Sur le chemin du circuit où nous aurons la chance d'en prendre le volant, difficile de ne pas sentir monter une certaine appréhension. Les TVR sont synonymes de véhicules sans concession, conjuguant un rapport poids/puissance surréaliste, une absence totale d'aide à la conduite et une réputation de faiseuse de veuves à faire pâlir d'envie une Porsche 930. 1 100 kg, c'est moins qu'une Renault Twingo RS. 406 ch, c'est plus qu'une Ferrari F360 Modena. Pas d'ABS (malgré les directives européennes), pas d'ESP (malgré une puissance envoyée exclusivement aux roues arrière) et même pas d'airbag (malgré la forte probabilité d'en avoir besoin). Heureusement, j'avais à ma disposition un circuit et un pilote instructeur sur le siège passager en la personne de Baptiste Lassagne et ses nerfs d'acier, de chez driftngrip.com qui propose ce genre de baptême normalement à destination des particuliers.
Découvrir la Sagaris en vrai pour la première fois dans la brume matinale ne fait rien pour rassurer. Sa face avant est bestiale : des dents de tigre, des yeux de vipère, des ouïes de requin blanc, avec un profil extrêmement râblé aussi long qu'une Peugeot 207. L'arrière n'est pas plus réconfortant avec des échappements latéraux surmontés de feux rappelant des yeux de mygale, le tout coiffé d'un aileron... en verre.
on redécouvre les angoisses d'un jeune conducteur livré à lui-même
Monter à bord présente déjà des difficultés : avec une absence totale de poignée sur la porte, c'est sous le rétroviseur qu'il faut aller chercher un bouton pour l'ouvrir. Et c'est là qu'on se rappelle que la TVR Sagaris n'a officiellement existé qu'en conduite à droite à de très rares exceptions près, histoire de compliquer un peu plus une situation qui n'en avait pourtant pas besoin. La place à l'intérieur, à l'arrangement très original, est comptée, et malgré le bossage dans le toit côté conducteur, ma tête casquée touche le plafond. Le pédalier non suspendu, comme dans une Formule 1, est lui un peu décalé vers la droite, tandis que le levier de changement de vitesse est désespérément loin à gauche. Très incliné, le pare-brise quant à lui donne l'impression de regarder à travers une boîte aux lettres. Je commence déjà à transpirer : face à une Sagaris, on redécouvre les angoisses d'un jeune conducteur livré à lui-même au lendemain de l'obtention de son papier rose.
Démarrer se fait, par un soudain manque d'originalité étonnant, à l'aide d'une bête clé sur la colonne de direction. Le 6 cylindres en ligne atmosphérique de 4,0l s'ébroue instantanément dans un grondement rageur avec une absence totale d'inertie. Je le vois bien d'ailleurs, puisque le capot moteur a été enlevé pour lui permettre de mieux refroidir... Passer la première donne le ton : la boîte, dure et même très dure, nécessite un embrayage impérativement enfoncé jusqu'à la butée pour changer de rapport. La manipuler avec une stupide main gauche dont le rôle se borne habituellement exclusivement à actionner le bouton des vitres électriques est aussi une difficulté supplémentaire, sans parler de ma paume moite qui rend maintenant glissante la boule en aluminium du changement de vitesse. L'angoisse monte alors que je m'engage sur la voie d'accélération accédant au circuit.
Le premier enchaînement de virages permet d'apprécier une direction directe et précise par laquelle le train avant remonte des torrents d'information, ainsi que des suspensions fermes sans être dures mettant en confiance. Mais la méfiance reste de mise : il est vital, au sens littéral du terme, de garder en tête que les étriers mordent à pleines dents et sans retenue électronique dans les disques de 322 mm à l'avant et 298 mm à l'arrière tandis que les 406 chevaux piaffent d'impatience et ne demandent qu'à faire passer le train arrière devant le train avant. Tout geste se doit donc d'être calculé, toute impulsion du volant se fait au millimètre, toute flexion de la cheville droite ou gauche est au degré près : vous êtes seul aux commandes. Heureusement, l'arrivée de la puissance et du couple est particulièrement progressive et modulable précisément grâce à un touché de pédales exceptionnel.
Les tours s'enchaînent et, si la concentration est toujours de mise à chaque instant, la peur cède petit à petit la place au plaisir. Un plaisir qui ramène quelques décennies en arrière, un plaisir pur, celui, même s'il n'est pas forcément flatteur, de savoir que l'on est responsable de tout ce qu'il se passe, partagé probablement avec l'alpiniste sans corde de sécurité ou le trapéziste sans filet, le plaisir d'être simplement maître de son destin, libre.
Il est alors temps de rentrer aux stands. Au moment de s'extraire de l'habitacle, trempé de sueur mais avec un sourire irrépressible barrant mon visage, une chose est sûre : le reste de la production automobile du 21ième siècle est bien fade à côté de cette TVR Sagaris.
Remerciements à driftngrip.com et à pilotagepassion.fr
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