Reportage - Audi au Dakar, toute une aventure
Pour la première fois de son histoire, Audi s’engage officiellement au rallye Dakar avec une auto de son cru, la RS Q e-tron. Derrière cette annonce se cache un travail de longue haleine dans lequel de grands noms de cette course jouent un rôle-clé, comme Stéphane Peterhansel. Nous avons été invités à discuter avec le pilote, au cours d’une opération où un parcours off-road assez instructif nous a été proposé. Pas dans le sable, hélas…
C’est vrai après tout. Pourquoi Audi, qui s’est fait une renommée sur sa transmission intégrale quattro, qui a remporté le championnat du monde des rallyes par deux fois (1982 et 1984), ne s’est-il jamais engagé sur le Dakar ? Et pourquoi le faire maintenant ? Peut-être parce que la compétition est une vitrine extraordinaire quand on veut exposer ses nouvelles technologies.
Le constructeur aux anneaux a en effet décidé de participer à ce rallye-raid avec une auto un peu spéciale : elle s’équipe d’une mécanique hybride. Entièrement inédite, la RS Q e-tron embarque en effet un bloc thermique et deux moteurs électriques MGU05 (utilisés en Formula E), un par train roulant.
Car oui, ce 4x4 inscrit en catégorie T1E, est d’abord animé par l’électricité, le 4-cylindres 2,0 l TFSI utilisé en DTM ne servant qu’à recharger la batterie lithium-ion de 52 kWh. Une architecture qui n’est pas sans rappeler celle de la Lohner-Porsche Semper Vivus de… 1900.
Quoi qu’il en soit, le tout s’installe dans un châssis tubulaire monté sur des suspensions à grands débattements et se revêt d’une carrosserie avant-gardiste en composite de carbone. Ajoutons un réservoir de 285 l, et on obtient un drôle d’engin de 2 tonnes, limité à 170 km/h par le règlement mais capable de franchir les 100 km/h en 4,5 s sur terrain meuble grâce à sa puissance frôlant les 300 kW (408 ch environ) et ses près de 1 000 Nm.
Le RS Q e-tron en… presque vrai
Nous avons été invités à en découvrir une maquette grandeur nature au domaine du Galicet, près de Freneuse, dans les Yvelines, que nous avons rallié depuis Paris à bord d’un Audi Q4. Une propriété où les concurrents au Dakar se sont souvent entraînés.
Pas question de se livrer à une telle excentricité avec la RS Q e-tron, modèle unique dont la décision de l’amener ici a été prise au tout dernier moment : il sera exposé en Allemagne le lendemain de notre visite. Nous sommes arrivés au domaine sous une pluie battante, qui laissait augurer du pire pour le lendemain !
Sous un parapluie, nous avons gagné l’appentis plus ou moins correctement éclairé, dans lequel se trouvait le prototype. Il étonne avant tout par sa largeur conséquente : 2,20 m. Ensuite, par sa garde au sol considérable, enfin par son cockpit tout petit compte-tenu de l’encombrement global. J’ai bien regardé par les énormes prises d’air, il manque la mécanique thermique à bord, tandis que l’habitacle ne nous a pas été dévoilé. Mais le châssis, les suspensions et les moteurs électriques étaient bien présents.
Qu’importe, puisque la carrosserie façon concept-car nous en a mis plein la vue. Avant agressif, poupe ornée d’une dérive, feux et projecteurs ultrafins à LED : elle ne passera pas inaperçue dans le désert saoudien, et c’est bien là l’intérêt d’un design aussi radical.
Faire la pub du constructeur plutôt qu’à un quelconque de ses modèles à la moindre de ses apparitions sur les écrans. Une stratégie légèrement différente de celle de Peugeot qui, avec son concept 2008 DKR engagé au Dakar, a cherché à promouvoir son petit SUV 2008.
Des pilotes face au défi de l’électrique
Pour piloter cet engin durant la course qui se déroulera dans le désert saoudien, trois équipages sont prévus, dont un 100 % français, composé de Stéphane Peterhansel et Edouard Boulanger. Le premier détient le record absolu de victoires au Dakar, puisqu’il l’a remporté 14 fois, dont 6 à moto (sur Yamaha) et 8 en voiture (Mitsubishi et Peugeot). Une sacrée pointure, peut-être la meilleure pour développer la RS Q e-tron. Nous avons pu discuter avec lui ainsi que son coéquipier par visioconférence.
