"Il a l'air suédois, l'accent suédois et le tempérament suédois. Ce peuple cultive la neutralité, non seulement politique mais émotionnelle. Mais à bord de sa voiture, c'est une autre histoire..." disait de lui Jackie Stewart. Flegmatique, presque glacial à la ville mais éclatant de brio au volant, Ronnie Peterson fut sans doute l'un des pilotes les plus rapides de sa génération, si ce n'est le plus rapide.
À la sortie de la chicane, au pied de la célèbre tour de chronométrage de Montlhéry, la petite monoplace blanche fait un écart. La roue avant droit accroche une botte de paille, la voiture se cabre et soudain se retourne. L'arceau raye le ciment dans une immense gerbe d'étincelles et soudain la paille s'enflamme. Le pilote s'agite, mais ne peut s'extraire de l'étroite coque. Il ressent déjà les premières morsures de l'incendie sur ses bras. Tout va ensuite très vite, en quelques secondes, la voiture est redressée, le pilote tiré vigoureusement hors de la monoplace, tandis que les extincteurs étouffent les flammes. Groggy, mais souffrant heureusement de brûlures superficielles, Ronnie Peterson reprend ses esprits à l'hôpital de Sceaux. Son mutisme inquiète les médecins qui ne décèlent pourtant aucune lésion grave. Le grand pilote suédois est tout simplement désespéré. Sans nouvelle de ses employeurs venus pourtant tout exprès d'Angleterre, il croit que tout est perdu...
Tout avait bien commencé pourtant en premier dimanche d'octobre 1969. Joliment éclairé par un bon soleil d'automne, le vieux circuit parisien a fait le plein pour les traditionnelles Coupes du salon. Une affiche de gala avec une course de Formule 3 qui s'annonce d'ores et déjà somptueuse. Les quatre ténors de la saisons sont là : Ronnie Peterson évidemment, Emerson Fittipladi, Tim Schenken et Reine Wisell, mais aussi les Français Depailler, Jabouille, Jaussaud et Mazet, des Italiens dont Vittorio Brambilla et bien sûr quelques-uns des meilleurs spécialistes des courses britanniques. Un plateau de rêve qui vient conclure l'une des saisons les plus relevées de la Formule 3. Une énième bataille de prestige entre les "quatre grands" qui ont pratiquement tout raflé à tour de rôle. Ils ont tous déjà un pied en Formule 2 et les observateurs avisés prédisent sans gros risque, leur accession en F1 dans un avenir proche. Parmi eux, Ronnie Peterson, le dernier vainqueur du GP de Monaco F3 semble tenir la corde. Il est au volant de la nouvelle March 693, la première monoplace d'un nouveau constructeur britannique qui déjà programmé son entrée en Formule 1 pour 1970. Pour l'instant, il n'a qu'une simple promesse de contrat et cette épreuve face à tout le gratin de la F3 apparaît comme un ultime test. Un succès ou à défaut un podium pour inaugurer le palmarès de la jeune marque lui vaudrait sans aucun doute la reconnaissance de ses futurs employeurs...
Et puis, cette stupide cabriole qui vient ruiner tous ces beaux projets d'avenir et anéantir son rêve de gosse.
Depuis l'âge de huit ans, il ne vit que pour la vitesse et compétition. Élève peu appliqué, enfant solitaire et peu expansif, il ne semble s'animer aux plaisirs de son âge que lorsqu'il dévale la colline voisine aux commandes d'une caisse à roulettes. Plus tard, il disparaîtra loin de tous, des journées entières au guidon de son vélo de course avant de goûter aux joies du karting avec un petit engin construit par son père. Soucieux d'en finir le plus vite possible avec l'école, il se fait engager à seize ans, comme apprenti dans la concession Renault d'Orebro, sa ville natale, passe son permis moto et veut s'acheter une 250 cm3. "Papa Peterson" qui fut lui-même pilote-constructeur d'une F3-500 à la fin des années quarante, a toujours encouragé son fils à devenir pilote, mais ce sera sur quatre roues ou... rien !
Ronnie s'incline, d'autant que son père décide de lui construire un vrai kart 200 cm3 en 1962. Aux commandes de la machine familiale, Ronnie enlève son premier titre national l'année suivante. Sacré à nouveau en 1964 et 65, il se lance dans une carrière inter, remporte le titre européen en 1966, mais échoue à la 3e place au championnat du monde. Déçu, mais aussi lucide sur son handicap de taille et de poids, Ronnie décide de se lancer en Formule 3 avec une monoplace, la Svebe, construite son père. Superbement réalisée la voiture, copie d'une Brabham, coûte finalement deux fois plus cher que l'originale et se révèle nettement moins performante. Revendue à l'automne 1966, la Svebe est remplacée par une bonne Brabham BT 18 avec laquelle Ronnie commence à se tailler une petite réputation. Ainsi, en 1967, il est intégré à l'équipe de Suède de F3 alignée à la Coupe d'Europe des nations à Hockenheim. Il y retrouve les frères Pederzani connus à l'époque du Karting et qui engagent désormais une Tecno en F3. Subjugué par les performances de la monoplace italienne menée au-delà du raisonnable par un certain Clay Regazzoni, Ronnie décide aussitôt d'en commander une pour la saison 1968. Avec son empattement court, la Tecno est en parfaite adéquation avec son style de kartman. Le succès ne tarde pas. Il enlève 12 victoires en 26 courses, remporte le titre national et se fait connaître sur le plan international après une 3e place au GP de Monaco. En cours de saison, Ronnie est devenu pilote professionnel, il a remboursé toutes ses dettes, mais il n'est encore que "l'autre Suédois qui va vite". La vedette, c'est Reine Wisell, sûr de lui et de son charme, parlant anglais sans accent et triomphant des meilleurs de la F3 sur tous les circuits européens. La promotion de deux espoirs pour une petite nation automobile comme la Suède est des plus incertaines et leur rivalité sera féroce même si les deux hommes sont devenus les meilleurs amis du monde !
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