Permis de conduire à vie: faut-il soumettre les automobilistes au contrôle technique ?
Les députés européens seront bientôt appelés à se prononcer sur la fin du permis de conduire "à vie". A la place seraient rendues obligatoires des visites médicales tous les 15 ans. C'est l'occasion pour Caradisiac de mettre à jour cette enquête qu'il avait consacré au sujet en 2021.
C’est un sujet sensible, presque tabou, mais qui nous concerne tous : faut-il soumettre les conducteurs âgés à des tests de conduite menés par des professionnels, éventuellement assortis d’une visite médicale ? Le 27 février prochain, les députés européens seront appelés à se prononcer sur le sujet: tout détenteur du permis pourrait alors être soumis à une visite médicale tous les 15 ans.
Selon une étude OpinionWay pour Dekra publiée en 2021, 79% des Français sont favorables à une évaluation de la conduite des 65 ans et plus sur un parcours routier, et 75% le sont à un contrôle médical. Dans cet esprit, 59% approuvent l’idée que le permis de conduire soit accordé pour une durée déterminée, et bien sûr renouvelable.
On relève que la population dont il est question accueille plutôt positivement ces mesures : 69% des seniors acceptent l’idée d’une évaluation de leur conduite, et 58% disent oui à une visite médicale obligatoire. Par contre, 72% refusent l’idée de disposer d’un permis de conduire à durée déterminée à partir d’un certain âge.
En d’autres termes, et sans surprise, les contrôles sont d’autant mieux acceptés qu’ils ne revêtent qu’un caractère informatif. Mais à en juger par les différentes statistiques disponibles, leur instauration serait déjà profitable à tous, surtout dans un contexte de vieillissement de la population.
En effet, les 65 ans et plus représentent 26,2 % de la mortalité pour 20 % de la population (chiffres 2019). En 2010, ce taux de mortalité s’élevait à 19,1 % « seulement ».
Les seniors en première ligne
De même, les statistiques montrent que les seniors ont une responsabilité légèrement supérieure à la moyenne dans les accidents mortels : « les conducteurs des tranches d’âge extrêmes 18-24 ans et 65 ans et plus sont nettement plus souvent présumés responsables, avec des taux dépassant 78 % » détaillait le bilan 2020 de la Sécurité routière (1).
Par ailleurs, l’étude Cosera (Ifsttar/Sécurité routière) de 2018 rappelle que la proportion de personnes âgées de 75 ans ou plus augmentera de 31 % entre 2020 et 2030, et de 57 % entre 2020 et 2040. Et ses auteurs de préciser que « si la mobilité locale est restée stable 1994 et 2008, passant en moyenne de 3,16 à 3,15 déplacements par jour, celle des personnes de plus de 75 ans a augmenté d’environ 20 % chez les hommes et 33 % chez les femmes, celles-ci étant de plus en plus nombreuses à accéder à la conduite (23 % en 1994, 45 % en 2007). »
Les seniors, qui sont de plus en plus nombreux et se déplacent toujours davantage, constituent aussi la population la plus vulnérable : on a déploré en 2023 76 seniors (75 ans et +) tués sur les routes pour 1 million d'habitants, contre 48 par million sur l'ensemble de la population. « La fragilité s’accroît proportionnellement avec l’âge : à blessure égale, une personne jeune survit, une personne plus âgée décède », résume un dépliant édité par la Sécurité routière.
Or, selon une étude publiée en 2021 par l’assureur Generali, 6 conducteurs sur 10 de plus de 65 ans ont exprimé la volonté d’être mieux informés des nouvelles règles du Code de la route et des nouveaux panneaux. De plus, près de 50% des seniors interrogés se sont dit intéressés par des formations de remise à niveau, qui peuvent d’ailleurs aussi se faire en ligne.
La balle est maintenant dans le camp des pouvoirs publics, qui pourraient organiser des campagnes de remise à niveau généralisées. Par ailleurs, le sondage Generali évoqué plus haut indique que 8 seniors sur 10 pensent que les assureurs doivent avoir un rôle actif dans la sécurité routière.
"Les contrôles médicaux des seniors n'ont pas démontré leur efficacité."
Interrogée sur l'intérêt qu'il y aurait à mettre en place des contrôles des aptitudes des seniors à la conduite, la Direction de la sécurité routière avait apporté en 2021 à Caradisiac la réponse suivante:
"Les contrôles médicaux systématiques de l’aptitude à la conduite des seniors n'ont pas démontré leur efficacité dans l’immense majorité des pays où il a été mis en place (2). Aujourd'hui, la Délégation à la sécurité routière examine des solutions alternatives pour garantir la mobilité la plus durable et la plus sûre des personnes âgées. Nous mettons notamment en place des actions permettant d’identifier les pathologies incompatibles avec la conduite quelque soit l’âge du patient en lien avec le corps médical. Ainsi, la DSR poursuit la mise en place d’un dispositif de sensibilisation de tous les médecins traitants au repérage précoce de symptômes en particulier cognitifs ou de traitements nécessitant une prudence ou un arrêt de la conduite. [...] Les aînés représentent une population plus fragile, pour laquelle un accident aura des conséquences plus graves que pour des plus jeunes. Les aînés sont plus souvent des victimes que des responsables d’accidents mortels sur la voie publique." Bref, les pouvoirs publics tiennent à temporiser: ce n'est pas demain que les seniors seront soumis à une visite médicale obligatoire...sauf décision ratifiée au niveau européen.
Bon pied et (surtout) bon œil
On se gardera bien ici de stigmatiser les seniors, pour qui l'automobile est un incomparable outil de liberté, et qui sur la route représentent avant tout un danger pour eux-mêmes. Et on plaidera plutôt en faveur de la mise en place de contrôles de santé réguliers, qui pourraient être mis en place dès 50 ans, par exemple.
Des contrôles de santé qui commenceraient par les yeux, ainsi que le préconise l’AsnaV (Association Nationale pour l'Amélioration de la Vue) : « On constate un nombre important de conducteurs qui présente un défaut visuel non ou mal corrigé (20 % environ,) et ce, toutes tranches d'âges confondues.», commente l’organisme.
Celui-ci rappelle aussi dans son dernier baromètre annuel que 34% des Français « oublient » leurs lunettes pour conduire. La sécurité routière commence pourtant par là, et ce quel que soit l’âge du conducteur.
(1) on parle ici de la part des conducteurs et piétons présumés responsables dans les accidents mortels parmi les conducteurs de véhicules de tourisme, selon la classe d'âge
(2) Etude menée par l’ETSC (Transport Safety Council) dans 32 pays dont les 27 membres de l’UE sur les outils de sécurité routière dont le rapport a été publié en mars 2021).
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