Q : Quels sont les avantages et les inconvénients de la nouvelle motorisation hybride ?
Stéphane Peterhansel : Une fois qu’on est passé de l’électrique au thermique, faire le chemin inverse sera très compliqué. Car ça apporte beaucoup de plaisir de pilotage et d’avantages. L’électrique délivre sa puissance de façon quasi-idéale, de façon linéaire de 0 à 170 km/h. Elle se dose très facilement, ce qui facilite le contrôle des dérapages. On se concentre mieux car on a les deux mains sur le volant. On peut aussi paramétrer comme on le souhaite la répartition de la puissance, entre traction et propulsion, en fonction de la vitesse. Idem au freinage. C’est impossible à obtenir avec une voiture thermique. L’électrique est plus aboutie en termes de motricité et de freinage.
Q : Y a-t-il un déficit d’agilité face à une auto classique ?
SP : On a un très bon châssis, très équilibré, mais le problème est le poids plus élevé que celui d’une thermique. Cela entraîne plus d’inertie au freinage et en virage, mais comme les batteries sont implantées très bas, la dynamique reste bonne. Pesant 200 kg de plus, la voiture ne s’arrêtera évidemment pas aussi vite. C’est le seul inconvénient.
Q : Dans cette voiture, le régime du moteur électrique est décorrélé de la vitesse. Cela induit-il un pilotage différent ?
SP : C’est vrai qu’avoir un moteur thermique qui continue à tourner à 5 000 tr/min quand on freine, c’est perturbant. J’ai eu du mal à m’y habituer. On a dû rajouter de l’insonorisant pour limiter ce phénomène.
Q : Edouard, vous êtes ingénieur, ce défi de l’électrique vous ravit-il ?
Edouard Boulanger : C’est vraiment l’idéal. Ça allie ma passion pour le rallye-raid et ma formation d’ingénieur. C’est le projet le plus intéressant de ma carrière. Du point de vue de l’ingénierie, on a une équipe incroyable tant en nombre qu’en compétence. Elle nous apporte des solutions qu’on n’imaginait même pas. Partager avec eux, comprendre les nouveautés avant même qu’elles soient mises en développement sur la voiture, c’est incroyable. On a la possibilité de construire la voiture, les solutions qui vont avec et qui se retrouveront ensuite en grande série dans quelques années.
Q : Combien de km de tests avez-vous effectués ?
S.P : Un peu plus de 8 000 km. On aurait même aimé en faire plus pour parfaire la mise au point. Le Dakar est la course la plus compliquée qui soit à cause des grandes distances : on doit parcourir 800 km par jour sans ravitailler ni charger les batteries, dans un terrain très meuble. C’est pour ça que cette technologie arrive tardivement en rallye-raid. On a mis la voiture sur ses roues en juillet, ça a été alors un peu difficile, puis les équipes ont effectué un travail incroyable pour la fiabiliser. Si ça marche en course, tant mieux, si ça ne marche pas, tant pis, mais elles n’auront pas à s’en vouloir car elles n’auraient pas pu en faire plus.
Q : Vous n’avez pas l’expérience de l’électrique, Audi n’a pas celle du Dakar, c’est gagnant-gagnant ?
S.P : J’ai fait du développement pour l’Extreme-E, et parcouru plus de km en tests que les pilotes en course. En revanche, on a appris à Audi ce qu’encaissaient les voitures de rallye-raid en termes de chocs et de G-Force. Les échanges sont très fluides.
E.B : notre expertise leur a aussi servi en termes de logistique de course, très particulière en rallye-raid. Sur place, ça risque tout de même d’être un choc pour eux, même s’ils sont très préparés et prudents.
Q : Le refroidissement des batteries est-il un sujet d’inquiétude dans le désert ?
E.B : C’est l’ensemble de la voiture qu’il faut refroidir. Evidemment, pour les batteries c’est particulier. C’est le seul élément qui pourrait nous contraindre en termes de performance. Il y a des seuils de température à ne pas dépasser. Et si cela a lieu, on sera limité, ce qui va compliquer la course. On devra ralentir pour refroidir la voiture.
Q : Le team Audi Sport, c’est combien de personnes en course ?
S.P : Lors des essais en Espagne, il y avait 70 personnes sur une voiture. En course, ce devrait être 30 à 40 pour chacune des trois autos. Cela comprend aussi bien les ingénieurs que les chauffeurs de camions transportant les pièces détachées, les kinés et les cuisiniers.
