2. Essai Pagani Utopia – Sur la route : monstrueuse et si gentille à la fois
Le temps s’écoule très vite dans ce genre de reportage. A la pression du gros bouton rouge sur la console centrale, le V12 se réveille dans un grognement assez violent et je me glisse d’abord sur le siège passager à côté d’Alberto, l’un des pilotes d’usine de Pagani qui connaît la voiture comme sa poche. Dès les premiers mètres, heureusement, je constate que la climatisation fonctionne bien pour garder l’habitacle à bonne température alors qu’il fait 40 degrés dehors. Un genre de détail à la fois futile et extrêmement important pour valider la polyvalence de supercars parfois trop radicales pour la vie de tous les jours. J’entends bien des petits craquements et autres bruits de fond caractéristiques des voitures équipées d’une monocoque en fibre de carbone, mais je découvre une auto dont les réglages la rendent tout à fait utilisable en ville et sur les chaussées en très mauvais état de la région de Modène. La souplesse développée par les amortisseurs pilotés me rappelle un peu l’Audi R8 ou la Bugatti Chiron. Le niveau de confort général n’atteint pas celui de la supercar de Molsheim, mais l’Utopia peut jouer sans problème les vraies GT malgré son statut si élitiste. Il y a aussi un « lift » pour ne pas racler le train avant sur les dos d’âne et la vision périphérique ne gêne qu’au niveau du modeste vitrage au centre du capot arrière. Au passage, les deux persiennes sur le toit apportent un joli bain de lumière et l’ambiance à bord donne l’impression de rouler dans une voiture imaginaire d’un film dystopique au cinéma.
Cette fois, je m’installe dans le siège conducteur. Et croyez-moi, devoir démarrer dignement au volant d’une supercar de 1100 Nm de couple dotée d’une boîte manuelle à côté du pilote d’usine, ça met un tout petit peu la pression. Cette pression s’envole tout de suite après le passage de la première vitesse sur la grille, en bas à gauche façon « dog leg » : d’une fermeté vraiment pas intimidante, la pédale d’embrayage dévoile une course très facile à doser et un point de patinage rassurant. Rien à voir avec l’embrayage un peu pointu d’une Porsche 911 S/T qui vous fait caler lamentablement au début, ici c’est comme démarrer avec un diesel !
La boîte, en revanche, impose un vrai temps d’apprentissage dans son maniement. Cette superbe grille en aluminium taillé dans la masse, qui possède huit encoches (7 rapports + la marche arrière en haut à gauche), demande de la poigne et une vraie rigueur. Il faut décomposer parfaitement pour les 3-4, 4-5, 4-3 et je comprends pourquoi le journaliste de Top Gear ratait des vitesses dans son bel essai vidéo. Rien à voir avec les débattements enfantins d’une boîte de Civic Type R ou de la rapidité de celle d’une 911 S/T. Celle de l’Utopia représente, à elle toute seule, une intense expérience de conduite. Pour progresser avec la voiture, il faut vous améliorer. Et heureusement, ça vient vite.
Au bout d’une petite dizaine de kilomètres, ça va mieux. Les 2-3 et 4-3 restent parfois un peu brouillons mais je commence à me familiariser. Et j’explore la personnalité de la voiture : équipée d’une assistance électrohydraulique comme une McLaren, la direction paraît à la fois légère et très consistante. Là aussi, je retrouve un peu le feeling de Bugatti mais avec davantage de remontées et un train avant qui lit souvent la route. Pas spécialement rapide, cette direction va de pair avec un rayon de braquage compliquant parfois les manœuvres. Mais quand on commence à hausser le rythme, elle semble d’un calibrage absolument parfait.
