Citroën Ami : ceci n’est pas une auto
On la présente comme une voiturette, lui promet l’échec de la Renault Twizzy, et qui ne la trouve pas moche ? L’Ami est pourtant belle comme une révolution, celle qui permettrait la survie de la voiture en ville.
Comme aurait dit Magritte, ceci n’est pas une auto. Et c’est en quoi l’Ami est géniale.
Je ne vais pas m’attarder sur ses astuces d’aménagement ni sur la symétrique malice et radicale frugalité de sa conception.
Ce n’est pas une auto, mais un quadricycle léger et ça change tout : pas de crash-test à valider et une vitesse limitée à 45 km/h. Ce qui lui permet de se passer de tout ce qui a rendu nos voitures chères, obèses, gourmandes et encombrantes, et par là superfétatoires en ville où elles traînent leurs quinze quintaux sur quatre à cinq mètres de long à 10 ou 15 km/h de moyenne, et ce en consommant et polluant le double ou le triple de ce qu’avaient prévu leurs concepteurs.
Car est-il raisonnable de transporter en moyenne 1,2 personne, soit 100 kg de chair humaine, dans 1 500 kilos d’acier et plastiques ? Imaginez qu’une barquette de viande avec deux steaks soit une caisse en acier capitonnée de plastique moussé…
Dans 20 ou 30 ans, quand nous songerons que nous nous sommes véhiculés en ville un siècle durant dans des machines d’une tonne et demie crachant 50 à 200 chevaux et de la fumée de pétrole, cela nous fera la même impression qu’aujourd’hui en nous revoyant enfumer, au boulot, à la maison et en voiture, nos conjoints, enfants, amis, parents et collègues avec deux paquets de clope par jour débordant du cendrier, et jusque dans les repas de baptême ou de communion.
Ce que donne l’Ami, c’est ce qu’elle ne donne pas
Le génie de cette voiture réside dans ses renoncements. Renoncer à transporter cinq personnes et quatre grosses valises, à taper le 180, à pouvoir rouler 400 ou 1 000 km d’une traite, à avoir un tableau de bord d’Airbus, à afficher du style, une allure ou au moins un genre.
Tout ce dont déborde le marché automobile, tout ce qui n’est pas indispensable pour aller de Bois-Colombes à Boulogne-Billancourt ou de Vénissieux à Villeurbanne, à deux avec une valise ou des courses en trois fois moins de temps qu’il n’en faut en transports en commun.
En échange de ces renoncements, qu’offre-t-elle la petite Ami ? Se garer dans des trous de souris et se faufiler presque comme une grosse moto ? Oui, pour l’anecdote. Mais il y a surtout son prix : 6 000 €, bonus de 900 € déduit. Ou bien 20 € par mois après un premier loyer de 2 644 €.
Et un pareil tarif, celui d’un beau scooter 125, presque moitié moins cher qu’une Renault Twizzy, quatre fois moins qu’une Zoé, ça change tout. A ce prix, elle peut être la seconde voiture, purement urbaine, du banlieusard à la place d’une Twingo ou d’une Smart de troisième main.
Et pour le Parisien ou le Lyonnais qui la prendrait en voiture principale, la modicité de la facture – ou du loyer - laisserait de quoi louer une thermique et prendre le TGV les week-ends et vacances.
Beaucoup de foin pour une voiturette ?
Au-delà du tarif rikiki, de la pollution nulle et de l’empreinte au sol trois fois moindre qu’une « vraie » auto, ce minimalisme a d’autres avantages. Avec sa petite batterie de 5,5 kWh pour 70 km d’autonomie – crédible car sur cycle WLTP - la chignole se recharge en trois heures sur une simple prise de perceuse, en une heure sur une wallbox, le temps de faire ses courses sur une borne de rue 11 ou 22 kW ou de prendre un café sur une borne rapide.
Et puis une si petite batterie assortie d’un si petit moteur ne coûtera pas bien cher à remplacer et à recycler, contribuera peu à l’épuisement des ressources en métaux « rares » et ne mettra pas à mal le réseau électrique français.
Vous trouvez que je fais beaucoup de foin pour une voiturette ?
Possible, mais je n’en connais pas d’autre en version électrique à ce tarif ; chez Aixam ou Microcar, ça vaut du double au triple.
Et puis il n’y a pas d’auto plus adaptée à la ville qu’une voiturette. Une Renault Clio ou une Peugeot 208 ne méritent pas le qualificatif de citadine, ce sont de vraies petites routières familiales. Avec les critères des années 60, même la Twingo ou la Mini seraient considérées comme telles.
D’ailleurs, l’Ami n’est même pas une vraie voiturette. Les vraies, celles qu’on voit à la campagne, ne lambinent pas à 45 km/h, elles tracent à 70 ou 80 km/h après débridage au vu et au su de tout le monde, y compris des gendarmes qui ne trouvent rien à y redire.
L’Ami est une auto pour la ville, rien que pour la ville, toute la ville. Un usage trop limité ? Pas plus que celui d’un bon pourcentage des voitures des habitants grandes métropoles qui ne s’éloignent jamais bien loin de la rocade.
L’Ami, c’est de l’électroménager mobile, une machine à véhiculer
Vous la trouvez moche l’Ami ? Moi aussi, je trouve même une Smart racée en comparaison. Et alors ? L’Ami, c’est de l’électroménager mobile, une machine à se déplacer comme il y a des machines à laver le linge ou la vaisselle. Pas une expression de son statut social ou une affirmation de ses fantasmes de puissance ou d’évasion.
On peut détester ce faciès de bouledogue, ne pas vouloir se déplacer sans être précédé de son mètre cinquante de capot abritant la puissance d’une Porsche 911 modèle 1964, difficile de ne pas reconnaître que pour circuler en ville on peut difficilement faire plus adapté.
A titre personnel, je suis plutôt apôtre du deux ou trois roues à moteur comme solution de raison pour les déplacements urbains.
Mais en quarante ans de prêche, je n’ai converti personne, pas fait un seul adepte qui ait lâché le volant ou le pass Navigo pour un guidon. Même en promettant non pas la vie éternelle, mais une heure d’existence gagnée chaque jour et la joie du chien de berger au milieu du troupeau.
J’ai bien dû m’y résoudre, la moto ou le scooter ne seront jamais des transports de masse. Le vélo non plus, hélas, même à assistance électrique, pas plus que la trottinette. Le premier ne convainc qu’une marge de courageux comme la seconde qui n’est, la plupart du temps, qu’un substitut à la marche.
Pour autant, faut-il nous résoudre à grimper dans le bus ou à descendre dans le métro ? C’est, dans les grandes villes en tout cas, ce qui nous attend si nous ne révolutionnons pas nos autos.
La révolution de l’usage minimum
Cette nécessaire révolution consisterait à adopter enfin une bonne partie de ces objets à la façon dont nous les utilisons vraiment.
Depuis les origines de l’automobile on choisit sa voiture, dans la limite de ses moyens, en fonction de son usage maximum : partir à l’autre bout du pays, famille au complet avec armes et bagages, en prenant bien sûr les autoroutes allemandes… quitte à ce que cette voiture parcoure 80 à 100 % de ses kilomètres en ville, sur une voirie limitée à 50 et bientôt 30 km/h.
La minuscule Citroën parie, elle, sur l’usage minimum du citadin - aller au boulot à cinq ou quinze kilomètres en déposant un gamin à l’école et en revenir avec les courses.
Ce qui est proprement révolutionnaire.
Et la moindre des choses pour une Citroën.
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