Enquête - Faut-il être fou pour acheter un diesel ?
Pierre-Olivier Marie , mis à jour
C’est un fait, le diesel perd chaque mois du terrain. Pour autant, est-il totalement has been ? Pas si sûr : les constructeurs continuent de croire en lui, la recherche avance, et de nombreux automobilistes se laissent encore tenter. Voici pourquoi.
Faut-il être fou pour acheter un diesel aujourd’hui ? Spontanément, on aurait envie de répondre par l’affirmative pour ce qui concerne la clientèle des particuliers. Depuis qu’a éclaté le scandale du dieselgate, point de départ de la descente aux enfers d'une technologie hier adulée, les moteurs carburant au gazole ne cessent de perdre du terrain. S’ils ont représenté jusqu’à 55% des immatriculations de voitures neuves en Europe en 2012, ils ont baissé aux environs de 44,8% en 2017 (dernier chiffre connu) et tout indique que la chute va se poursuivre.
Une fois rappelées ces évidences, en voici une autre : le diesel n’est pas mort, et cette affirmation repose sur des données purement objectives.
Les constructeurs y croient encore
Ainsi, même s’ils se montrent nettement plus enclins à communiquer sur leurs motorisations hybrides et électriques, les constructeurs automobiles continuent de développer le diesel…tout simplement parce qu’ils en vendent ! Les 44,8% évoqués quelques lignes plus haut représentent la bagatelle de 6,7 millions de véhicules.« Notre gamme de moteurs Blue dCi prouve que nous continuons de croire au potentiel du diesel », fait ainsi valoir un porte-parole chez Renault. « Et plus on monte dans les segments, plus le diesel est un choix pertinent. Coût d’usage, couple moteur et prix à la pompe plaident encore en sa faveur même si, étant donnée la très fluctuante conjoncture actuelle, on travaille aussi beaucoup sur la flexibilité de nos usines, pour répondre aux demandes de plus en plus variées de nos clients. »
Rien qu’en France, les motorisations diesel ont encore représenté plus de 63% des immatriculations de BMW neuves l’an dernier : « le diesel est toujours devant, même si le pourcentage de modèles électrifiés devrait augmenter avec l’arrivée au second semestre de l’offensive des hybrides rechargeables dévoilés au dernier salon de Genève », commente un représentant de la marque. Les possibilités de dépollution sont de plus très nombreuses sur les diesels entre la combustion, l’injection, les catalyseurs, filtres à particules et autres traitements des gaz. « Selon les tests effectués par l’International Council on Clean Transportation (ICCT), les véhicules Euro 6 ont réduit d’au moins 40% leurs émissions d'oxyde d'azote (NOX) par rapport aux véhicules Euro 3. En outre, l'industrie automobile a ramené les émissions de particules à des niveaux proches de zéro. Tant pour les émissions de CO2 et de polluants, des réductions significatives ont été réalisées », assure l'Association des constructeurs automobiles européens (ACEA).
Gazole de synthèse
Une des voies de progrès concerne également les carburants. L’équipementier Bosch expérimente actuellement un gazole de synthèse entièrement renouvelable, composé de matières résiduelles, de déchets et d’huiles alimentaires usagées : « de la source à la roue, l’utilisation de ce gazole réduit les émissions de CO2 d’environ deux tiers (65%) », assure l’entreprise qui continue par ailleurs de travailler sur un système de réduction drastique des oxydes d’azote. Et d'ajouter: « cette technologie permettra de ramener les émissions de NOx des véhicules diesel nettement en dessous du seuil des 120 mg/km qui s’appliquera à partir de 2020, et cela en conditions de conduite réelles, quelles qu’elles soient. Ce résultat repose sur de substantielles modifications des paramétrages du moteur et des émissions et sur l’utilisation d’une technologie et de composants disponibles depuis peu. »
Une part de mystère demeure donc, mais il est certain que la partie informatique est appelée à jouer un grand rôle dans la dépollution. Ce que confirme Mercedes, qui dans son dernier rapport annuel précise que par le seul biais de mises à jour de logiciels, il sera prochainement en mesure d’abaisser de 25 à 30% les émissions de NOx (Oxydes d’azote) sur une flotte représentant 3 millions de véhicules en Europe!
Psycho-gramme
Paradoxe : alors que les autorités européennes ont fixé des objectifs plus ambitieux que jamais en matière de réduction des émissions de CO2 (en l'occurrence 95 g/km en moyenne à l’horizon 2021), lesdites émissions ne cessent de remonter. En cause, le dé-diésélisation du parc automobile au profit de moteurs essence, par nature plus gloutons en carburant. « A mesure que la demande pour les moteurs diesel baissera, les consommateurs se tourneront vers des moteurs essence, avec des émissions de C02 supérieures à celle de moteurs diesel pour ceux qui chercheront plus de puissance et de couple. Cela conduira à une augmentation des émissions globales de CO2 à l’avenir », commente le cabinet spécialisé Jato. Cette tendance est accentuée par la vogue des SUV, véhicules par nature plus gloutons en carburant pour des raisons de poids et d’aérodynamisme.
« Ce n'est pas un hasard si 2017 a marqué la première augmentation de CO2 des voitures depuis le début des records en 2010, car c'était aussi la première année où l'essence dépassait le diesel en termes de ventes de voitures neuves », ajoute Erik Jonnaert, secrétaire général de lACEA. « Si l'on compare des segments essence et diesel similaires, les nouvelles voitures à essence émettent 10 à 40% [de CO2] en plus que les nouvelles voitures diesel classiques. »
Pour cette raison, les constructeurs automobiles ont tout intérêt à soutenir les ventes de diesel, parallèlement à l’émergence des électriques et hybrides. Il en va des lourdes pénalités dont ils devront s’acquitter en cas de dépassement avéré des normes, mais aussi de la pérennité de leur outil industriel. L’organisation de la production est soumise à une inertie incompatible avec le caractère plus volage des consommateurs.
Le salut par le haut de gamme
Audi a récemment créé l’événement avec ses dernières sportives: les versions destinées à l’Europe de ses S5, S6 et S7 carburent exclusivement au diesel, et pas n’importe lequel. Il s’agit d’un V6 3.0 TDI développant 347 ch dont le couple culmine à 700 Nm. Ainsi doté, le coupé S5 passe de 0 à 100 km/h en 4,8 secondes tout en ne réclamant que 6,2 l/100 km en moyenne (valeur NEDC corrélée). Mieux : ce moteur est doté d’une technologie micro-hybride 48 volts dernier cri qui permet notamment de circuler en mode « roue libre » pendant une durée de 40 secondes. Audi assure ainsi que les modèles S économisent jusqu’à 0,4 litre de carburant dans les conditions de conduite réelle.
Et dans des gammes de prix moins déraisonnables, on citera par exemple les Peugeot 508 HDi 180, BMW 220d, DS7 HDI 180, Mercedes Classe A 220d et autres Volvo V60 D4 parmi les diesels qui font envie (liste non exhaustive, loin s’en faut !). En termes d’image, l’existence de ces modèles désirables, à la fois performants et sobres, permet d’attirer l’attention des automobilistes sur une technologie qui a encore de solides arguments à faire valoir.
« Remettons un peu de bon sens dans tout ça. »
Trois questions à...
Fabrice Godefroy, qui dirige l'association Diésélistes de France
Le diesel n’est pas mort ?
Loin s’en faut ! Un diesel, c’est minimum 20% de consommation en moins. Même avec des prix au litre similaires, ça reste plus intéressant pour un gros rouleur, qui parcourt 20 000 km ou plus par an. Les SUV et crossovers représentent aujourd'hui 38% des ventes, mais ce sont des voitures plus lourdes et qui consomment plus.
Vous voulez dire qu’on achète aujourd’hui des voitures aux moteurs inadaptés ?
Je prédis de sacrées surprises aux clients qui auront choisis leur gros SUV en essence quand ils examineront leur budget carburant au bout d’un an. Remettons un peu de bon sens dans tout ça.
Mais sur les petites voitures, convenez qu’un diesel n’a plus de sens…
Non, bien sûr. Avec les petites voitures, c’est plié. D’ailleurs, ça n’a jamais vraiment eu de sens d’y installer des diesels, à part bien sûr pour celles qui roulent beaucoup. Les voitures des commerciaux, notamment. Je rappelle d’ailleurs que les pouvoirs publics continuent de soutenir le diesel via la prime à la conversion, accessible si on achète un modèle thermique et dont les émissions sont inférieures ou égales à 122 g/km. Cela concerne des modèles neufs ou d’occasion récente, en essence comme en diesel.
Retour de flamme
A travers cet article, Caradisiac ne cherche pas à se muer en avocat forcéné du diesel. On sait à quel point celui-ci est malmené sur le marché du neuf comme sur celui de l’occasion, on sait aussi qu’il va faire l’objet de restrictions de circulations croissantes dans les grandes métropoles, et on sait enfin que nombre de grands groupes y croient de moins en moins, à commencer par PSA qui a annoncé que le bloc 1.5 HDi serait le dernier diesel qu’il développerait.
Reste que cette technologie dispose encore de nombreux atouts (agrément, coût d’usage, consommation) et que, comme on l’a vu, son potentiel de dépollution demeure important. Il ne faut donc pas être fou pour acheter un diesel, mais simplement le faire en toute connaissance de cause. Après tant d’années de diesel-mania effrénée, ce rééquilibrage du marché automobile apparaît tout simplement salutaire.
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