Franck quitte sa place de stationnement de l’APF. Il doit se rendre à Paris pour des raisons professionnelles et nous l’accompagnons. Je l’observe manipuler la fourche et le tiré poussé : il est vraiment très à l’aise et attentif à son environnement. Il est comme un poisson dans l’eau! Il a une conduite dynamique, précise et je ressens son bonheur de conduire sa voiture quotidiennement. Franck me dit : "Je n’ai jamais eu d’appréhension en conduisant : je suis un être humain à part entière, j'ai envie de vivre comme les autres et je ne veux pas me dévaloriser ou ressentir un manque de confiance en moi, tout ça parce que j'ai un handicap !"
A un moment donné, nous passons dans une rue où des places pour handicapés sont présentes. Franck me dit qu’elles ne sont pas du tout aux normes, et que d’ailleurs il n’existe à Paris que 10 places aux normes, c’est-à-dire qui font 3m30 de large. Franck décide de s’y arrêter pour nous prouver à quel point cela peut être dangereux pour sa sécurité et celle d’autrui. Les images parlent d’elles-mêmes!
Nous allons ensuite dans le 11e arrondissement, Bd Bastille. Franck nous montre alors le système d’arceau pour les places destinées aux handicapés.
Nous voyons que cette place respecte les normes, mais bien sûr il y a certaines conditions à remplir pour pouvoir en bénéficier. Tout d’abord, il faut être muni d’une télécommande afin de faire fonctionner l’arceau qui protège la place : les personnes handicapées doivent se rendre à la mairie de Paris pour l’obtenir. Conclusion, il faut être parisien afin d’avoir le privilège de s’y garer. Franck est domicilié à Valenciennes, il est immatriculé 59, donc il ne peut pas profiter de cette place. Franck a tenu à ajouter que ce système n’est pas toujours au point : certains arceaux fonctionnent mal ou sont cassés. Il fait également un parallèle avec les places pour handicapés dans certaines grandes surfaces : pour lui, c’est pire que ce système et c’est très avilissant. Les places sont entourées de barrières et il est obligé d’avoir un badge pour y accéder : les handicapés sont ainsi parqués comme des animaux. Ils doivent justifier de leur handicap. La vérité : les grande surfaces veulent éviter que les forces de l’ordre mettent des PV aux clients qui se sont garés sur les places pour handicapés ou que leur voiture soit mise à la fourrière, tout simplement pour ne pas perdre des clients : aberrant ! Et dans la journée, les automobilistes valides respectent les places de parking pour handicapés. Par contre, le soir, c’est une autre histoire… ils occupent parfois les places.
En route pour l’autoroute
L’après-midi, nous quittons Paris : nous prenons l’autoroute A6.
Le premier sujet que nous évoquons est la sécurité sur l’autoroute. Et si jamais Franck tombe en panne, que peut-il faire ? La réponse est cinglante : il ne peut rien faire. Il n’a pas la possibilité d’atteindre les bornes d’appel d’urgence en fauteuil roulant pour signaler sa panne et il ne peut pas se mettre derrière les glissières de sécurité pour se protéger, sachant que l’espérance de vie d’un piéton sur l’autoroute est de 20 minutes ! Franck s’estime heureux de ne jamais avoir été confronté à ce problème mais si un jour cela arrivait…
Nous avons le temps de discuter pendant le trajet et nous continuons de parler bien entendu des transports et de l’handicap. A Paris, on dénombre 43 000 personnes qui sont en fauteuil roulant et en tout 120 000 personnes qui ont un handicap. Franck nous dit qu’il y a un immense retard en matière de mesures destinées aux handicapés. Mais depuis que Bertrand Delanoë a été élu maire de Paris en 2001, les choses bougent : ils sont enfin écoutés et reconnus. En effet, le budget consacré à l’accessibilité aux handicapés a été multiplié par dix. Franck participe à de nombreuses commissions et réunions pour traiter de l’accessibilité des handicapés, que ce soit pour les transports et les lieux publics. D’ailleurs, depuis le 18 novembre 2004, la Région Île-de-France met en place un Conseil régional consultatif des citoyennes et citoyens handicapés qui donne la parole aux principaux intéressés : des citoyens handicapés participent directement à ce conseil. C'est une première en France. Il a pour