Interview de Marco Raymondin : à la chasse aux records sur le lac salé de Bonneville…
Bonjour Marco ; peux-tu nous parler un peu de ton passé motocycliste avant de nous conter ton aventure sur le lac salé de Bonneville ?
Bonjour. Donc, je m'appelle Marco Raymondin. Je suis impliqué dans le monde de la moto depuis longtemps puisque j'ai passé mon permis en 1965. J'ai débuté une activité dans le milieu de la moto ancienne au début des années soixante-dix. Nous avons été quasiment les premiers en France à nous lancer dans la restauration de motos anciennes sachant que cela se faisait déjà en Angleterre. J'ai toujours eu une prédilection pour les machines anglaises, en particulier pour les Triumph. Nos voisins d'outre-manche organisaient à cette époque des courses d'anciennes, donc nous sommes allés voir ça d'un peu plus près. Cela a débouché sur la création de l'Afamac (Association Française des Amateurs de Motos Anciennes de Compétition). Ensuite, je me suis orienté vers des épreuves d'anciennes, toujours, mais plus tournées vers le tout terrain avec entres autres Fabrice Bazire qui organisait le Norman Scramble. J'ai eu plusieurs magasins dont Brooklands Motors qui vendait des anciennes Triumph, puis lorsque la marque a cessé son activité, nous nous sommes tournés vers des enseignes comme Ducati. Ensuite, j'ai revendu mon magasin pour me consacrer à mon amour de jeunesse, à savoir les motos anciennes et plus particulièrement les anglaises. Donc j'ai réintégré un local que j'avais professionnellement dans les années quatre-vingts à Alfortville où je m'occupe de faire du négoce, de la réparation et de la restauration de motos anglaises et de tout terrain. Ce sont principalement des Triumph, Norton, B.S.A., et des Husqvarna, KTM, SWM, etc.…
Il y a deux ans, avec Denis Boussard le photographe et un autre copain, nous sommes allés à Bonneville (en 2008 NDR) en spectateur. Pour quelqu'un comme moi qui adore les Triumph, c'est un lieu mythique. Depuis que je suis tout petit, j'ai des posters de Don Vesco, et c'est quelque chose qui m'a toujours attiré. Là, ce fut un véritable enchantement dans un véritable paradis des sports mécaniques avec que des gens extrêmement gentils. Bref, il fallait absolument que j'y revienne en tant que pilote. Dans les années quatre-vingts, pendant la période Afamac, on avait préparé plusieurs motos pour cette compétition.
Certaines ont été vendues, mais il nous restait une T110 de 1955 qui était la machine du frère d'un copain malheureusement décédé. Elle était déjà montée à l'époque avec des pistons haute compression, des arbres à cames au top, une boite cinq vitesses… bref elle avait du potentiel. Elle est restée une bonne vingtaine d'année sans être utilisée et lorsque ce nouveau projet a commencé à se dessiner, j'ai confié la machine à Franck Chatokhine qui l'a entièrement démonté. Tout était en très bon état ; nous avons bien entendu changé tous les roulements mais surtout, nous avons décidé de la faire tourner au méthanol.
Pourquoi au méthanol ?
Tout simplement parce que là-bas, il fait très chaud, et ce carburant brule à une température beaucoup plus basse. Donc, cela permet de diminuer les risques de surchauffe. Le deuxième avantage, c'est que l'on a un gain de puissance qui peut être de l'ordre de 10%, ce qui n'est pas négligeable, même si c'est au détriment de la consommation puisque cette dernière est multipliée par trois. Le troisième avantage, c'est que lorsque ça brule avec de la Castrol R, il y a une super odeur et c'est vraiment le panard.
Nous avons été faire des essais à Dijon. Cela marchait bien même si nous avons dû monter des gicleurs énormes. Pour te donner un ordre d'idée, avec de l'essence classique, on a un gicleur de 220, là, on est obligé de monter des 620. Là-dessus, nous avons donc décidé de nous engager pour aller courir à Salk Lake City. Nous avons monté un team avec mon ami Didier Coste avec cette Norton ES2 culbutée de 1935 que je lui ai vendu il y a une trentaine d'années et qu'il utilise toujours, ainsi que Vincent qui utilise cette Velocette Thruxton. Ensuite, il y a eu d'autres personnes qui sont venues se greffer. Nous avons loué un container pour envoyer les machines et nous sommes partis là-bas. Sur place, nous avons loué des camping-cars et nous avons rejoint le temple des sports mécaniques. Il n'y a pas beaucoup d'endroit sur terre où lorsque tu arrives, on te dit : « Plus vous allez rouler vite, plus vous allez faire du bruit, plus vous allez consommer y compris des carburants qui piquent les yeux et dont on ne sait pas trop ce que c'est, mieux vous serez considéré… ». On n'est pas habitué à ce genre de discours et tous les gens qui sont là ont une sorte d'addiction à cette course. Cela fait plus de soixante ans que cet évènement existe et la passion est toujours la même avec plus de 500 participants. Ils appellent ça la « Salk Fever », un peu à l'image de la « Saturday Night Fever ».
