Les 24 Heures du Mans en Toyota GR Supra : virée "dé-MANS-ielle"
Aussi à l’aise sur circuit que sur route : voici l’argument de vente de Toyota pour sa Supra 5e génération. Le constructeur japonais vient de ressortir une voiture de légende après 17 ans d’absence. Alors, pour célébrer cet événement, direction les 24 Heures du Mans avec un programme tout aussi décoiffant que le 0 à 100 en 4,3 secondes de ce bolide.
« Les chiffres sont une chose, mais c’est le ressenti qui compte », martèle Tetsuya Tada, l’ingénieur en chef de la nouvelle Toyota GR Supra. Toyota France nous a donc concocté un menu royal spécial « ressenti ». Conduite sur autoroutes, sur nationales, sur départementales, sur une piste militaire aérienne… et sur le légendaire circuit des 24 Heures du Mans ! C’est une véritable orgie aux émotions qui s’annonce.
Départ de cette folle course à la concession Toyota de Tours. Là, une palette de Supra alignées nous attend. Des jaunes, des rouges, des blanches et une A90, une série spéciale avec sa robe gris mat, ses jantes en noir mat et sa sellerie de cuir rouge. Les clients matinaux s’arrêtent, scrutent, prennent des photos, jubilent. Nous autres journalistes aussi. Nous sommes comme des enfants, impatients de nous mettre au volant de ce coupé pour sillonner les routes paisibles du Perche… qui le temps de notre passage, le seront un peu moins. « Attention à vos points » : telle sera la dernière recommandation des équipes Toyota avant de partir.
Avec son 6 cylindres, ses 340 chevaux et son moteur avant à propulsion, difficile de respecter les limitations de vitesse. La Supra est une voiture plaisir que seuls 50 privilégiés ont pu acheter en 2019. La ménager reviendrait à saliver devant la plus exquise des pâtisseries sans pouvoir y goûter. Exit la frustration. L’autoroute est idéale pour enfin savourer. Une envie irrépressible de faire du Paul Walker gratouille ma pédale d’accélérateur. N’est-ce pas lui qui, grâce à Fast & Furious 1, a fait de la Supra une voiture icône ? Quelques excès de vitesse plus tard, la fiction rattrape la réalité. Une voiture banalisée avec gyrophare déboule dans mon rétroviseur. Mon sourire béat vire au jaune, mon palpitant s’accélère… cette fois, plus vraiment sous l’effet Supra. Je me vois déjà privée de la prochaine cerise prévue au menu : atteindre 250 km/h sur une piste de l’armée de l’air. Fausse alerte. La police poursuit son chemin.
Test de stabilité et de vitesse sur piste pour la Supra
Nous voilà arrivés à Châteaudun, base aérienne 279 privatisée pour l’occasion, où sont entreposés des Mirage, Jaguar…. Nous sommes plongés en plein medley entre Top Gun et Jours de Tonnerre. Tout y est : les avions de chasse, les treillis, les voitures de sport, le bitume luisant sous la touffeur. Manque les Ray-ban… Devant un hangar abritant des aéronefs d’après-guerre à aujourd’hui, les quatre anciens modèles de Supra sont rangés en épis. L’occasion de voir les évolutions depuis sa première sortie… il y a 41 ans !
Nous voici sur la piste : 2 300 mètres de long… et un mur en béton au bout ! Le mode sport est enclenché. Objectif : mettre à mal la sportive. Étape 1 : launch control avec tous les modes activés pour une meilleure efficacité. Étape 2 : réaliser un évitement afin de tester la réactivité de la voiture. Étape 3 : se lancer dans un test « V-max », à savoir atteindre en ligne droite les 250 km/h bridés de la Supra. Cette fois, la consigne n’est plus les points du permis, mais : « Si tu croises un lapin, ne l’évite surtout pas ! ». Après la police, le spectre des associations de protection animale se dessine… Mon pare-chocs est déjà moucheté d’insectes aplatis. En une matinée, j’ai atteint mon quota annuel d’homicides de pollinisateurs…
Retour dans l’habitacle de cette automatique à 8 rapports : pied gauche sur le frein ; pied droit à fond sur l’accélérateur ; on relâche ; et la Supra s’élance dans un brouhaha succulent. Pied au plancher, le compteur affiche les 250 tant désirés avant de freiner brutalement au panneau 3, puis 2, puis 1… À quelques mètres, le mur n’a jamais été aussi près ! Rapide, réactive, puissante et précise : la Supra décoiffe !
Une Supra aussi rapide qu'un avion de chasse ? Le parallèle est tentant !
Pour digérer ce pic de sensations, nous reprenons les petites routes sinueuses au cœur de vallées aux bocages verdoyants. Enfants et adultes s’arrêtent pour admirer la Supra ; les coucous de la main sont réguliers ; les pouces levés et les yeux qui scintillent aussi. Sur l’écran, 8,8", Dame GPS a, elle aussi, la tête qui tourne et perd (un peu trop) souvent le nord. Il faut parfois mettre Waze, certes pour le signalement des radars, mais surtout pour retrouver son chemin.
