Pourquoi je préfère ma voiture à mon vélo pour aller bosser (à regret)
Pour un usage quotidien, le vélo cumule les avantages sur l’auto. Seulement voilà, la cohabitation avec les automobilistes est parfois si compliquée qu’on peut préférer renoncer à ce moyen de transport sain et écolo. Une situation bien regrettable, et pour laquelle les torts sont partagés.
Dans les années 80, le vélo était un engin de déplacement pour adolescents souhaitant se rendre au lycée ou se balader entre amis. Un objet qui agrémentait le paysage au milieu des combinaisons de ski saveur turquoise, des voitures rectangulaires symbolisant l’émancipation sociale et des baskets montantes avec des semelles remplies d’air. Une quarantaine d’années plus tard, il est le symbole d’un « rouler différent », mais aussi le centre d’une guerre urbaine que se livrent les usagers de grandes métropoles. Au point qu’il en est délaissé par beaucoup car désormais dangereux. En voici les raisons.
Une route et un code pour tous
L’après confinement a engendré une démocratisation rapide du vélo en zone dense urbaine. Le vélo est la solution idéale aux transports en commun. Une solution économique, amusante, agréable et qui fait du bien à l’organisme. Mais avec cet engouement se sont multipliés les abus. Le vélo a autant sa place sur la route que la voiture, piste cyclable ou non. Mais il est également soumis aux mêmes règles. Celles du code de cette fameuse route. Or, ces règles sont bafouées, avec pour excuse que les automobilistes font pire et qu’un vélo n’est pas aussi dangereux. Ce n’est pas une excuse, c’est une dérobade. C’est le point névralgique d’un désaccord plus grave qu’il n’y paraît.
Les statistiques sur la distance
On entend un peu tout sur les distances parcourues pour rejoindre son lieu de travail. Une distance qui est évoquée pour montrer les abus d’utilisations de l’automobile et donc pour bannir la voiture définitivement, partout. Tant pis pour ceux qui en ont besoin.
Les dernières statistiques évoquent 21 % des personnes interrogées effectuant moins de 5 km pour un aller-retour. S’en suit un joli 31 % pour une distance allant de 5 à 14 km. Soit 52 % des trajets représentant une distance faisable à vélo.
Ensuite, nous passons à une fourchette de 20 % d’usagers effectuant entre 15 et 29 km. Une fois bien habitué, un cycliste tourne à 45 minutes pour 25 km. Et cela, tous les jours, par tous les temps, toutes les saisons, toutes les températures et toutes les conditions météo. Même lorsqu’il s’agit d’un jour sans.
Il reste tout de même 21 % des personnes interrogées qui font plus de 30 km par jour. Généralement, tout le monde s’accorde sur le fait qu’une voiture ou un deux-roues motorisé sont logiquement à préférer.
Si l’hiver n’est pas un souci pour certains, rouler la nuit par - 5 °C après avoir enchaîné un job physique et peu dormi, fatigué d’une semaine interminable n’est pas si « facile ».
Quoiqu’il en soit, il n’est aucunement évoqué le type de trajet dans ces chiffres. Si les distances inférieures à 5 km sont effectivement peu intéressantes à faire en voiture, les autres sont à relativiser en fonction du contexte.
La culpabilité exacerbée
Vous prenez votre voiture, c’est que vous êtes faible car il y a forcément une personne capable de s’en passer. Comme cette jeune femme avec sa robe, ses talons, ses sacoches et ses deux enfants qui se déplacent à vélo, alors que vous, fainéants que vous êtes, ne faites aucun effort ! Faire culpabiliser les utilisateurs de voiture, en voilà une méthode qui donne envie de changer ! Notez que le contexte de l’exemple est souvent éludé. C’est d’autant plus contre-productif que cette constance dans la culpabilisation engendre forcément un effet inverse. Elle force à choisir un camp, et celles et ceux qui n’avaient pas d’avis en ont un, tout à coup. Une guerre virtuelle qui se poursuit sur la route avec des conséquences qui sont, elles, bien réelles. Le problème vient de l’absence totale d’éléments permettant de dresser le constat global. Cette généralisation est facile puisqu’elle s’affranchit de détail pouvant lui donner tort. C’est d’ailleurs fort dommage, car il y a de nombreux avantages à se déplacer sur un véhicule nécessitant un effort (plus ou moins important) physique, que ce soit économiques, sanitaire ou physiologiques. Encore faut-il donner envie et ce n’est pas en blâmant que l’on y arrive.
L’un n’empêche pas l’autre
À écouter les revendications écologistes, il faut supprimer la voiture. La bannir définitivement. La conséquence étant d’accepter ou refuser cette idée, nous sommes face à deux camps et il faut obligatoirement en choisir un. Comme si choisir sa voiture de temps en temps était une trahison envers mère nature et l’avenir de l’humanité. Un acte de faiblesse qu’il faut châtier. Le mal sous une carrosserie de métal qui aurait réussi à nous attirer dans sans son antre. C’est une idée aussi fausse qu’idiote. Vous ne vous sentez pas de pédaler, de prendre une trottinette, les transports en commun bondés vous obligeant à garder votre masque sur le nez de longues heures durant, alors vous choisissez la voiture. C’est votre droit. C’est d’ailleurs l’essence même du concept de liberté, sans mauvais jeu de mots.