Allez, j’’enlève le mode Confort et j’actionne le mode Race sur la belle molette du volant dont le mécanisme rappelle -là aussi !- celle de la Chiron. Seconde, rupteur, troisième. Me voilà en nage. La climatisation marche toujours très bien mais la furie mécanique qui vient de se déchaîner m’a pris totalement par surprise. Comment un moteur bi-turbo de 1 100 Nm prenant moins de 7 000 trs/min peut faire ça ? Il donne l’impression d’aller bien plus haut dans les tours, garde de la linéarité malgré son explosivité monumentale et produit une sonorité démoniaque. Un hurlement que je n’avais jamais entendu, suivi de gros « pshhit » à chaque lever de pied. Rien à voir avec la cacophonie (fascinante par ailleurs) d’un W16 quadri-turbo Bugatti, même si on retrouve ces incontournables bruits de décharge des gros escargots après chaque accélération. Rien à voir, non plus, avec le W12 bi-turbo d’une Bentley Continental GT Speed d’ancienne génération. Non seulement le douze cylindres revu par Pagani cogne plus fort que ce dernier, mais il se comporte comme un vrai moteur latin d’exception malgré ses origines germaniques. Quelle surprise, vraiment !
Et ce n’est rien à côté du caractère dévoilé par l’auto tout entière quand on se met à la pousser sur des routes étroites et parfois défoncées. Dans ces conditions, la quasi-tonne en moins sur la balance par rapport à la Bugatti contribue très probablement à faire une grosse différence. Même avec la suspension dans son mode le plus radical, l’amortissement reste souple et la voiture s’autorise à prendre du roulis. La suspension semble parfaitement travailler sur ce terrain puisque malgré un certain degré de patinage (probablement atténué électroniquement sur les premiers rapports), on se retrouve à mettre plein gaz et envoyer toute la sauce dès que le volant revient à peu près droit ! Les évolutions en Utopia deviennent vite exaltantes et étouffantes car, même en restant prudent et maladroit sur un temps d’essai horriblement court, on parvient immédiatement à cerner la limite de grip du train avant et sentir tout ce qu’il se passe entre le volant et les roues avec une précision sidérante. Aussi fou que cela puisse paraître, la Pagani Utopia de 864 chevaux et 1 100 Nm en pure propulsion est une voiture qu’on peut cravacher comme un petit Porsche Cayman ! Alors, oui, fatalement, il faut garder à l’esprit qu’on dépasse très vite les 200 km/h avec un tel poumon dans une voiture si légère. Mais avec des freins aussi costauds (systèmes Brembo carbone-céramique avec disques de 410 mm à l’avant et 390 mm à l’arrière) et une belle pédale bien dure à la consistance extra (façon McLaren), les décélérations se situent au même niveau.
On matraque la boîte en faisant « cling », on met plein gaz, les énormes Pirelli P-Zero Trofeo RS semi-slicks sur-mesure limitent le patinage, on écrase les freins, on jette la voiture en virage et on se sent en totale maîtrise. En mode Race, les béquilles électroniques un peu relâchées ne paraissent jamais intrusives. J’ai même vu mon collègue, un ancien journaliste de Caradisiac peu recommandable et bien meilleur pilote que moi, sortir de superbes glisses fumantes « ESP Off » comme s’il ne conduisait pas une machine coûtant le prix d’une baraque de rêve. Quelle journée d’essai surréaliste, je vous assure. Pour l’anecdote, le même collègue a croisé le proto de la prochaine supercar Ferrari camouflée pendant que j’étais au bord de la route à l’écouter passer. Il est petit, le microcosme de la région de Modène…
J’aurais voulu garder la voiture pendant des heures et des heures, retourner sur les belles routes découvertes à l’automne dernier en Lamborghini Huracan Sterrato pour aller plus loin dans l’exploration, hélas il faut déjà rentrer à San Cesario Sul Panaro. Dans les bouchons, je me sens plus que jamais dans une GT avec cet embrayage si doux à manier. Au fait, vous voulez connaître la consommation ? 20 litres aux 100 en tapant un peu dedans, 12,5 litres en conduite tranquille. Pas si mal même s’il faudra payer les 60 000€ du malus écologique français. Bon, ça ne représente pas tout à fait la même fraction du prix total que sur une Toyota GR Yaris…
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