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Radars : les fausses désignations en forte hausse !

Dans Pratique / Radars

Stéphanie Fontaine , mis à jour

Le processus délictueux croît à vitesse grand V : de plusieurs centaines de dénonciations suspectes on est passé à plusieurs dizaines de milliers ! Selon nos informations, une cellule dédiée existe à Rennes. Que risquent les conducteurs ? Des amendes très élevées ! On fait le point avec Maître Caroline Tichit, après une affaire justement plaidée au tribunal de Paris.

Radars : les fausses désignations en forte hausse !

Il semblerait qu’on ait passé un cap. Le phénomène des désignations frauduleuses au Centre de Rennes, là où sont traités tous les PV dressés en France, et dont les suites sont pour une grande part gérées là-bas aussi, n’est certes pas nouveau, mais il a l’air de s’être sacrément intensifié ces dernières années.

Selon nos informations, une dizaine d'identités reviendraient régulièrement avec, pour chacune, entre 2 500 et 5 000 désignations. Pour y faire face, « une cellule "fausses désignations" a été créée au Centre Automatisé de Constatations des Infractions Routières (CACIR) de Rennes », nous souffle un policier bien informé.

50 € la fausse dénonciation

Ces « fausses désignations », nous explique-t-il, sont « principalement réalisées par des sites Internet bidons, ou de petits escrocs indépendants, qui donnent rendez-vous dans des bistrots et font leurs affaires sur un coin de table, avec un ordinateur portable sous le bras, moyennant 40 à 50 euros ».

Les conducteurs désignés, a priori à leur insu, qui vivent en France ou à l’étranger, « se retrouvent ainsi destinataires de tombereaux de PV dans leurs boîtes aux lettres ! Et c’est parce qu’ils déposent plainte pour usurpation d'identité une fois, deux fois, trois fois… que l’information remonte à Rennes. Dès lors, les titulaires des certificats d’immatriculations, à l’origine de ces dénonciations suspectes, sont cités à comparaître au tribunal. »

Et alors là, attention, ces propriétaires destinataires des PV initiaux risquent cher, on a pu s'en rendre compte par nous-mêmes lors d'une affaire plaidée ce mardi après-midi au tribunal de Police de Paris !

750 € d'amende pour un excès d'1 km/h

C’est en effet ce qui est arrivé à l’un des clients de Caroline Tichit, avocate spécialisée dans le droit routier. Fin novembre 2020, son véhicule est flashé en excès de vitesse - 51 au lieu de 50 km/h. « C’est simple, expose l’avocate, ce jour-là, il l’avait prêté à un ami. Il lui a donc remis l’avis de contravention reçu par La Poste en lui demandant de gérer lui-même les suites… Et il pensait ne plus en entendre parler ! ». À noter que le conducteur paraît plutôt exemplaire : il ne souffre d'aucun antécédent judiciaire, et son permis compte 12 points…

Qu'à cela ne tienne, la juge tenait, semble-t-il, à en faire un exemple. Alors que l'Officier du ministère public (OMP) réclamait déjà un montant d'amende élevé, de 500 euros, pour un seul kilomètre/heure de trop, la présidente de l'audience est allée encore plus loin, et a prononcé la peine maximale en pareil cas, soit 750 euros d'amende.

Un tiers désigné près de 5 000 fois !

« On nous sert toujours cette même excuse : "c’est l’ami à qui j’ai prêté ma voiture qui a géré la désignation", forcément ça énerve », tente de justifier un OMP parisien, qui connaît bien le problème. Lui-même, nous explique-t-il, il n'hésite pas à réclamer, au titre de l’article L121-3 du code de la Route, des amendes de l'ordre de 400 euros pour un petit excès de vitesse hors agglomération, et jusqu'à 600 euros pour les autres, quand il se retrouve à devoir donner des réquisitions dans ce même type d'affaires.

