Prise en mains – Lincoln Continental : un retour aux sources
L’imposante Lincoln Continental a atterri dans un segment qui rétrécit chaque année malgré ses nombreux atouts. Elle reste néanmoins une berline importante car elle illustre la renaissance de la marque, aussi bien en termes de style qu’au niveau des finitions et de l’équipement. Tous les futurs modèles Lincoln suivront le chemin qu’elle trace, donc, faute de boule de cristal, le meilleur moyen de comprendre ce que l’avenir réserve est d’aller à sa rencontre.
Lincoln comptait autrefois Frank Sinatra, Elvis Presley et La Maison-Blanche parmi ses clients, mais la gloire est éphémère. En quelques décennies, cette marque a vu son image prestigieuse se dégrader au point que les dirigeants de Ford souhaitaient même l’envoyer rejoindre Mercury au panthéon de l’histoire automobile. Mark Fields, PDG de Ford entre 2014 et 2017, a accordé à Lincoln une dernière chance – et, surtout, plusieurs milliards de dollars – pour se réinventer et redresser ses ventes.
Les responsables de la marque ont agi vite ; ils ont effacé l’ardoise pour tout reprendre à zéro. Finies les désignations incompréhensibles tel que MKX, et terminée la calandre en forme d’ailes. Le nom Continental s’est vu démomifié pour symboliser cette renaissance. Nous sommes allés rencontrer cette grosse berline dans son Michigan natal pour juger s’il est de nouveau possible de prendre Lincoln au sérieux.
Le gros au prix du petit
Aux États-Unis, son principal marché, la Continental débute à 46 305 $ (environ 42 000 €) pour une version de base, mais dépasse la barre des 80 000 $ (73 000 €) quand les clients sélectionnent le modèle Black Label et cochent quelques cases sur la liste d’options. C’est cette dernière configuration qui nous attendait à l’aéroport de Détroit.
Ses 512 cm de long et 191 cm de large rivalisent avec les dimensions d’une Mercedes-Benz Classe S à empattement court, mais son prix la rend plus abordable qu’une Classe E. Nous citons ces modèles uniquement à titre d’exemples, car la clientèle Lincoln n’est pas du genre à se rendre dans une concession Mercedes. C’est aux berlines telles que la Volvo S90 et l’Acura RLX que la Continental doit arracher des ventes, car toutes les deux se vantent d’offrir l’espace et le luxe d’une allemande, sans le surcoût, ni l’austérité. C’est en quelque sorte la recette de la Citroën C6 ou de la Lancia Thesis, concoctée dans une steak house du Texas.
Lincoln ne s’inspire ni d’une Bentley ni d’un petit-déjeuner simplifié pour le nom de son vaisseau amiral ; il lui appartient depuis 1939. Rien ne permet de deviner que c’est la dixième fois que la marque l’utilise. Au lieu de foncer dans le rétro, les stylistes ont dessiné une face avant moderne dotée d’une calandre large et de feux LED qui créent un regard presque numérique. Son profil est soigné et élégant ; notamment, les poignées de porte sont intégrées dans la baguette qui souligne les vitres. Qu’on aime ou pas, ce qui est certain est que cette Continental ne ressemble pas à une Ford, et c’est déjà une bataille importante de gagnée pour Lincoln.
Pourtant, Olga Mesmer, avec sa vision aux rayons X, vous dirait le contraire. C’est bel et bien une Ford à la base. La Continental est construite dans la même usine que la Mustang, mais elle repose sur une évolution poussée de la plateforme CD4 que l’on trouve sous la Mondeo actuelle, connue, outre-Atlantique, sous le nom de Fusion. Ce n’est pas la fondation idéale pour une voiture de luxe, mais Lincoln n’avait pas le choix. Comme dit la sagesse populaire, « on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a ».
Le culte du confort
La bonne nouvelle, c’est que l’acheteur moyen ne prendra jamais la peine de vérifier les origines du châssis de sa nouvelle acquisition, et que la grande majorité de ce que voient et touchent les passagers vient de Lincoln. Un petit bouton électronique dissimulé derrière chaque poignée permet d’ouvrir la portière pour entrer dans un temple dédié au confort. Les sièges avant sont larges, moelleux comme une brioche au lait, et offrent 30 réglages différents, ce qui doit être un record. Tous sont électriques, évidemment, et la majorité de ces fonctions sont accessibles via l’écran 8 pouces intégré dans le tableau de bord. Malheureusement, la marque ne fabrique pas des chaises de bureau ; nous avons demandé.
Les tapis de sol sont épais, et le bleu foncé qui tapisse l’intérieur de haut en bas nous rappelle immédiatement les paquebots terrestres que proposait Lincoln dans les années 1970. Le but des stylistes était de tisser un lien subtil avec le bon vieux temps, quand conduire ses beaux-parents au brunch du dimanche dans une Lincoln était un signe ostentatoire de réussite professionnelle.
Revenons à l’écran tactile. Il présente une version nettement améliorée du système Sync 3 que nous trouvons aussi dans la… Ford Fiesta. Ce n’est guère valorisant, surtout quand on regarde ce que propose la concurrence suédoise. Les ingénieurs de la marque auraient-ils pris cette décision après avoir perdu un pari ? Au moins, il est relativement simple de naviguer sur ce logiciel, mais il n’a pas sa place dans une berline qui se dit haut de gamme.