Au Mans, les voitures de luxe roulent avec les petites citadines
Le Mans approche… Nous traversons une forêt de pins ; l’on se croirait étrangement dans les Landes, la mer au bout pour récompense. Mais cette fois, ce sera du bitume, des lacets, des lignes droites, des chicanes, des épingles, et du bruit. Beaucoup de bruit !
Cette année, 252 500 individus – des enfants qui marchent à peine aux papis perclus de rhumatisme – se retrouvent ici pour suivre les 62 inscrits (un record !). Dans les rues embouteillées, les familles plaisantent avec des passionnés déguisés en Mario Bros ; des Rolls côtoient des Kangoo, des Ferrari des 4L ; des trottinettes électriques et des milliers de vélos se faufilent ; les camping-cars à 54 000 € les 4 jours sont voisins des tentes igloos. Un point commun : le barbecue et la table pliante débordant de bières ! Ici, pas de clivage, pas de jugement, pas de perception négative riches/pauvres.
Le Mans, c’est avant tout une fête familiale, bon enfant et avec une mixité sociale qu’on rencontre rarement. Beaucoup d’Anglais traversent la Manche pour s’installer ici le temps des festivités.
La course des 24 heures du Mans est l’une des plus mythiques et prestigieuses au monde. 13626 : c’est le nombre de kilomètres de son parcours, nombre aussi connu que Pi. À sa création en 1923, la vitesse moyenne du gagnant fut de 92 km/h. Aujourd’hui, elle culmine à 250 environ, avec un record de vitesse à 407 km/h dans la ligne droite des Hunaudières.
Sur le circuit, on teste les futures innovations automobiles
Il y en a eu des évolutions en 86 ans ! Les 24 heures ont largement contribué au progrès technique automobile : turbines à gaz, phares antibrouillards, moteur rotatif, freins à disque, phares à LED, au laser et Audi, arrivé avec son moteur diesel, qui a permis de faire avancer considérablement cette technologie !
Cette année, 18 minutes avant le top départ, des dizaines de milliers d’yeux étaient tournés vers la LMPH2G, un prototype électrique hydrogène. L’objectif est de créer une catégorie hydrogène aux 24 heures du Mans pour 2024 ! L’expérience d’Olivier Lombard, le pilote, est sans détour : « Ce départ-là avait une saveur particulière : je partais en pole-position virtuelle, la pole-position de l’hydrogène ! Ce tour était très singulier puisque je me suis élancé seul, sans autres sons que ceux du groupe motopropulseur électrique-hydrogène et des bruits aérodynamiques provoqués par le passage de l’air sur la carrosserie, ce que l’on n’entend jamais avec une voiture à moteur « normal ». »
Un 24 heures du Mans sans bruit ? Impensable ! Inimaginable ! Pendant une semaine, c’est un essaim de bourdons surpuissants qui envahit nos tympans. La patrouille de France qui survole le départ. Une démonstration de militaires sautant d’hélicoptères. Et bien sûr les moteurs des LMP et GTE, mais aussi ceux des spectateurs adeptes du rugissement de leur bolide dans les rues environnantes. Dans les paddocks résonne aussi le bruit strident des visseuses deviseuses des écrous.
Dernières mises au point des Team Managers. Les mécanos chouchoutent les engins avant la course le lendemain.
Le vendredi après-midi, les gradins sont vides. C’est le calme avant la tempête.
Visite VIP dans les paddocks Toyota
Chez Toyota, la pression est palpable. Le Team déambule, visages anxieux. À droite : un énorme camion d’où sont envoyés les Data. À gauche, communiquant avec la piste, le garage. Un garde veille au grain : interdiction formelle de filmer ou prendre des photos dans ce temple de la technologie automobile. La simple sortie d’un téléphone éveille les soupçons. Sur une étagère sont entreposés les casques homologués des pilotes (deux chacun), leurs oreillettes, des blowers (ventilateurs) pour avoir les casques toujours secs, et les boissons vitaminées de la marque « À fond la forme » ! Un slogan de circonstance…Au sol trône une balance. « Fondamentale » lance Christopher Campbell qui nous orchestre la visite. « À chaque fois que le pilote monte dans la voiture, il doit faire au minimum 80 kg. S’il est en dessous, il faut mettre des lests. » En moyenne, un pilote perd 2 à 4 kg pendant la course.
Plusieurs éléments en carbone reposent sur des stands métalliques. Chaque coque demande 6 semaines et demie de travail à la main. « Les éléments en carbone sont très durs à réparer donc nous avons beaucoup de pièces de rechange », poursuit-il. « Comme des Lego, aujourd’hui on enlève le bloc et on remet ». Non loin des écrans où tout le team peut suivre la course sont alignées quatre sortes de cabines fermées. Il s’agit des fours pour mettre les pneus et les jantes à température. 80 °C à chaleur ambiante et ainsi le pilote n’a pas à chauffer les pneus en freinant.
