Voitures électriques : on va en manquer !
Alors que nous n’avons jamais eu à ce point besoin de voitures électriques, celles-ci vont bientôt manquer. Faut-il gérer la pénurie en les réservant à ceux qui en feront le meilleur usage ?
Dans un marché automobile qui dévale la pente - dixième mois de baisse avec moins 20 % en mars - et où même les ventes d’occasion se tassent, la voiture électrique se porte comme un watt.
On peut même parler d’un boom avec une hausse de 40 % au premier trimestre 2022 et, le mois dernier, une part de marché à 13,5 % tutoyant désormais celle du diesel qui plonge à 14,3 %.
Faut-il se réjouir de la montée en puissance de la voiture électrique ?
Admettons que oui, mais il faut aussi parier qu’elle sera résistible faute de production suffisante.
+ 6 190 € pour la Tesla, + 1 300 € pour la Spring
Car la watture (il faut vraiment que je lui trouve un autre surnom) est archi gourmande de ces matériaux et composants exotiques qui viennent à manquer. À la hausse continue ces dernières années des cours du lithium et des métaux rares, à la pénurie de semi-conducteurs depuis le Covid, il faut désormais ajouter l’embargo sur les métaux russes qui fait flamber les cours de l’aluminium, du magnésium, du nickel, du cuivre et jusqu’au minerai de fer.
Sans oublier l’emballement des cours du gaz et de l’électricité : il faut presque deux fois plus d’énergie pour fabriquer une électrique qu’une thermique.
De fait, tout se conjugue pour renchérir ses prix, déjà son principal frein à l’achat. En un an, le tarif hors bonus de la Tesla Model 3 « de base » a bondi de 6 190 €, celui de la Dacia Spring vient de gonfler de 1 300 € et si les ventes n’ont pas fléchi pour autant, ce sera sans doute bientôt l’offre qui fera défaut.
Regardons les choses en face : l’objectif d’un marché à 100 % de voitures électriques d’ici treize ans, si tant est qu’il ait jamais été réaliste, est devenu une chimère. Sauf à nous approvisionner massivement en Chine, la production ne pourra satisfaire la demande qui, elle, est bien réelle. Et même urgente pour les gros rouleurs du quotidien que ruine le litre à 2 euros.
De la confiture pour les cochons…
Comme les carburants resteront chers, très chers, pour longtemps, sans doute pour toujours voire encore d’avantage, comme on ne modifiera pas en cinq ou dix ans l’aménagement du territoire, une énorme frange de la population rurale ou péri-urbaine a, qu’elle le veuille ou non, un besoin vital de la voiture électrique.
Ce qui est ballot, c’est que les dizaines de milliers qui se vendent (20 000 en mars !) ne sont pas achetées par ceux qui en feraient le meilleur usage. Mais, pour l’essentiel, un vendeur normand me le confiait récemment, par des retraités écolos, des urbains aisés, des cadres sup, des branchés (cas de le dire) ou voulant le paraître. Peu de ruraux et pas beaucoup de gros rouleurs.
Autrement dit, de la confiture pour les cochons.
Car si elle n’abat pas de gros kilométrages, une électrique n’a aucun intérêt environnemental : elle ne remboursera que très tard en non-émissions de C02 la dette carbone émise à sa fabrication. Et ne permettra pas de gros gains ensuite.
Et aucun intérêt social si elle ne remplace pas, dans un budget sous contrainte, des hectolitres de carburant à 2 € le litre par de l’électricité à 17 centimes le kWh.
Vu son autonomie et les contraintes de sa recharge, ce n’est qu’avec de longs trajets quotidiens et des recharges à la maison que cet usage intensif est possible. Pas en allant de Puteaux à Levallois par les quais de Seine puis à Deauville parfois le week-end, en passant par le super-chargeur de la station d’autoroute.
Diffuser ces autos en milieu rural auprès de ces gros rouleurs du matin et du soir, qui ont tous le 220 V dans le garage, aurait un autre intérêt pour la société : ne pas dépenser des milliards d’euros dans un réseau de recharge public.
Je vous dessine un gilet jaune ?
Vous voyez le tableau ? Pénurie de voitures électriques d’un côté, et de l’autre une énorme masse d’automobilistes qui en a désormais un besoin impérieux. Si le mot « impérieux » ne vous évoque rien, je peux vous dessiner un gilet jaune.
Il faut assimiler cette nouvelle donne : en plus de l’urgence environnementale, la voiture électrique répond aujourd’hui à une urgence sociale.
Comment a-t-on traité la dernière urgence sociale (et sanitaire), quand il a fallu répartir les premiers vaccins contre le Covid, rares eux aussi ? Pas au plus offrant, pas à 300 € la dose, mais à ceux qui en avaient le besoin le plus vital : les vieux d’abord, les moins vieux seulement ensuite.
Voici pourquoi l’actuel mode de subventionnement de la voiture électrique est absurde : 6 000 euros de bonus pour tout le monde puis au mieux 5 000 € (mais plus souvent 2 500 €) à la condition d’expédier à la casse une voiture qui aurait pu servir au fiston ou à la belle-sœur.
Soit, pour une raisonnable Peugeot e-208, 22 950 € au mieux de « reste à charge » et plus sûrement 25 450 €.
Abandonner le bonus en mode arrosage automatique
Dans les populations considérées ici, qui a un tel montant à investir dans une voiture ? Qui peut obtenir un crédit pour une telle somme ? Combien de temps pour l’amortir en économie de carburant ? Pour une Dacia Spring, on tombe au mieux à 7 690 €, et d’ailleurs, ce sont les seules électriques, avec quelques Zoé, que l’on voit dans les campagnes. La Spring, super petite auto, mais 4 places. Et qui partirait en vacances ou même en week-end à son volant ?
Bref, pour l’essentiel, les milliards de la PAC auront servi à subventionner l’achat de voitures électriques à ceux qui n’en font pas le bon usage. Et à cofinancer l’acquisition de thermiques qui n’émettent pas moins de C02 que celles qu’elles remplacent, seulement un peu moins de NOx et de particules, ce qui à la campagne n’a pas un intérêt considérable…
Si l’on veut promouvoir l’usage de la voiture électrique, usage qui n’a de sens que s’il est intensif, c’est auprès de cette seule population - qui en a un réel besoin et ne peut se l’offrir - qu’il faut porter l’effort.
Et pour cela abandonner le bonus en mode arrosage automatique, la même absurdité qui en réduisant aveuglément de 18 centimes le litre d’essence m’a fait économiser 3,60 € sur le dernier plein de ma moto. Dans trois pleins (1 200 km), j’aurai gagné un paquet de clopes.
Nécessité ou bonne conscience ?
Avant de me traiter de communiste, réfléchissez à ceci : pourquoi dépenser des centaines de millions d’euros d’argent public à subventionner l’achat de ces voitures (près de 3 milliards de bonus depuis 2013pour les seules électriques) si celles-ci ne roulent pas suffisamment pour avoir la moindre vertu écologique ? Pourquoi aider ceux qui les achètent par bonne conscience écologique et qui n’amortiront jamais son surcoût financier et environnemental, amortissement dont ils se tamponnent par ailleurs ?
Tout ceci pour affirmer qu’au même titre que la prime à la conversion, le bonus électrique doit désormais être réservé à des usagers qu’il faudra identifier, avec pour seuls critères de gros kilométrages au quotidien sans alternative transport en commun, et des revenus modestes ou moyens. Et pour que ce bonus soit efficace, et puisqu’il sera mieux ciblé, il faudra au passage le doubler voire le tripler.
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