Sommes-nous tous des "vroomers" ?
Selon une étude récente, si les seniors aiment la voiture, les générations plus jeunes ont tendance à beaucoup moins l’apprécier. La faute à qui ? Pas seulement aux pouvoirs publics. Les constructeurs ont leur part de responsabilité et pourraient bien être en train de se tirer une balle dans le pneu.
La nuit, les bouchons et le périf. Le cauchemar des jeunes. Crédit photo : IP3 PRESS/MAXPPP
Lecteurs de Caradisiac, qui, à ce titre, aimez l’automobile, seriez-vous tous des seniors, des « vroomers », cette contraction de vroom-vroom et de boomers ? C’est en tout cas le constat qui ressort de l’étude que l’Ifop vient de livrer pour l’UFTP (l’union française des transports publics). Évidemment, cet organisme est juge et partie, mais c’est une manière pour lui de connaître ses usagers.
Et il n’est pas déçu du voyage, car selon cette enquête menée en juin dernier, et qui recense les réponses de 4 022 personnes, 75 % des plus de 60 ans se disent attachés à leur auto qui leur donne de la liberté, du confort et de l’évasion. Bien sûr, ceux qui ont moins de cheveux gris aiment aussi leur voiture, mais ils ne sont que 68 % chez les 28-43 ans et seulement 54 % chez les moins de 24 ans.
Les seniors en voiture, en ville comme à la campagne
On peut se dire que c’est facile de dénigrer, et de lâcher sa bagnole lorsque l’on dispose d’une bouche de métro, d’un train ou d’un bus en bas de chez soi, Mais à la campagne, c’est une autre histoire. Pas vraiment. Les seniors sont scotchés au volant même dans les bouchons d’île de France et ils aiment ça. Ils sont 60 % dans ce cas, quand le score descend à 41 % seulement pour les plus jeunes.
Évidemment, les ultra-boomers, âgés de plus de 78 ans conduisent moins que les autres. Et pourtant eux aussi trouvent rassurant de disposer d’une voiture. Mais au fait, qu’est ce qui fait que les plus jeunes tournent le dos à l’auto, du moins en plus grand nombre que leurs aînés ? Les réponses qu’ils ont livrées aux enquêteurs de l’Ifop sont vieilles comme le discours de la Mairie de Paris envers l’automobile : ils n’y voient que pollution, prix exorbitant et danger.
Du coup, entre l’attachement à l’automobile et son dégoût, on peut légitimement se demander à qui la faute ? À qui incombe le fossé générationnel qui est en train de se creuser ? Il est un mythe hexagonal, lui aussi plutôt ancien, celui de « l’automobiliste vache à lait » qui permet d’accuser, en bon pavlovien, ceux qui servent de bouc émissaire à tous nos maux : les pouvoirs publics. Certes, entre les taxes nombreuses et les normes qui le sont tout autant, partagées entre un souci environnemental et économique, l’exécutif français et européen n’est pas le plus incitateur à l’achat et à l’usage d’une voiture.
La faute aux constructeurs occidentaux ?
Mais au-delà des TICPE, TVA, CAFE et autres joyeuses obligations de l’État ou de l’UE, les constructeurs ne se tireraient-ils pas eux-mêmes une balle dans le pied de leur avenir ? Et notamment les constructeurs occidentaux ? C’est qu’après tout, qu’ont-ils attendu que l’Europe les force à basculer totalement vers l’électrique en 2035 pour se tourner eux-mêmes vers cette technologie avant l’injonction du législateur ? Car les conséquences en termes de tarifs, l'un des points soulevés par ceux qui ne veulent plus, ou ne peuvent plus s'offrir une voiture sont dévastatrices.
N’ont-ils jamais ouvert les rapports des Cop successives qui s’égrainent depuis 1997, en se disant qu’une telle mesure leur pendait au nez ? Leurs lobbys qui s’activent depuis si longtemps à Bruxelles ne les ont-ils pas prévenus, ou sont ils restés injoignables, coincés dans un tunnel ? Résultat : les marques affolées se lancent depuis quelques années dans une R&D effrénée à coups de milliards pour être prêts à temps.
Et comme il faut bien compenser cet investissement tardif, ils font payer le prix de ces recherches en augmentant toutes leurs autos, thermiques comprises, de 30% en l’espace de cinq ans. Au passage, ils se lamentent aussi des marques chinoises qui ont quinze ans d’avance technologique sur eux et feignent de découvrir cette avance lorsque le méchant Empire du milieu débarque en Europe. La muraille de Chine est-elle si hermétiquement fermée que, de Detroit à Wolfsburg en passant par Sochaux et Billancourt, aucun cadre de l’automobile ne se doutait de ce qui se tramait à Pékin ? Pour rappel, l'ouverture de la Chine est effective depuis la fin des années 80.
Et puis, les marques occidentales tellement bien installées depuis plus d’un siècle dans leur techno confortable de moteurs à explosion le sont tout autant en ciblant leur clientèle âgée. On chouchoute son senior puisque c’est lui en grande majorité qui achète des autos neuves. On lui crée des SUV pour qu’il n’ait plus besoin de se baisser pour grimper à bord. On conçoit pour lui des caméras de recul lui évitant des torticolis.
À tout miser sur les seniors on en oublie les jeunes
Ces engins hauts sur pattes sont plus chers que les berlines certes, mais les seniors ont un pouvoir d’achat supérieur aux autres catégories, alors ça passe crème. Du moins ça passait jusqu’aux hausses récentes. Bien sûr, il y a les familles qui ont des enfants et achètent de l’occasion. Pas de souci : un SUV c’est génial pour hisser le rejeton dans le siège bébé, même si l’engin n’a pas été conçu pour ces familles au départ.
Sauf que pour vendre de l’occasion, il faut d’abord vendre des voitures neuves. Qui les achètera lorsque la génération qui tourne le dos à l’auto deviendra elle-même senior alors que l’industrie l'aura ignorée jusque-là ? La question sera renvoyée, telle un cadeau empoisonné, aux cadres de l’automobile de demain. Si les constructeurs d’aujourd’hui existent toujours. « Le secteur devient darwinien » explique Carlos Tavares à qui veut l’entendre. Et le patron de Stellantis sait de quoi il parle, lui qui, en bon « vroomer » prend sa retraite dans un an et demi.
Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération