Enquête - Peut-on faire confiance aux constructeurs automobiles?
Peut-on accorder sa confiance aux constructeurs automobiles ? Depuis le dieselgate, on sait les industriels capables de pratiques condamnables, susceptibles de jeter un trouble durable dans l’esprit des consommateurs. Dans un autre registre, il arrive que les marques commercialisent des modèles ou équipements défaillants qui mettent en danger la vie des usagers. Caradisiac revient sur quelques-uns des cas les plus problématiques des dernières années.
Volkswagen n’avait pas besoin de ça. Alors qu’il commençait à sortir la tête de l’eau après trois années de tempête causées par le dieselgate, le constructeur allemand a vu sa réputation à nouveau ternie par la révélation, le 25 janvier dernier par le New York Times, de tests respiratoires sur des singes menés pour son compte en 2014 par un organisme indépendant aux Etats-Unis, l’EUGT (Groupe européen de recherche sur l’environnement et la santé dans le secteur du transport). Celui-ci était cofinancé notamment par les groupes VW, BMW et Daimler, auxquels s’ajoutait l’équipementier Bosch.
« En 2014, les scientifiques d'un laboratoire d'Albuquerque ont mené une expérience inhabituelle: dix singes accroupis dans des chambres hermétiques, regardant des dessins animés pour se divertir en respirant les vapeurs d'une Volkswagen Beetle diesel »
New York Times, 25 janvier 2018
Les macaques durent subir ce traitement pendant quatre heures, ceci dans le but de prouver que les technologies récentes étaient moins nocives que les plus anciennes. Les résultats prouvèrent hélas le contraire, et furent donc cachés sous le tapis…jusqu’à l’hiver 2018, donc.
« Les chercheurs américains voulaient faire leurs tests sur des volontaires humains », commentera Thomas Steg, responsable du groupe VW pour les relations publiques et avec les autorités, cité par l’AFP. « J’ai répondu alors que je ne pouvais autoriser cela » et il a été décidé « de mener l’étude sur des singes. Avec le recul, celle-ci n’aurait jamais dû avoir lieu, qu’il s’agisse d’hommes ou de singes. Ce qui s’est passé n’aurait jamais dû arriver, je le regrette vraiment »
L’homme avait été suspendu de ses fonctions fin janvier, au moment où l’information suscitait un émoi considérable outre-Rhin (et ailleurs), suscitant des commentaires sévères de la classe politique : « du point de vue de l'éthique, ces tests sur les singes ou sur les humains ne [pouvaient] être justifiés d'aucune manière », commentera par exemple le porte-parole du gouvernement.
S’ajoutait en effet aux tests sur animaux une étude menée en 2013 et 2014 par un institut hospitalier d’Aix-la-Chapelle et qui avait vu 25 personnes en bonne santé inhaler en 2013 et 2014 du dioxyde d'azote (NO2)…
Le même Thomas Steg assura alors que les volontaires avaient été exposés à des « niveaux bien plus faibles que ceux constatés sur de nombreux lieux de travail », et qu’« aucune de ces personnes » n'avait subi de dommages. C’est sûrement vrai, mais en termes d’image de marque, c’était un vrai cataclysme.
Pour autant, le soufflé retombera assez rapidement. Et par un communiqué en date du 6 juin, le groupe VW annonçait la réintégration de Thomas Steg dans ses fonctions à la suite d’un audit interne ayant conclu à sa non-responsabilité. L’homme exprimera à cette occasion des regrets et des excuses publiques pour n’avoir pas empêché ces tests. De son côté, VW, après avoir condamné moralement la tenue d’expériences sur des animaux, annonce procéder à un inventaire complet des études qui furent ou sont encore menés en son nom. Les conclusions en sont attendues en fin d’année.