C’est dommage, car le reste de la technologie est assez réussi. Il y a une instrumentation 100 % numérique d’une simplicité et d’une pureté visuelle dignes de Volvo, un affichage tête haute, et – en option – un système audio avec 19 haut-parleurs qui nous a donné l’impression que les quatre membres des Offsprings étaient sur la banquette arrière avec leurs instruments, en train de nous jouer un concert privé, à 120 km/h sur l’autoroute 75. Notons aussi les ceintures arrière à airbag intégré, qui sont certaines de faire parler les curieux, et les boutons électriques qui remplacent les poignées de porte à l’intérieur (des tirettes un peu grossières sont cachées dans les vide-poches en cas de panne).
Les matériaux utilisés et la qualité d’assemblage sont acceptables – ni plus, ni moins. Personne ne confondra la Continental de Lincoln avec celle de Bentley, mais c’est une façon agréable de voyager.
Tenue (de route) décontractée
Il y a trois choix sur le menu des motorisations. Au premier rang, nous avons un V6 atmosphérique de 3,7 litres qui développe confortablement 305 ch. Au deuxième rang, c’est un V6 2,7 qui met 335 ch sous la pédale de droite en s’aidant de deux turbos ; nous le retrouvons aussi dans le pick-up Ford F-150. Le troisième rang est occupé par un V6 3,0, bi-turbo également, dont la puissance s’élève à 400 ch et 542 Nm de couple. C’est ce dernier qui se loge sous le capot de notre sujet d’essai. Suivez les chevaux et vous trouverez une boîte automatique six vitesses ainsi qu’un système quatre roues motrices avec vectorisation de couple.
Remontez. Ce que vous ne trouverez pas, c’est un levier de vitesses. Il n’est ni entre les sièges, ni sur la colonne de direction. Ce n’est pas une appli smartphone ou de la télépathie non plus. Il y a simplement un totem de boutons sur le côté gauche de l’écran qui correspondent à park, reverse, neutral, et drive. Ce n’est pas du jamais-vu, des dizaines de voitures ont proposé un système similaire (même la Renault Dauphine automatique), mais ça correspond bien à la personnalité décontractée de la Continental. Le dernier bouton active un mode sport qui est aussi à sa place ici qu’un Burger King sur la lune.
Nommez-nous un modèle Lincoln connu mondialement pour sa tenue de route exceptionnelle. Cette devinette est un piège : il n’y en a pas, et la Continental ne se permet pas de briser cette tradition. C’est tout à son honneur, car la marque a enfin compris que ses clients ne veulent pas une sportive et que proposer une imitation peu convaincante d’une BMW ne sert à rien. Les ingénieurs ont tout misé sur le confort, et même avec des jantes de 20 pouces, nous avons l’impression de voyager en compagnie d’Aladin sur son fameux tapis. Le moteur se fait à peine entendre quand nous le brusquons, mais il est silencieux le reste du temps, et la boîte automatique sait se tenir ; nous n’avons jamais utilisé les palettes. La direction qui se commande au petit doigt est digne d’une grosse berline américaine.
Que ce soit sur l’autoroute ou en ville, au soleil ou dans la neige, la Continental se comporte avec une parfaite nonchalance. Elle sait faire preuve de zèle quand c’est nécessaire, comme pour traverser une intersection avant qu’un des innombrables feux qui jalonnent le centre-ville de Détroit ne passe au rouge, car les 400 ch se réveillent rapidement. L’exercice du zéro à 100 km/h prend 5,4 secondes, un chiffre bas pour une berline de deux tonnes, mais elle fait aussi comprendre qu’elle est fort contente quand la cadence ralentie.
Quant à la consommation, les chevaux ont soif. Les meilleurs scores du V6 sont d’environ 14 litres aux 100 kilomètres en ville, 10 litres sur l’autoroute, et 12 en moyenne.
Un retour aux sources
Après un périple d’environ 1 000 kilomètres à travers le Midwest, la Continental nous laisse mitigés. Nous avons apprécié qu’elle se montre relativement rapide, extrêmement confortable, et qu’elle ne nous donne que rarement l’impression de piloter une Ford. Son prix est moins alléchant : pour 80 000 $, il n’y a absolument aucune raison d’acheter une Lincoln au lieu d’une Audi ou d’une Mercedes. Il vaut donc mieux éviter de gravir les échelons de la gamme pour rester dans des tarifs plus logiques, mais est-ce que les acheteurs franchiront le pas et feront l'effort de s’y intéresser et d’ouvrir une brochure ? Ce n’est pas gagné.
Son plus grand défaut, c’est d’être arrivée trop tard. Abstraction faite de quelques allemandes, les grosses berlines sont les CD-ROM du monde automobile. Même les dirigeants de Lincoln admettent en chuchotant que la production de la Continental ne devrait pas tarder à s’arrêter et qu’aucune remplaçante n’est prévue.
Elle ne sera donc jamais un best-seller, mais elle prouve que la marque a retrouvé son chemin. Ce constructeur avec des décennies d’héritage sait désormais qu’il ne faut pas essayer en vain d’être BMW, Mercedes, ou Cadillac. Il suffit d’être Lincoln, et la Continental montre la voie à suivre.
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