Coiffé de son éternel "panama" blanc, Toto Roche, l'emblématique directeur de course de Trophées de France, les mains crispées sur la hampe de son drapeau à damiers voit l'avance de la petite monoplace bleue fondre comme neige au soleil. Tête baissée, son pilote regarde fixement la ligne blanche tracée sur le sol. Il ne voit pas le drapeau s'abaisser au dessus de son capot, mais il sait qu'il a gagné. Avec deux centièmes de secondes, Jean-Pierre Beltoise et Matra viennent de remporter le Grand Prix de Reims.
Ce 4 juillet 1965 est une date historique pour le sport automobile français. Cette première victoire de portée internationale d'une monoplace "bleue" depuis plus d'une décennie, prend à Reims un relief particulier et un écho certainement démesuré. Mais, après le triomphe, en 1952, de la Gordini de Behra face aux Ferrari et Maserati sur ce même tracé aucun pilote français sur une voiture française n'a accompli pareil coup d'éclat.
Avec le retrait des Gordini en 1956, la tragique disparition de Behra en 1959, le public se cherche désespérément de nouveaux héros. A l'image du pays, le sport automobile français vit sur ses souvenirs d'une grandeur passée, s'empêtrant dans des dynamiques d'un autre âge. A l'aube des années 60, tout est figé dans cet univers en noir et blanc qui semble refuser de s'ouvrir sur un monde qui a la couleur de la jeunesse. Les faits n'incitent d'ailleurs pas à l'optimisme: les Britanniques règnent en maître sur le monde des grands prix où le vétéran Maurice Trintignant assure la seule présence française sur une BRM, tandis qu'aux 24 Heures du Mans, les victoires françaises aux "prix de consolation" que sont les différents indices ne font vibrer qu'une poignée d'initiés. Pourtant, en 1964, tout change, tout s'accélère brusquement... grâce à un nouveau débarquement américain. Le duel Ford-Ferrari vient de débuter. Habituellement résigné à un énième succès Ferrari, la presse, les radios et même l'ORTF sortent de leur léthargie pour couvrir l'événement. Entre les promesses d'exploits de Michel Jazy aux prochains JO de Tokyo et le duel Anquetil-Poulidor, la course auto retrouve enfin sa place dans les conversations sur le coin d'un zinc de bistro ou dans les cours de récréation.
A l'image du château de la Belle au bois dormant, la France automobile sort d'un long sommeil et avant de courir, elle doit réapprendre à marcher. Si les plus jeunes se contentent, pour l'instant de suivre les exploits de Michel Vaillant dans le journal de Tintin, leurs aînés cherchent désespérément le moyen d'assouvir leur passion. Face à ce renouveau, la première école de pilotage Winfield ouvre ses portes à Magny Cours, le magazine Sport-Auto et Europe n°1 lancent la Coupe des Provinces, la première véritable formule de promotion disputée sur des Lotus Seven, tandis que Renault lance sur le marché la légendaire R8 Gordini. L'entrée en scène de Matra au même moment et les premiers exploits de Beltoise seront les véritables détonateurs.
Une étincelle porteuse de défis et d'espoirs qui va enflammer d'une folle passion le public français pendant sept ans.
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