Notre enthousiasme est brisé par une ligne rouge peinte au sol. Impossible de passer le moindre pied derrière. Il faut choisir le torticolis. D’un côté, la salle de télémétrie où un ingénieur Michelin analyse les températures du bitume pour choisir la stratégie à adopter sur le type de pneus. De l’autre, le box avec les voitures.
Un des rares sports ouverts aux handicapés
La course est dans quelques heures. Dans les paddocks, tout le monde est au pied d’œuvre : des nuées de mécano chouchoutent les engins. Frédéric Sausset prend tout de même le temps de nous recevoir, avec son grand sourire de gosse. Amputé de ses 4 membres après une septicémie en 2012, il s’est lancé dans le sport automobile. Quatre ans plus tard, il terminait 38e aux 24 heures. Une première mondiale pour un quadri-amputé ! Aujourd’hui, grâce à sa filière Frédéric Sausset by SRT41, Frédéric permet à des pilotes handicapés de concourir. « C’est un des rares sports où des personnes avec handicap peuvent affronter des valides », se réjouit ce quinquagénaire. Pour autant, avec une voiture « trafiquée » afin de s’adapter au handicap du pilote, pas facile de mettre au pas l’ACO (Automobile Club de l’Ouest) et ses montagnes de restrictions. « Notre voiture n’a été homologuée que mercredi soir… soit 72h avant la course ! ».
Le privilège de rouler sur un circuit mythique...
Retour dans la "Fan zone", dont les magasins et buvettes sont bondés. Toyota y a aussi installé sa structure d’accueil, avec des véhicules exposés et des simulateurs. Idéal pour se tester… avant notre tour de piste, cette fois réel ! Un de mes confrères m’avoue avoir usé sa console à s'entraîner. Malgré cette assiduité, les virages Porsche laissent des traces sur sa carrosserie virtuelle. Je viens de signer une décharge stipulant que percuter un rail m’en coûtera 2 000 €… de ma poche. Porsche et Indianapolis, les virages les plus difficiles, me donnent déjà des sueurs froides.
Le soleil émerge doucement et quelques spectateurs lève-tôt sont derrière la grille. Il est 7h30, le ventre est vide, mais les yeux débordent de bonheur et de stress. Nous sommes les premiers aujourd’hui à emprunter ce circuit mythique. Une voiture à gyrophare nous ouvre la voie. Grandiose !
Le contrôle de stabilité est mis ; l’anti-patinage coupé. Siège réglé : le pied gauche est bien calé pour coller mes omoplates au dossier, les bras sont pliés comme il faut pour garder les mains à 10h10. Quinze Supra s’élancent. Dans la ligne droite des Hunaudières, le compteur affiche 248 ; dans les virages, je pense aux rails qui pourraient me coûter un bras. Quelques minutes plus tard, la ligne d’arrivée se dessine. Trop vite, trop rapide, l’envie de repartir, d’avaler du bitume, de faire mieux, de tester à nouveau, de tourner, virer, s’amuser.
Cette année, 142 900 kilomètres ont été parcourus par les 61 voitures qui ont pris le départ. Soit un peu moins de trois fois la distance de la Terre à la Lune. Ainsi, avoir conduit sur le circuit du Mans, c’est un peu comme avoir entamé ce fabuleux voyage par-delà les étoiles.
Il est bientôt 15h00, samedi 15 juin. Le départ est dans quelques minutes. La tension est palpable.
LE MANS 2019 : LE CLASSEMENT*
Le 16 juin dernier, la 87E édition des 24 heures du Mans se terminait avec la victoire en LMP1 de la Toyota hybride n°8. Il s’agit de la deuxième année d’affilée victorieuse de ce trio Buemi-Nakajima-Alonso, qui remporte aussi le titre de champion du monde du championnat d’endurance.
En 2e position arrive la Toyota hybride n°7,16 secondes plus tard ; puis en 3 position la BR SMP n°11, à 37 secondes du premier.
61 voitures et 183 pilotes figuraient sur la grille de départ.
En LM P2, Alpine réalise elle aussi le doublé et remporte le titre de champion du monde d’endurance. En GTE Pro, c’est la Ferrari AF Corse n° 51 qui s’est imposée.
Un nouveau record de vitesse en course a été atteint par Mike Conway avec 3’17’’297, au volant de la Toyota hybride #7, dans la catégorie LMP1 ; en LMGTE, il s’agit de Matteo Cairoli au volant de la Porsche 911 RSR #88 en 3’52’’567.
* Comme chaque année, jusqu’à l’issue des contrôles des moteurs de certains concurrents, le classement des 24 Heures reste provisoire. Il sera officiel trois semaines après la fin de la course, soit le 7 juillet.
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