E.B : Chaque auto a un team dédié d’une quinzaine de personnes.
Q : L’électriques présente-t-elle des avantages côté fiabilité du fait qu’elle réduit le nombre de pièces mécaniques ? Et si souci il y a sur les moteurs électriques, est-ce plus facile de les remplacer qu’un thermique ?
S.P : Non, en fait, la voiture est beaucoup plus compliquée qu’une normale. On un moteur thermique, deux électriques, un convertisseur, une batterie, une gestion électronique pour gérer le tout. Tout ça représente des sources de problèmes plus nombreuses. Et en cas d’arrêt sur la piste, ça risque d’être très ardu pour comprendre ce qui est tombé en panne. Donc la maintenance est certainement plus compliquée que sur une auto traditionnelle. C’est là le défi. Régler tous les problèmes en essai pour pouvoir faire les spéciales de 600 km sans s’arrêter.
EB : Faire fonctionner tous les moteurs ensemble, c’est très compliqué. En plus, on a un système électrique haute tension de 800 volts, plus un système basse tension. Elle est quatre fois plus complexe qu’une auto normale, c’est une usine à gaz. La maintenance sera aussi plus difficile que sur une thermique.
Q : Justement, que pourrez-vous faire en bord de piste en cas de panne ? Les électriques sont très difficiles à mettre en sécurité.
SP : On a eu des stages de sécurité et de mécanique. Edouard sera capable d’effectuer quelques interventions en bord de piste en cas de panne, mais ce sera limité.
EB : Déjà, quand il y a un problème, il faut le comprendre. Sur une thermique, c’est simple, sur une électrique, c’est bien plus complexe. Les composants sont de surcroît nouveaux. Néanmoins, en cas d’avarie mécanique, on a des solutions, car là, les casses se limitent aux arbres de transmission, aux freins, aux durits, à quelques relais. Cela, dit, notre capacité d’intervention est limitée par le volume de chargement de la voiture. Les ingénieurs ont donc beaucoup travaillé pour qu’on puisse continuer à rouler en by-pass d’un souci électrique, en trois roues motrices par exemple. On a plus travaillé ce point que les éventuelles réparations.
Q : L’ambiance actuelle du Dakar vaut-elle celle des années 80-2000 ?
S.P : 80, je n’ai pas connu, mais dans les années 90 c’était une autre période. On n’avait pas les GPS, au bivouac, tout le monde mangeait sous la même tente berbère… Le Dakar a énormément évolué quand il est parti en Amérique du Sud, où on a perdu une part d’aventure. En Arabie Saoudite, c’est plus intéressant d’un point de vue sportif, on a retrouvé un vrai beau désert où on roule à 70 % en dehors de piste. On trace notre route au cap dans l’esprit du Dakar initial. Depuis que je roule en compétition, j’ai eu la chance de traverser tous les désertes du monde, Afrique, Mongolie, Chine, Etats-Unis, Amérique du Sud, Moyen-Orient. L’Arabie saoudite a redonné la part belle à la navigation et ça c’est bien. L’Afrique étant devenue très sensible, le Moyen-Orient est aujourd’hui la meilleure option pour une très belle course.
Q : L’habitacle est-il particulier ? Avez-vous contribué à son agencement ?
S.P : La voiture est très grosse mais on a très peu de place. On ne peut même pas emmener une veste contre le froid. Il a été conçu sans notre avis, en fonction des contraintes techniques. On l’a ajusté ensuite.
E.B : La complexité technologique de la voiture a mangé énormément de place. Ils ont fait l’habitacle au minimum requis par la FIA : on est vraiment restreint. Je ne peux même pas étendre les jambes, car j’ai une batterie au niveau des pieds. On a tout de même des sièges moulés en carbone un peu comme dans une monoplace mais avec plus de mousse pour plus de confort car on va y passer 10 h par jour ! On a passé beaucoup de temps pour trouver le bon compromis. On a pu intervenir sur l’emplacement des boutons dans la voiture ainsi que sur la configuration de l’écran tactile central.
Q : Quelles sont les ambitions en course, raisonnablement ?
S.P : A terme, la victoire évidemment. Mais pour notre première participation, si on termine dans les cinq premiers, ce sera bien. On sait que ça va être compliqué.
E.B : La voiture est encore jeune et pas aussi déverminée qu’on l’aimerait, c’est pour ça qu’on doit rester prudent dans les estimations. On s’attend à vivre une aventure plus complexe que celle de l’an passé, qui s’est très bien déroulée.
