Z comme zarbi
Fréquente dans les années 60 grâce à la Citroën Ami 6, la lunette arrière inversée a disparu presque aussi vite qu’elle est venue, sans causer tellement de regrets. Il faut dire qu'elle signait des carrosseries étranges ! Retour sur un élément de style fort et bizarre à la fois.
Quand j’étais tout minot, si j’identifiais aisément la Citroën Ami 6, je confondais la Ford Anglia et l’Autobianchi Lutèce. Ces trois modèles, encore assez courants en France dans les années 70, arboraient tous un détail stylistique similaire : la lunette arrière inversée. La française étant la seule à disposer de 4 portes, et de lignes globalement très tourmentées, elle n'avait aucun mal à surpasser dans l'étrangeté ses deux rivales.
Ce gimmick de la lunette inversée nous vient des Etats-Unis, comme à l'époque bien d’autres éléments de style, les ailerons arrière par exemple. On en trouve d’abord des traces sur un concept, en 1953, la Packard Balboa X. Cette lunette a pour avantage de rester propre sous la pluie et la neige. Mais Packard, mal en point, ne produira pas la Balboa, et s’alliera en 1954 à Studebaker. Celui-ci présente la même année sa nouvelle Champion? Ce modèle, qui a très certainement inspiré Flaminio Bertoni pour finaliser la Citroën DS, arbore des montants arrière inversés, mais la lunette, panoramique, ne suit pas le mouvement, adoucissant au contraire une silhouette élégante. Mais attendez un peu.
En 1955, ce sont des carrossiers italiens qui tentent l'inversion de lunette arrière débouchant sur une poupe en Z. Pinin Farina, qui dessine ainsi un coupé sur la base de la Fiat 600, et Vignale, dont le designer favori Giovanni Michelotti ose une Rolls-Royce à l'arrière étrange. Chacun des ces deux modèles restera unique.
Un an plus tard, le groupe Ford s’inspire de la Stubebaker et de la Packard 1953 via sa marque Mercury avec sa Turnpike Cruiser modèle 1957, donc présentée en 1956. Elle dispose de montantrrière inversés, mais la lunette, panoramique, s'incline toujours de façon classique. Elle dispose d’une partie ouvrante, particulièrement agréable car elle aère l’habitacle. Toujours dans le groupe Ford, Lincoln pousse le bouchon plus loin sur la Continental Mark III révélée fin 1957 : cette fois, la lunette ouvrante, insérée entre les montants inversés, est plate, donc inversée comme eux. C’est une première sur une automobile de série.
Elle descend derrière les sièges, là encore pour ventiler le cockpit. Cet élément de style dont Ford semble très fier (il en a racheté les droits à Packard-Studebaker) traverse l’Atlantique, et en 1959, c’est la petite Ford Anglia, fabriquée en Angleterre, qui en bénéficie. Cette familiale bon marché, concurrente de la Mini, connaîtra un grand succès, mais sa remplaçante, l’Escort, reviendra à une lunette inclinée traditionnellement, en 1968.
Dans une gamme supérieure, toujours chez la division anglaise de l’ovale bleu, on voit surgir dès 1961 la Consul 315/415, nettement moins réussie que l’Anglia dont elle copie l'arrière en Z. Cette berline moyenne ne se vendra d’ailleurs pas très bien même si elle avait le mérite de faire peur aux petits enfants, par les nuits de pleine lune.
La même année, un constructeur de modèles à trois roues, Bond, propose, lui aussi une petite berline à lunette inversée : la Minicar, un des engins les plus bizarres de l’époque. Reliant, l’autre spécialiste des « three-wheelers », se sentant certainement offensé d’être ainsi distancé dans l’improbable détaxé, lance également une petite berline à lunette inversée en 1962 : la Regal. Celle-ci connaîtra une carrière assez longue, puisqu’elle fera subir son look assez peu supportable jusqu’en 1973.
Traversons la Manche pour se rendre en terre honnie, la France, et revenons en 1961. Les gamins français ont, eux aussi, de quoi faire des rêves terrifiants : Citroën lance l’Ami 6, qui augmente à l'extrême l'angle d'inclinaison de la lunette. Comme Packard, Citroën, via son patron du bureau de style, Flaminio Bertoni, résout une problématique fonctionnelle : ici, créer sur la base d’une 2CV une berline 3 volumes (ordre du grand chef du double chevron, Pierre Bercot) aux places arrière faciles d’accès et logeables. La lunette inversée est la seule solution, et Bertoni la pousse à un extrême. Il déclarera même que l'Ami 6 est l'auto dont il est le plus fier : étonnant sachant qu'il a dessiné les superbes Traction et DS...
Très étrange et pas si bon marché, l’Ami 6 se vendra néanmoins très bien, parvenant même à la première place du marché français… grâce à la version break, bien plus agréable à l’œil et plus populaire que la berline. Au moment de restyler celle-ci, Citroën se résoudra à adopter une poupe « fast-back », ce qui donnera l’Ami 8, en 1969.
Autobianchi, là encore pour des questions de fonctionnalité, recourt également à la lunette arrière inversée (très faiblement cela dit) sur sa minuscule Bianchina Berlina Quattro Posti, vendue en France sous l’appellation Lutèce dès 1962. Diversement appréciée, elle sera, tout comme l’Ami 6, moins populaire que la variante break dénommée Panoramica. D’ailleurs, la Lutèce tente de masquer l’orientation de sa lunette par des montants orientés vers l’avant, ce qui lui donne un drôle de pavillon. L’A112 la remplacera avantageusement en 1969.
Toujours en 1962, l’épidémie se répand au Japon, où Mazda lance sa première voiture à quatre places : la Carol. Succédant à la biplace R360, elle arbore une lunette arrière inversée, pour les mêmes raisons que les Ami 6 et Autobianchi Lutèce, d’autant que comme celle-ci, la japonaise s’équipe d’un moteur arrière. Etrangement, la nippone s’avère agréable à regarder et perdurera jusqu’en 1970.
Si l’on excepte la Cèdre Midinette de 1975, une auto électrique française sans permis (pas inintéressante d’ailleurs), il faut ensuite attendre 1999 pour qu’un autre constructeur ose s’aventurer sur le terrain de la lunette arrière inversée. Il s’agit de Toyota, sur la Will Vi. D’un look très original, ce qui est inhabituel pour le premier constructeur mondial, elle s’adresse à une clientèle branchée, pour laquelle toute une gamme de produits badgés Will a été développée : stylos, baladeurs… Malheureusement, le look néo-rétro de la Will, qui s’inspire sans grand succès de la Carol, ne prendra pas et elle sera retirée dès 2004.
Juste à temps pour voir arriver la dernière auto à lunette arrière inversée : la Citroën C4 Coupé. Soyons justes, c’est juste la partie inférieure de cette lunette bipartite qui inverse son orientation, et l’ensemble de la voiture s’avère plutôt plaisant à regarder. C’est la seule bicorps à oser cet élément de style. Connaissant un certain succès, cette Citroën à trois portes ne sera pourtant pas remplacée.
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