Donc le film « Burt Munro », ce n'est pas une légende…
Absolument. Lorsque tu es là-bas, tu as l'impression de vivre le film tous les jours et tu croises plein de mecs qui ont la même tronche que Burt Munro. Bien sûr, le film est un peu romancé car si tu ne t'inscrits pas à l'avance, cela risque d'être un petit peu compliqué. Mais à coté de cela, les gens du contrôle technique sont à la fois hyper rigoureux et en même temps, ils sont là pour que tu cours. Le bouquin du règlement est un truc épais comme ça. Pour te donner une idée, lors de notre contrôle, il y avait un truc au niveau de l'axe de la roue avant qui n'allait pas. Il faut savoir qu'ils sont deux commissaires avec une liste longue comme ça et au bout d'une demi-heure d'examen, ils comparent leurs fiches. Là, ils m'expliquent en américain que ça ne convient pas. Voyant ma mine déconfite, ils me disent que ce n'est pas grave et que s'ils sont là pour faire respecter le règlement, mais ils feront tout pour que l'on puisse rouler. Ils ont été chercher leur caisse à outils et on a démonté la roue avant. On est dans un autre état d'esprit.
Tu peux nous raconter ta course ?
Alors, la course, en fait, cela dure à peu près une semaine. Il n'y a pas d'essais. Tu te mets dans la file, tu fais ton run et puis voila. Si tu bas un record, tu vas en parc fermé, ils contrôlent que tout soit conforme, et tu dois réitérer ton exploit le lendemain.
Donc au début, on tâtonnait un petit peu, il fallait ajuster la carburation car la piste est à 1300 m d'altitude, avec une température d'environ 40°, et des variations hygrométriques très importantes d'un jour à l'autre. De plus, il faut bien choisir sa démultiplication finale en fonction du vent qui joue un rôle très important dans la chasse aux records.
Pour le premier run, nous avons réalisé 108 miles/h, puis 109, 112, 115, etc.… bref nous améliorions progressivement nos temps. Nous avons terminé par 118 et quelques, ce qui fait un bon 190 km/h bien tassé, sachant que le record dans notre catégorie était de 194 km/h. Du coup, nous avons peaufiné notre position, reculé la selle, abaissé le guidon et je suis reparti avec un vent légèrement arrière. Mais à 170 km/h, alors que je n'étais pas encore à fond, la moto s'est mise à merdouiller et c'est là que je me suis rendu compte que la machine avait pris feu. Je me suis arrêté comme j'ai pu, mais le problème, c'est qu'il n'y a pas de béquille latérale, et que si je couchais la moto, je savais que le réservoir allait se vider et que le problème allait empirer. Je me suis brulé le mollet et un peu la cuisse mais j'ai réussi à poser la machine et les secours sont arrivés très vite. Le circuit électrique, des durits et les fils de bougies avaient brulés, mais rien de dramatique. Malheureusement, il fallait quand même tout refaire, repasser le contrôle technique et j'avais quand même le mollet bien brulé.
Tu as vraiment voulu imiter Burt Munro jusqu'au bout…
Exactement… à tel point que lorsque nous avons été récupérer le container, tout était sens dessus-dessous, c'était un véritable enfer. Enfin, l'aventure s'est terminée là, mais nous sommes quand même contents, sachant que sur une piste salée, on perd à peu près 10 % de la vitesse de pointe par rapport à une piste goudronnée. Franck Chatokhine avait fait un super travail et toute l'équipe est revenue ravie de cette expérience.
Donc l'année prochaine, tu remets le couvert ?
J'espère. Nous allons essayer de peaufiner un peu plus la machine car elle est toujours dans sa configuration Afamac. Pour l'année prochaine, nous allons monter une roue avant plus fine afin d'améliorer la pénétration dans l'air et augmenter la cylindrée pour être dans la catégorie 750cc.
Il semblerait qu'il y ait un certain engouement en France pour cet évènement avec les « triplettes de Bonneville », ton team…
En fait, les gens, et moi le premier, se rendent compte que cet espèce de rêve qui tenait plus de la mythologie, n'est pas si irréalisable que ça. C'est une aventure formidable et il y a même Patrick Plisson, l'ancien pilote de GP qui est venu me voir et qui m'a dit qu'il aimerait bien venir avec nous.
Tu souhaites rajouter quelque chose ?
Je suis content de voir que cela représente un certain intérêt au niveau de la moto ancienne car on voit aussi beaucoup d'hayabusa et autres CBR, mais les véhicules anciens représentent une part non négligeable c'est vraiment une expérience très sympa.
Merci Marco et bonne chance pour la suite de l'aventure.
Merci à toi et à bientôt.
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