Les constructeurs occidentaux doivent-ils se méfier de Vinfast ?
La nouvelle marque automobile vietnamienne qui débarque à la rentrée avec un premier modèle, le SUV VF8, n'est pas issue d'une start-up. Vinfast appartient à un énorme conglomérat local qui, de l'immobilier à la téléphonie en passant par le médical, l'éducation et le tourisme est valorisé à 39 milliards de dollars. Plongée au cœur du premier groupe privé vietnamien qui affiche des ambitions mondiales et se donne les moyens de réussir son arrivée dans l'industrie automobile.
Une de plus ? Encore une nouvelle marque automobile ? Depuis quelques années, et l’avènement de la voiture électrique, nombre de start-up plus ou moins consistantes et exotiques fleurissent sur le marché, et la fin du thermique en 2035 devrait encore favoriser les initiatives, l’électrique étant beaucoup moins complexe à créer et à assembler que la bonne vieille pétrolette.
Dans cette avalanche de nouveaux postulants, avides d’un morceau de gâteau du marché auto, le petit nouveau, du moins le dernier en date, s’appelle Vinfast et il est doté d’un passeport vietnamien. Sauf que le pays n’a pas le début de la moindre tradition automobile, que ses 110 millions d’habitants se déplacent majoritairement en scooter, et que la possession individuelle de voitures y est encore embryonnaire. Alors ? On passe à autre chose ? On se dit que le nouveau venu n’a aucune chance en Europe et aux US, fiefs de la bagnole ou il entend bien se tailler une jolie place ? Pas si simple.
Vinfast appartient à Vingroup, la première et très puissante entreprise privée du pays qui œuvre dans l’immobilier, l’éducation, la téléphonie, le médical, l’hôtellerie et on en passe. Grâce à ses 14 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel, ses 70 000 salariés et sa valorisation à 39 milliards sur les bourses asiatiques, elle a préparé soigneusement son arrivée dans l’auto. Et pour s’en rendre compte, nous nous sommes rendus au cœur du réacteur du conglomérat. Direction Haiphong, au nord du Vietnam, là où sont fabriquées les VF8, VF9 et future VF7 qui vont débarquer chez nous.
C’est là, sur des centaines d’hectares, qu’a surgi en 2018 une usine géante pour un investissement de 3,5 milliards. Elle permet de fabriquer 250 000 autos par an et la cadence peut s’accélérer jusqu’à 950 000 modèles annuels. Mais comme Vinfast veut contrôler toute sa chaîne de production, elle y a a jouté une gigafactory de batteries ou sont assemblées les petites cellules d’origine Samsung.
Une première association avec BMW
Mais on ne s'improvise pas constructeur automobile. Aussi, pour apprendre, Vinfast s'est adossé à BMW, avec un deal gagnant-gagnant. Au Vietnam, les voitures importées sont taxées à 200%. Alors, pour contourner ce gigantesque surcoût, l'Allemand a confié à la marque locale, le soin de maquiller et rebadger son X5 et sa Série 5, rebaptisés respectivement Vinfast President et Vinfast Lux. Ainsi, pendant quatre ans, les Vietnamiens ont appris, et intégrés la qualité de fabrication allemande, avant de dénoncer, en ce mois d'août, le contrat qui les liait avec la firme de Munich. Dorénavant, Vinfast vole de ses propres ailes, et elles ont de l'envergure.
Pour y parvenir, une usine, c’est bien, mais trois, c’est encore mieux, surtout pour se développer à l’international. Aussi, le constructeur vietnamien a-t-il décidé d’investir 2 milliards de dollars aux États-Unis, dans une deuxième unité de production actuellement en cours de construction. Elle devrait employer 7 000 personnes dans trois ans. Et l’Europe alors ? Elle n’est pas oublié et une troisième usine doit voir le jour en Allemagne, pour un investissement similaire à celui qui a été réalisé aux US.
Voilà qui porte l’addition à 7,5 milliards. Mais elle ne s’arrête pas là, car quand on aime, on ne compte pas. Alors, pour la distribution de ses autos, Vinfast ne veut pas s’entourer de concessionnaires indépendants. Ses garages et ses ateliers répartis dans tous les pays où il est présent, il entend bien en être le propriétaire. En France, 8 sont déjà en construction ou en passe d’être ouverts et l’entreprise vietnamienne souhaite en ouvrir 20, et 50 dans toute l’Europe. À la clé : 700 recrutements de salariés. En parallèle de ces stores détenus en propre, la nouvelle marque entend bien réaliser des ventes en ligne, avec une politique commerciale activée sur deux fronts : le virtuel et le réel, façon Tesla.
Mais comment recharger toutes ces VF7, VF8 et VF9 qui vont déferler ? C’est simple : il suffit, là encore, de regarder du côté de Tesla a qui l’affaire a plutôt réussi. C’est ainsi qu’au Vietnam, la nouvelle marque a déjà financé et installé ses propres bornes de recharge rapide, elles sont aujourd’hui au nombre de 40 000. C’est peu ? À titre indicatif, il y en a 65 000 en France, en tout.
On roule en Vinfast, on va à l'école à la Vinschool et on fait ses courses au Vinmall
Mais Vinfast n’a pas l’intention d’implanter ses propres bornes en Europe ou il est plutôt question d’un accord de partenariat avec des infrastructures déjà existantes, à l’instar de Ionity, mais l’affaire n’est pas encore conclue. De la même manière, le nouveau constructeur ne va pas, et pour cause, faire profiter ses clients du vieux continent de son éco-système vitanmien.
Car on l’a dit, Vingroup est un énorme conglomérat. Ainsi, disposant d’une université, de 7 hôpitaux et de nombreuses écoles, mais aussi de programmes immobiliers, elle permet à ses clients d’accéder à des packs. En achetant une villa Vinhome, ils ont des réductions sur leur voiture Vinfast, sur les droits d’inscription aux écoles Vinschool à la fac Vinuniversity pour leurs enfants. Et quand vient l’heure des vacances, ils pourront séjourner dans les resorts géants Vinpearl, toujours avec une ristourne.
Évidemment, les Européens et les Américains ne profiteront pas de la galaxie Vingroup en achetant une VF8 qui doit débarquer chez nous dans quelques mois. Du moins pas pour le moment. Car le débarquement des voitures Vinfast n’est-il pas un cheval de Troie vers l’international ? Un premier pas avant l’arrivée des autres activités du groupe. La direction affirme qu’elle est concentré sur l’objectif automobile, pas sur les autres branches. Soit.
Reste qu’en cas de succès, la diversification des produits à l’étranger est tentante pour un groupe aussi ambitieux. Mais encore faut-il que ce succès soit au rendez-vous. Tesla, le grand modèle américain de Vinfast a débuté en 2008, lorsqu’il a lancé son roadster, et a dû attendre plus de dix ans pour gagner de l’argent. Vinfast a-t-il les reins suffisamment solides pour tenir et investir, aussi longtemps ? Réponse en 2032, pour voir si cette année-là, les VF7, 8 et 9 et leurs descendantes pullulent dans nos rues.
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