Roumanie : quand le couple Ceaucescu tenta d’échapper à son peuple en « car-jackant » des Dacia
Il y a bientôt 35 ans, la révolution roumaine entraînait la chute du dictateur Nicolae Ceaucescu. Avec sa femme Elena et un fidèle garde du corps, il avait pourtant essayé de fuir. En hélicoptère d’abord, puis à l’arrière de deux modèles Dacia, en prenant en otage les conducteurs.
Il est de ces images qui marquent les esprits plus que d’autres. Nous sommes le 25 décembre 1989, en Roumanie. Ce Noël-là, à l’issue d’un procès arbitraire et expéditif, Nicolae Ceaucescu et son épouse Elena sont exécutés à l’arme automatique dans la cour d’une garnison, sous l’œil d’une caméra de télévision…
Retour en arrière, trois jours plus tôt, lorsque le dictateur népotiste avait fui Bucarest à la hâte, en hélicoptère puis à bord de voitures. L’autoproclamé « guide » et « génie des Carpates », celui qui muselait et persécutait son peuple depuis 25 ans, celui qui avait en outre, depuis le 16 décembre, fait réprimer dans le sang une insurrection dans la ville de Timisoara, avait choisi de quitter fissa la capitale, de crainte d’être lynché par la population.
La mort aux trousses
C’est donc par les airs que Ceaucescu entama une évasion digne d’un film d’action. Ce moment d’histoire se passe le 22 décembre. Il est environ 11 heures. Alors que le siège du Comité central du parti communiste, où il se trouve, commence à être pris d’assaut par les manifestants et une partie de l’Armée, le leader déchu, sa femme (et actuelle Première Ministre), l’ancien Ministre de l’Intérieur Emil Bobu, ainsi que deux gardes du corps dont un membre de la police politique, la Securitate, font dépêcher l’hélicoptère présidentiel.
À peine posé sur cet imposant building soviétique situé en plein centre-ville (ndlr : qui n’est pas l’extravagant palais néo-classique présidentiel), l’appareil est contraint de redécoller rapidement, pressé par une foule d’opposants sur le point d’envahir le toit aux cris de « A mort, le tyran ! ». Pour cet équipage en déroute, cap sur le Snagov, 40 kilomètres plus au nord, une localité où les Ceaucescu détiennent une villa, sur les rives du lac.
L’hélicoptère se pose sur place. Le couple y récupère des effets personnels, passe quelques coups de fil et regagne l’appareil. Entre-temps, le « fidèle » Emil Bobu a préféré jeter l’éponge s’est fait la malle dans un petit 4x4 ARO conduit par un agent de la Securitate… La tension monte dès lors d’un cran. Ceaucescu est en panique. D’autant plus que sa demande d’escorte avec hélicoptères militaires vient de lui être refusée indirectement par l’Armée de l’Air. « C’est la révolution ! », justifie un haut gradé dans le casque de Vasili Malutan, le pilote.
Après ce nouveau coup de théâtre, la fuite vers l’étranger, comme Ceaucescu l’aurait souhaité, s’annonce de moins en moins envisageable. Celui qui s’est baptisé « le Danube de la pensée » n’avait visiblement pas prévu ce scénario… Le voilà soudain dans l’obligation de trouver illico un plan B. Le pilote redécolle sous la contrainte, pour Pitesti, agglomération de 150 000 habitants située à 130 km à l’ouest de là. Dans ce fief industriel connu notamment pour fabriquer des Dacia depuis l’origine de la marque en 1966, le despote espère encore trouver le soutien de la classe ouvrière.
Prise d’otages en Dacia
Mais voilà que le pilote joue la montre, sciemment, et courageusement. Prétextant ne plus avoir assez de carburant et devoir éviter les tirs de la défense aérienne, il évolue étrangement dans le ciel, jusqu’à se poser en rase campagne, en lisière de la DN 7, à 75 km au sud-est de Pitesti. Les gardes du corps qui accompagnent les fugitifs réquisitionnent aussitôt et sans ménagement deux véhicules. Cela nous ramène à Dacia, la firme automobile roumaine.
Dans les minutes qui suivent la dépose par l’aéronef, deux Dacia de la gamme 1300, variantes de la Renault 12 française, sont ainsi arrêtées sur le bord de la route, près de Salcuta. Comme leur million de consœurs présentes dans le pays à cette époque, elles ne pèsent guère plus de 900 kg, mesurent 4,35 mètres de long, 1,60 mètre de large et disposent d’un empattement de 2,40 mètres.