Enfumage généralisé
L’honneur est - à peu près - sauf pour un groupe toujours englué dans les suites du fameux dieselgate. Rappelons que fin 2015, VW avait dû admettre avoir équipé 11 millions de voitures diesel (dont 8,5 millions en Europe) d'un logiciel faussant le résultat des tests anti-pollution d’émissions d'oxyde d'azote, lesquelles se montraient jusqu’à 40 fois supérieures aux normes autorisées. L’affaire concernera surtout des modèles Volkswagen produits entre 2007 et 2015, mais toutes les marques du groupe seront touchées à des degrés divers (60 000 Porsche rappelées en mai 2018, soupçons de manipulation sur 60 000 Audi en juin, etc.).
Bien sûr, le scandale connaît des développements judiciaires avec par exemple des ouvertures d’enquêtes pour fraude, manipulation ou publicité mensongère en Allemagne, ce qui a notamment conduit à l’incarcération du patron d’Audi Rupert Stadler au mois de juin, tandis que l’actuel dirigeant du groupe Herbert Diess et ses prédécesseurs Martin Winterkorn et Matthias Müller sont visés par des enquêtes. Enfin, rappelons que les autorités allemandes ont infligé mi-juin à VW une amende d’un milliard d’euros pour ces manquements, somme qui s’ajoute aux 25,8 milliards déjà provisionnés par le groupe pour amortir les conséquences judiciaires de la fraude.
La première conséquence du dieselgate est une dégringolade généralisée des ventes des moteurs à mazout. Le diesel a représenté moins de 45% des ventes de voitures neuves l’an dernier, contre 56% en 2011, et l’érosion se poursuit. Au-delà, se pose la question de la confiance qu’accordent les consommateurs aux compagnies. D’après une étude menée à travers 15 pays par l’Observatoire Cetelem de l’automobile en 2017, 56% des personnes interrogées estiment que le dieselgate a eu un impact négatif sur leur perception des marques : « J’ai bien sûr entendu parler de l’affaire Volkswagen, le consommateur a été trompé, mais j’ai la certitude que ce n’est pas un cas isolé parmi les constructeurs », commente l’une d’entre elles. De fait, des soupçons pèsent ou ont pesé sur Daimler, Fiat, Renault ou PSA…
Enfin les « vraies » consommations
Au moins le dieselgate aura-t-il eu pour vertu d’accélérer la mise en place de mesures de consommations plus proches de la réalité, ce qui n’était pas un luxe. En passant du cycle NEDC aux normes WLTP, on aura des valeurs supérieures d’environ 25% à ce qui était annoncé jusqu’ici. Il aura simplement fallu qu’éclate un scandale écologique mondial pour en arriver là. Sans cela, jamais les constructeurs n’auraient bougé le petit doigt pour changer les choses, veillant notamment à ce que la commission européenne ne modifie pas un protocole de tests mis au point dans les années 70 et pratiqué uniquement sur banc d’essai.
Avec l’augmentation de la fiscalité sur le gazole et les perspectives d’interdiction de circulation dans certaines agglomérations, les automobilistes se détournent massivement d’une technologie diesel que les constructeurs, avec le soutien plus ou moins actif des pouvoirs publics, nous ont présenté comme la plus propre pendant des années en vertu d’émissions de CO2 inférieures à celles des moteurs essence, sans tenir compte des microparticules qui s’attaquent aux voies respiratoires. Un peu court, donc.
Les temps changent, on l’a vu, et les champions du diesel d’hier se muent progressivement en fervents promoteurs de l'électrique. De fait, tous les constructeurs ou presque sont lancés sur cette voie du zéro émission, laquelle a royalement représenté 0,8% des ventes mondiales l’an dernier ! Malgré les déclarations grandiloquentes des uns ou des autres, ce n’est pas encore avec ça qu’on sauvera la planète. Mais le consommateur-automobiliste est invité à suivre le mouvement, en vertu du principe selon lequel la vérité de 2018 n’est pas celle de 2015, laquelle n’aurait pas changé si rapidement si VW n’avait pas été pris la main dans le pot de confiture. Parlez de convictions…
Constructeurs français : des pièces détachées plus chères en France qu’ailleurs
La confiance des consommateurs est un bien précieux…dont nos constructeurs nationaux ne se privent pas d’abuser, comme par exemple avec les prix des pièces détachées. Vous l’ignorez peut-être, mais ceux-ci sont systématiquement majorés sur le marché domestique, ainsi que l’avait mis en évidence une étude de l’organisme Insurance Europe dont Caradisiac s’était fait l’écho. Détail piquant, ce sont les assureurs eux-mêmes qui tiraient la sonnette d’alarme devant cette pratique qui fait grimper les prix de réparation.