Q : Combien d’années pour la victoire ?
SP : Cette année on aura une excuse. Mais dès 2023, il faudra qu’on gagne. Audi dispose de très bons équipages, avec Sainz et Ekström.
Q : Un dernier Dakar en moto ?
SP : La passion de la moto est toujours là, c’est agréable au quotidien, mais pour la course, je crois que j’ai passé l’âge. Déjà qu’en voiture, c’est juste… Le Dakar, c’est dur en moto, c’est la solitude, c’est le chaud, le froid, le risque de blessure. Donc refaire un Dakar en moto : jamais !
***
Après cette journée composé d’un parcours routier en Q4, toujours très doux à conduire mais pas amusant comme peut l’être une Tesla Model Y, d’une interview passionnante avec Stéphane Peterhansel et son coéquipier Edouard Boulanger, nous avons eu droit à un dîner dit gastronomique. Une suite de mets raffinés servis dans des portions ridicules à la fin de laquelle on a essayé d’ingérer des choses aussi étranges que du roquefort en mousse (personnellement, je n’ai pas réussi, alors que j’adore ce fromage) voire de la glace mêlant vanille et céleri (je n’ai toujours pas compris comment une personne saine d’esprit avait pu avoir l’idée d’une telle alliance), puis nous avons passé une nuit à l’hôtel.
La gadoue, la gadoue
Le lendemain, surprise, le soleil brillait radieusement sur la campagne humide de la rosée du matin. Nous attendait un parcours en tout-terrain dans le domaine de Galicet, à bord non pas du Q4 mais du plus imposant 4x4 e-tron. S’il faisait beau, le sol était souvent boueux, donc à l’adhérence quasi inexistante, et surtout très, très vallonné.
Nous avons évolué en convoi, dirigés par un moniteur, après avoir sélectionné le mode de conduite « off-road » et réglé la suspension pneumatique au plus haut. En tout-terrain, on m’a souvent dit qu’il était urgent de prendre son temps. Ça s’est une fois de plus vérifié. On avance tranquillement, en se concentrant au maximum, on lisse au maximum ses gestes, on évite toute brutalité sur les commandes, surtout l’accélérateur, on cherche patiemment le grip au lieu d’accélérer comme un sourd, et ça passe.
En descente, on laisse agir la voiture, qui dispose d’un système de retenue automatique très efficace. On entend bien les moteurs électriques freiner les roues, donnant parfois quelques à-coups, mais c’est bien le seul inconvénient.
En montée, sur terrain boueux, on met des watts, suffisamment pour ne pas rester planté en milieu de parcours et repartir en arrière, mais pas trop pour éviter… la même chose ! Pour notre part, ça s’est déroulé sans anicroche, même si la fin de l’ascension s’effectuée en crabe, la boue jaillissant de part et d’autre de l’Audi.
Le plus dur a été de changer de trajectoire par la suite sur un chemin dévers : l’e-tron refusait obstinément de tourner. Alors, il a fallu ralentir au maximum, trouver du grip roues droites, puis par petits coups de volant, remettre un peu d’accélération, juste un poil, et comme par miracle, la voiture a consenti à dévier dans le bon sens. Une heure de parcours lent mais intense. Qu’on se le dise : le pilotage en tout-terrain, c’est certainement plus difficile que sur circuit de bitume !
Du drift en e-tron
Dernière réjouissance concoctée par Audi : une session en passager sur une piste de gravier à bord d’un e-tron équipé de pneus spéciaux et piloté par Fred Rouvier, moniteur émérite. Tous les virages étaient pris à 80 km/h environ en dérive, avec un Fred calme et enclin à commenter ses gestes (entrée sur les freins, mise en dérive, remise de gaz – si l’on peut dire – et ainsi de suite). Il est toujours instructif de voir comment il suffit de très peu d’actions sur le volant pour faire virevolter une auto.
Par cette opération, Audi a bien sûr cherché à donner un coup de projecteur sur les compétences de ses SUV électriques, sur route dans le cas du Q4, sur terrain glissant avec l’e-tron, à l’image de ce que fera le RS Q e-tron au Dakar.
Le plus intéressant ? L’interview du duo Peterhansel / Boulanger : les deux hommes ont parlé avec une certaine franchise (pas évident dans une opération de com) de leur monture pour le Dakar, en nous renseignant avec une précision plutôt surprenante sur elle. On leur souhaite le meilleur.
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