En l’an 2000, on s’esbaudissait du succès du Kangoo chez le trentenaire et de son mépris pour la belle calandre. Quel enseignement en a-t-on tiré maintenant qu’il a 50 ans, soit presque l’âge moyen de l’acheteur de neuf ?

Quinze ans que Dacia empile cartons et parts de marché et pas un seul constructeur n’a encore tiré la leçon.

Un succès à la fois triste et "inspirant"

L’automobile vers la décroissance ?

Ce succès pas encore démenti de la marque low cost est à la fois triste et « inspirant » comme on dit chez les bobos. Triste car c’est le reflet des difficultés des classes moyennes et du déclassement économique d’une bonne partie de la population. Entre le bas de gamme qu’il incarne seul et le haut de gamme vers lequel courent tous les autres constructeurs, il n’y a plus grand-chose, ainsi va la société et à sa suite, l’industrie.

Inspirant car c’est la voie à suivre : des voitures simples, fiables, sûres, pratiques, raisonnablement performantes car pas trop lourdes, suffisamment confortables, avec des équipements utiles mais sans gadgets. Et surtout, vendues à un prix qui n’insulte pas le pouvoir d’achat moyen.

Assemblées à l’étranger, certes, mais fabriquer les mêmes intégralement en France n’aurait pas un énorme impact sur leur coût de fabrication : 200 à 400 € au poste main-d’œuvre pour ce qu’on m’en a dit, en partie compensés par le transport.

Pourquoi PSA - disons Stellantis - déclare-t-il forfait quand il s’agit de lancer une 5 portes, 5 places à 12-15 000 € ? Pas rentable ? Parlez-en au comptable de Renault…

Demain, la voiture électrique…

L’automobile vers la décroissance ?

Aujourd’hui, Dacia n’a aucun concurrent en Europe et personne ne trouve cela bizarre.

Demain, Dacia en aura plusieurs, ils seront chinois, et tout le monde trouvera cela affreux et regrettable. Et d’autant plus affreux et regrettable qu’il ne sera pas le seul constructeur à affronter le Tsunami venant de l’usine du monde.

Car demain, on l’aura voulu, ce sera la voiture électrique : technologies et matières premières sont déjà dominées par les chinois, les batteries de très grandes séries seront chinoises et moins chères que celle que l’on ne produit pas encore ici, les semi-conducteurs seront presque chinois (Taïwan…) et les tarifs parfaitement chinois. Qu’auront Peugeot, Citroën, Fiat, VW, Opel, Seat, Skoda et consorts pour affronter cette hégémonie minière, industrielle et technique ? Des logos centenaires et des compteurs en 3D ? Des concessionnaires et des prix catalogue ?

Il ne fera pas bon s’être laissé coincer entre Tesla et Dacia.

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