Ce sont des berlines 4 portes et 4 places au confort sommaire. On est assez loin de la feutrée Dacia 2000 bleu foncé (modèle réalisé à partir de la Renault R20) qui appartenait à Ceaucescu, avec ses vitres électriques, son régulateur de vitesse, sa boîte automatique, ses 115 chevaux sous le capot et ses 180 km/h au compteur. Côté moteur, la puissance de ces modèles 1300 et 1310 n’excède pas 50 à 60 chevaux, en essence comme en diesel, avec une vitesse « de pointe » limitée à 145 km/h.
Parmi les voitures « carjackées » pour convoyer les fuyards, il y a d’un côté la Dacia d’un médecin des alentours, immatriculée « 4B 7367 ». De l’autre, il y a la Dacia d’un fonctionnaire forestier. Les Ceaucescu s’engouffrent dans la première, de couleur rouge, conduite par le Docteur Deca. L’autre garde du corps feint de les suivre un instant, prenant le volant de la seconde, mais à la surprise générale, il fausse à son tour compagnie au cortège et rentre sur Bucarest.
Ceaucescu, la « patate chaude »…
Ceaucescu résiste. Il ne veut pas croire que la révolution va l’emporter et traite tous ses opposants de traîtres. Lâché par une base acquise à une nouvelle cause, celle d’une Roumanie libre et démocratique, il ne peut plus compter que sur ce Docteur Deca, serviteur involontaire, sur sa femme Elena surtout, et sur son ultime garde du corps, le Général Marin Neagoe, pour assurer sa fuite. Lui, justement, semble avoir gardé la forme… Il pointe sans attendre une arme sur Deca et lui intime l’ordre de rouler, cette fois en direction de Targoviste, où Ceaucescu imagine naïvement que quelques vieux partisans pourraient le planquer.
Mais d’autres imprévus s’en mêlent… Sur le parcours, dans le village de Vacaresti, 5 000 âmes, à 10 km au sud de la destination, la 1310 rouge du médecin hospitalier se trouve manifestement à court d’essence… Deuxième coup de la panne dans la journée, ça commence à faire beaucoup pour les Ceaucescu et leur espion zélé ! C’est là que le Docteur Deca, toujours aussi terrorisé par ses passagers, aperçoit une vieille connaissance sur le bas-côté, un certain Nicolae Petrisor, qui est alors en plein lavage et entretien de sa voiture, une Dacia 1310 de couleur noire à l’état impeccable.
Comme pour se débarrasser du fardeau qu’il transporte depuis une bonne trentaine de minutes, il s’arrête pour lui demander un bidon d’essence. Petrisor le lui apporte et s’aperçoit que son ami est en fait pris en otage par des covoitureurs tristement célèbres. Pas le temps hélas de s’émouvoir. Marin Neagoe dirige son arme vers Petrisor et lui demande de les transférer dans sa voiture. Deca assiste à la scène, impuissant.
Un flingue dans la nuque
Au fil de cette cavale, Ceaucescu se fait de plus en plus blafard et silencieux tandis que sa femme Elena, au contraire, commence au contraire à perdre ses nerfs. Assise à l’arrière de cette Dacia 1310 TX immatriculée « 1 DB 3005 », elle colle son revolver à la nuque du chauffeur… Petrisor garde son calme tant que possible. Il s’agrippe à l’immense volant, tout en approchant des faubourgs de Targoviste.
Il se dirige vers une aciérie, où Neagoe prétend connaître le personnel de sécurité. Mais là-encore, mauvaise pioche, le sort s’acharne… Pendant que la berline d’occasion traverse un cortège de travailleurs en grève, le binôme en fugue est reconnu, puis copieusement insulté. La Dacia de Petrisor reçoit même des pierres et s’extrait in extremis.
Quelques minutes plus tard, Neagoe sort du véhicule pour l’inspecter et réfléchir à une énième parade. Encore une mauvaise idée… C’est cette fois un groupe d’enfants qui alerte de la présence des Ceaucescu dans les parages. Ni une, ni deux. Elena enjoint Petrisor à quitter les lieux pied au plancher, laissant du même coup leur fidèle lieutenant dans un nuage de fumée noire…
L’échappée rocambolesque se soldera finalement par un échec quelques kilomètres plus loin, à la sortie de Targoviste. Après que des religieuses aient refusé d’accueillir le couple dans leur couvent, Petrisor convainc les Ceaucescu de le conduire dans un établissement agricole dont il connaît le directeur. Volontairement ou involontairement, il signe à cet instant la fin de règne de ses passagers peu banals. C’est ici en effet, dans des circonstances qui restent à ce jour encore obscures, que la police locale puis l’Armée débarquèrent tour à tour en milieu d’après-midi, ce 22 décembre 1989, arrêtant le duo le plus recherché et le plus haï de Roumanie.
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