objectif d’apporter des éléments d’orientation visant à améliorer la prise en compte des situations d'handicap en Île-de-France et d’instaurer une participation active des citoyens handicapés à la vie de la Région : les progrès réalisés serviront également aux autres villes françaises. D’après Franck, 25 lignes de bus et des PC sont considérés comme "accessibles" : ils disposent d’une palette qui se déploie. Ils sont accessibles oui, mais une seule personne handicapée peut monter par bus ! Par exemple, Franck ne peut prendre le bus avec un ami en fauteuil roulant. Puis cela prend au moins 5 minutes pour déployer la palette - quand elle ne tombe pas en panne -, il faut que quelqu’un vous aide à entrer dans le bus et aux heures de pointe c’est infernal … ce n’est pas facile et en plus on perd beaucoup de temps. Et ce n’est même pas la peine d’envisager de prendre le métro : il ne peut pas du tout y accéder. C’est pour cette raison qu’il prend toujours sa voiture afin de se déplacer : il évite le plus possible les transports en commun. Franck est également touché par la hausse du prix du pétrole ! Les médias évoquent les taxis, les commerciaux et les handicapés dans tout cela ! D’après Franck, ils n’ont que ce moyen pour se déplacer rapidement, ils n’ont pas d’autres alternatives ! Ils sont coincés, ils subissent mais n’osent rien dire !
Conduisez même si vous êtes handicapés !
Franck parle ensuite des automobilistes handicapés. Ils sont peu nombreux sur les routes mais pas seulement à cause du coût d’une voiture aménagée : ils ont peur de conduire en raison de leur handicap. Par l’intermédiaire de ce reportage, Franck souhaite leur démontrer que c’est tout à fait possible de conduire, même en ayant un handicap sévère. Tous les handicapés peuvent être autonomes mais ils ne le savent pas. Et ils craignent de même le regard d’autrui. Ils se disent : que vont penser les personnes valides en voyant un handicapé au volant ! Pour Franck, il ne faut pas que la peur de regard d’autrui soit un frein à l’épanouissement personnel ! Les êtres qui sont obèses, très petits, qui s’écartent de la norme peuvent subir ce regard, mais tout le monde n’a pas des préjugés sur les gens qui sont différents, heureusement ! Il est important de vivre pour soi, de se fixer des objectifs à atteindre et de tendre la main aux autres au lieu de les juger. Franck a une anecdote à nous raconter : un jour, il s’est fait arrêter par un policier qui faisait un contrôle de routine. Le policier n’avait pas vu son handicap au premier abord, et c’est en se penchant vers lui et en voyant l’équipement et son fauteuil qu’il s’en est aperçu. Franck a senti ce policier très mal à l’aise et gêné car il avait arrêté un handicapé. Mais après tout, il est une personne comme les autres et il se soumet aux contrôles de routine comme les autres ! Pas de différence ! D’ailleurs, il tient à préciser aux conducteurs non handicapés qui auraient des a priori sur les conducteurs handicapés, que statistiquement, il y a beaucoup moins d’accidents chez les personnes handicapées que chez les personnes valides ! Les personnes handicapées ont davantage conscience du risque de la route, de l’importance d’une vie humaine, étant confronté quotidiennement à leur handicap, qu’il soit de naissance ou provoqué par un accident de la route. Et Franck est révolté car les médias parlent toujours du nombre de tués sur la route, mais évoquent rarement les gens qui restent handicapés à la suite d’un accident : par an, il y a 500 personnes handicapées en plus qui sont recensées. Franck veut aussi s’adresser aux automobilistes qui ne respectent pas quelque fois les places de parking ou qui peuvent avoir un comportement dangereux ponctuel sur la route : beaucoup de gens se croient à l’abri du handicap, n’y pensent pas, mais cela peut arriver à tout le monde. On peut avoir un accident ou un enfant qui naît avec un handicap. Il est primordial de ne pas se voiler la face, d’ouvrir les yeux sur le handicap et de se respecter les uns les autres.
Après une vingtaine de kilomètres parcourue, nous arrivons à une station-service pour faire le plein. D’autres difficultés nous attendent…
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