De fait, dans le dossier défendu par Me Tichit, il apparaît clairement que la personne qui a été désignée a fait l’objet de nombreuses dénonciations, « émanant de plusieurs personnes et sociétés ». « La désignation est faite généralement à une adresse au Portugal, ce qui aboutit au non-paiement de l’amende et à l’absence de perte de points pour les désignants », dixit encore les pièces de ce dossier qui servent de base aux poursuites.

En l’occurrence, entre 2017 et 2020, il est indiqué que cette personne s’est retrouvée désignée dans 2 624 dossiers provenant du contrôle automatisé, et dans 2 338 dossiers issus de procès-verbaux électroniques (PVE). Des PVE dressés ainsi sans interpellation, via sans doute les caméras de vidéoverbalisation. En tout, cela représente donc… 4 962 dossiers !

Il n'en reste pas moins que dans le cas présent, comme le soutient Me Tichit, il n’existe aucune preuve, aucun élément permettant d’accuser son client d’une fausse déclaration ! « Il se retrouve certes devant le tribunal, mais uniquement pour répondre de cet excès de vitesse relevé fin 2020. Et là encore, rien ne permet de démontrer que c’était lui qui était au volant. Comme à chaque fois qu’un propriétaire clame son innocence, sans pouvoir le justifier de manière irréfutable, le vrai risque, c’est effectivement d’écoper d’amendes salées, au titre du principe que l’on connaît bien désormais de propriétaire-payeur, mais il n'y a aucune véritable condamnation pénale, ni donc de perte de point(s) », clarifie l'avocate.

Et c'est d'ailleurs ce qui s'est passé aujourd'hui…

Un système bien huilé

Jusque-là, ces fausses désignations paraissaient relativement limitées. En 2019, plusieurs médias, dont BFM, avaient relayé le cas d’une victime qui avait alors cumulé « 200 contraventions injustifiées ». La Voix du Nord de son côté avait eu vent de plus de 600 désignations frauduleuses. Il y a seulement quelques semaines, on en était là aussi, dans une histoire contée dans Le Midi Libre. Sauf qu’il semblerait qu’on ait en fait changé de catégorie : de plusieurs centaines, on est passé à plusieurs milliers de désignations douteuses, sur une dizaine d’identités qui plus est !

 

En l'occurrence, selon la juge du tribunal de Paris, à l'audience de cet après-midi, « il y a surtout deux noms qui tournent et qui accumulent les dénonciations, pour les autres les chiffres sont sans commune mesure, et plus modestes ».

« Il est évident que ces fausses déclarations sont de toute façon inacceptables et surtout un très mauvais calcul pour les conducteurs », reconnaît bien volontiers Caroline Tichit. « Il paraît notamment utile de leur rappeler qu’il s’agit d’un délit pour lequel une peine d’emprisonnement peut être requise ».

Des sanctions sévères

Six mois de prison et 15 000 euros d'amende sont ainsi encourus contre les conducteurs qui auraient rémunéré une personne consentante pour être désignée. Les mêmes peines sont d’ailleurs prévues pour cette dernière, selon l'article L223-9 du code de la Route. Et en plus des 15 000 euros, la peine de prison peut grimper à un an pour les personnes fautives d’une usurpation d’identité.

Ceci étant dit, « le jugement d'aujourd'hui n'en reste pas moins très discutable, argumente l'avocate. À aucun moment, la juge s'est inquiétée du niveau de ressources du prévenu. Et il faut garder à l'esprit que tout peine prononcée doit rester proportionnée. Or là, ce qui lui était reproché, ce n'était pas une fausse désignation ou une usurpation d'identité ou que sais-je encore… Là, il était jugé pour un excès d'1 seul kilomètre/heure de trop, point. » Selon elle, en appel, il y a tout lieu de penser que ce jugement pourrait, pour ces raisons notamment, être réformé.

Les fausses désignations représentent l’une des plus grandes failles du système automatisé, et plus généralement des verbalisations dites « au vol », également surnommées « à la volée ». Il en va ainsi quand les véritables fautifs ne sont pas arrêtés, ni leur identité relevée. Le processus reste effectivement repérable quand il est systématisé, mais qu’en est-il des arrangements en famille ou entre amis ?

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