Voiture autonome : pour 2050 ou… jamais
Grande absente du dernier salon de Genève le mois dernier, la voiture autonome ne semble plus si inéluctable, reportée à 2050 voire aux calendes grecques. Au-delà des doutes sur sa faisabilité, ce sont ses effets indésirables qui inquiètent experts et politiques.
Rares étaient les sceptiques. Et j'avoue ne l'avoir été que sur le plan technique, redoutant mesquineries d'ingénierie, petites économies de sous-traitance et grosses tricheries qui en auraient altéré la sécurité.
Aujourd'hui, le doute a gagné l'industrie. Au salon de Genève, Carlos Tavares, patron de PSA, a déclaré qu'aller au-delà du niveau 3 (conduite automatique dans certaines conditions avec conducteur prêt à reprendre les commandes) pour des véhicules destinés aux particuliers serait pour longtemps hors d'atteinte. Quelques mois plus tôt, John Krafcik, patron de Waymo, la filiale d'Alphabet (Google) en charge du véhicule autonome, avait confié que la voiture totalement autonome (niveau 5) ne verrait sans doute jamais le jour et relevait "probablement d'un mythe". De son côté, Gill Pratt, qui préside à la recherche de Toyota, avait fixé l'échéance à 2050. Au plus tôt.
La voiture autonome : l'automobile sans frein
Même les politiques sont saisis par le doute. Eux qui voyaient dans l'auto robot à la fois la voiture sans accident puisque sans erreur humaine, et le transport en commun universel, flexible et économique - en main d'œuvre - capable de désenclaver banlieues et campagnes, de motoriser le 4e âge, les non-voyants et les handicapés, émettent désormais les plus grandes réserves. Des experts les ont alertés : transformer le temps perdu des transports en temps utile pour travailler, communiquer ou se distraire risquait d'occasionner une multiplication des transports, un allongement des distances parcourues et conséquemment une congestion généralisée des voiries et du réseau routier, sans parler de la pollution occasionnée.
Dans son récent essai "Airvore ou la face obscure des transports" (édition Ecosociété), le chercheur Laurent Castaignène relève que l'avènement de la voiture autonome lèverait les derniers freins à la poursuite de l'étalement urbain qui grignote peu à peu la campagne.
En cause, notre indécrottable individualisme qui nous fait préférer la maison et le véhicule personnel à l'habitat collectif et aux transports en commun.
Et si nous aimions conduire ?
Ainsi donc, la voiture autonome n'aurait été qu'un rêve - ou un cauchemar - futuriste, au même titre que le steak en pilule qu'enfant, je me voyais promettre - entre deux soupes en sachet - pour l'an 2000.
Ce n'est pas parce qu'une chose est possible qu'elle advient forcément.
Après tout, en 2019 et contre toute logique, les gens continuent à cuisiner, alors qu'ils pourraient réchauffer de la conserve, du déshydraté, du frais ou du surgelé. En 1970, qui aurait parié qu'un demi-siècle plus tard l'homme et la femme prendraient encore, et même plus qu'avant, plaisir à éplucher, émincer, découper, mijoter, barder, farcir, rissoler ?
Peut-être aimons nous aussi conduire.
La voiture autonome s'engageait à nous libérer de ces heures perdues à agiter un levier, appuyer sur des pédales et tourner un volant en scrutant une bande de bitume et ceux qui y circulent. Du temps de cerveau disponible que nous pourrions enfin consacrer aux deux devoirs sacrés de l'homme moderne : communiquer et… consommer.
"Et bosser" ajoute amèrement le choeur des automobilistes "professionnels", ceux dont l'auto est l'extension mobile du bureau - quand on daigne encore leur en allouer un.
Conduire, c'est du temps de cerveau utile
Car, si l'on en croit les témoignages de certains technico-commerciaux gros rouleurs, les freinage automatique, régulateur de vitesse intelligent, correcteur de trajectoire, alerte d'angle mort, synthèse vocale et autres prémices du véhicule autonome ne sont pas de simples filets de sécurité. Plutôt le hamac depuis lequel ils téléphonent, textotent et e-mailent. Avec la voiture autonome, ils pourraient Powerpointer, Adober et même Exceller !
Une aubaine pour l'entreprise ?
J'en doute fortement. Car conduire, conduire vraiment est une autre façon de travailler. Quand d'ici 2050, prendre la route ne sera plus un moment de répit ou d'ennui, mais une plage de travail comme une autre, qu'aura réellement gagné l'entreprise ? Davantage de tableaux Excel et de présentations Powerpoint, plus d'e-mails et d'in-mails, la belle affaire. Mais en y perdant au passage ce fameux temps de cerveau disponible. Ce temps où le regard posé sur le lointain, libéré de ses papiers et écrans, l'homme peut laisser son esprit dériver, s'épancher, vaquer.
Vaquer a la même racine que vacances. Et pourtant "vaquer à ses occupations" dit la formule, et elle dit bien. Car c'est plus souvent de l'homme qui marche, rêvasse ou conduit que du travailleur attelé à sa tâche que naissent les grandes idées, les belles solutions, les vraies innovations. Se perdre dans ses pensées permet souvent d'en trouver de grandes.
Heureusement, l'être humain porte en lui le remède à cette nouvelle menace contre sa créativité. Selon l'Institut de recherche sur les transports de l'université du Michigan, la cinétose, également appelée mal des transports ou plus trivialement "mal au cœur", interdirait à une bonne part de l'humanité de faire autre chose que regarder la route à bord d'une voiture en mouvement.
La nature est bien faite.
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