Payer le droit de polluer donne le droit de polluer
C’est assez controversé quand on y pense. D’ailleurs, une part de nous, consciente de l’état actuel du monde se dit que ce n’est pas idéal. Pourtant, à l’achat du véhicule neuf, il a été payé un malus écologique. Autrement dit, il a été donné un « droit de polluer en échange d’une somme d’argent ». Un droit que vous prenez malgré tout avec parcimonie, acceptant même de renoncer à une partie du kilométrage autorisé par votre LOA. Car la nature a une valeur. Sa monétisation et sa financiarisation sont d’ailleurs controversées mais nécessaires pour sa sauvegarde. Enfin, sous réserve que les sommes récoltées s’en assurent. Ainsi, le malus écologique offre un droit d’usage. Si on retire ce droit, il faut également retirer le malus.
Une fracture sociale
Le problème n’est pas de combiner vélo et voiture mais de vouloir remplacer cette dernière par le premier. Or, avec la loi sur les ZFE, et compte tenu de l’absence de dispositifs d’aménagements mis en place pour les personnes n’y vivant pas à proximité, on se retrouve encore une fois face à ce choix imposé. Pour cela, il faudrait des aménagements dédiés, des parkings accessibles aux entrées et gratuits, sans compter les infrastructures reliant les métropoles aux banlieues. Sans ces solutions, interdire la voiture dans une zone revient à l’entourer d’un mur invisible et infranchissable, ce qui est économiquement non viable. Ce n’est pas un hasard si Pontevedra, ville espagnole entièrement piétonne a adopté ces solutions. Un système qui fonctionne parfaitement, preuve que les infrastructures se doivent d’être pensées intelligemment, avec une vision à échelle globale et non locale. Car tout le monde n’a pas le luxe d’habiter à moins de 20 km des métropoles.
Le vrai fond du problème : faire venir tout le monde au même endroit dans la même tranche horaire
Paradoxalement, ce sont les métiers qui n’imposent pas de se rendre en métropole qui justifient totalement l’emploi d’une auto ou d’un deux-roues. Le problème de l’automobile est donc bien propre aux métropoles et proches banlieues. Ces lieux où la population est très dense et le coût au mètre carré inabordable. Alors plutôt que de blâmer l’automobile et d’être stoïque face à la saturation des transports en commun, ne serait-il pas plus intelligent, à l’heure de la fibre optique et de la 5G, à l’heure de la « start-up nation », d’éviter que tout le monde se rende au même moment au même endroit ? Plutôt que de laisser les hostilités ouvertes entre les actives et actifs qui cherchent simplement à rejoindre un lieu de travail de plus en plus difficilement accessible ? Il existe des leviers pour diminuer l’affluence et fluidifier le trafic et la fracture sociale n’en est pas un.
Une guerre qui prend trop d’ampleur
Il y a encore une décennie, nous pouvions nous déplacer à vélo, avec certes des risques, mais liés à l’inattention, aux erreurs. Mais depuis cette guerre ouvertement déclarée après la COVID, ce n’est plus si simple. Ce ne sont plus des erreurs mais des luttes. Des « droits » qui prennent le pas sur le bon sens. Du stress qui engendre des actes dangereusement absurdes. Une situation qui aurait paru irréelle dans les années 90. Cette période où le vélo était ce véhicule d’ado qui permettait de s’amuser et de se rendre, avec une presque totale sensation de liberté, d’un point A à un point B.
Des drames montrés sur les réseaux sociaux comme des épisodes de téléréalité. Des vidéos visant plus la dramatisation que la prévention. Un jeu du « j’ai le droit donc je peux » devenu, depuis quelques temps, le jeu du « je n’ai pas le droit mais je le prends ». De part et d’autre d’ailleurs. « Un vélo ça ne tue pas. Lancé à 25 km/h ça fait juste mal mais rien de fatal ». Certes, un crochet du droit non plus ça ne tue pas, ça ne rend pas la chose agréable pour autant. De l’autre côté, un coup de klaxon n’est pas méchant. Mais lancé juste à côté d’une personne extérieure à la voiture, c’est loin d’être un régal, surtout qu’il s’accompagne souvent d’un petit coup de volant, dont les conséquences peuvent être dramatiques. Un manque de civisme mutuel qui transforme la route en champ de bataille. Si l’affiche du film E.T devait être refaite aujourd’hui, l’extraterrestre serait coiffé d’une Go-Pro.
Un serpent qui se mord la queue
Aujourd’hui, tout est devenu compliqué. Le risque lié à des comportements violents, attisés par l’excitation, le stress, la rage engendre une crainte générale. Des infrastructures de fortunes sont créées çà et là sans qu’aucune logistique globale ne soit appliquée. Dès lors, on se retrouve à renoncer à des solutions pratiques, rapides, économiques, amusantes, grisantes, par peur de ne jamais être de retour chez soi. On prend donc sa voiture, dans des conditions peu agréables, pour des trajets aussi déplaisants pour soi que pour le véhicule, parce que l’alternative à cette auto, dès lors qu’elle est possible physiquement est trop dangereuse.
On pourrait rêver d’un système où chaque usager est à sa place et suit les règles. Mais c’est trop tard. Seule une refonte totale du système permettrait que vélos et motorisés cohabitent. En attendant, une bonne partie préfère être en sécurité en voiture qu’exposée à vélo, ce qui augmente le trafic et engendre plus de problèmes. Un serpent qui se mord la queue, en attendant qu’on l’aide plutôt qu’en proposant de le faire disparaître.
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