On y apprenait par exemple qu’un bouclier avant de Renault Clio 4, facturé 273 € HT, était vendu 207 € en Belgique, soit 32% d’écart. Chez Peugeot, on constate 50% de différence sur un bouclier avant de 208 entre la France et la Pologne (207 € contre 305 €), et Citroën n’est pas en reste avec notamment 28% d’écart sur un pare-brise entre la France et l’Allemagne (217 € contre 278 €). Or, il est bien question de pièces d’origine fabriquées dans les mêmes usines et vendues dans le réseau officiel des constructeurs! « Nous observons jusqu’à 50 % de différence pour une même pièce d’un pays à l’autre, la France étant la plus chère. Des écarts inexplicables d’un point de vue industriel », commentait alors Frédéric Maisonneuve, Président de SRA, association à laquelle adhèrent toutes les entreprises d’assurances automobiles et qui a pour objet de répertorier les prix des pièces détachées. Ce à quoi Peugeot, interrogé par Caradisiac, avait répondu que « le prix des pièces de rechange est fixé en fonction du marché local, des coûts logistiques et du prix d’achat ou de fabrication des pièces, lui-même fonction du lieu d’implantation de nos fournisseurs. » Dit plus clairement, cela signifie que dans les pays où ils sont en position de conquête, nos chers constructeurs cassent les prix…pour mieux se rattraper sur le marché domestique, où ils savent bénéficier d’un soutien fort de la clientèle. Pas très fair-play, tout ça…et très français hélas. L’étude évoquée plus haut avait en effet montré que des marques comme Volkswagen ou Opel ne cédaient pas à de telles pratiques.
Constructeurs au rappel
L’automobile est une industrie lourde, qui malgré des procédures de contrôle rigoureuses, connaît des ratés aux conséquences parfois dramatiques. Citons par exemple l’affaire des commutateurs d’allumage défectueux chez General Motors, laquelle aurait été à l’origine de 124 décès aux Etats-Unis, auxquelles s’ajoutent 275 personnes grièvement blessées. La défaillance pouvait entraîner un arrêt du moteur, ce qui rendait les freins rapidement inopérants et désactivait les airbags. Au terme d’un contentieux qui s’est étalé de 2014 à 2017, le groupe aura versé 2,5 milliards de dollars d’amendes et dédommagements selon un décompte établi en juin 2017. Deux ans plus tôt, le groupe avait été contraint de régler une amende de 900 000 dollars pour dissimulation d’informations liées à ce problème touchant plusieurs modèles.
On se souvient aussi du cas de ces Toyota dont la pédale d’accélérateur pouvait se bloquer, contraignant la marque à rappeler près de 10 millions de voitures à travers le monde en 2009-2010. Aucune volonté de dissimulation ou de tromperie en ce cas précis, juste l’illustration que même chez un constructeur dont la réputation n’est plus à faire en matière de qualité et de fiabilité, des problèmes de conception restent possibles.
Consommateurs sans rancune
Paradoxalement, les automobilistes-consommateurs ne semblent guère tenir rigueur aux constructeurs des manquements ou défaillances dont ils se rendent responsables. Les résultats obtenus par le groupe VW en apportent l’éclatante illustration. L’entreprise a connu un bénéfice record de 13,8 milliards d’euros l’an dernier (deuxième rang mondial derrière Toyota), et l’exercice 2018 s’annonce meilleur encore. Perspectives identiques pour la marque Volkswagen, après une année 2017 de tous les superlatifs (6,2 millions de véhicules vendus). « Pour les constructeurs automobiles, le niveau d’exigence des consommateurs est plus élevés que pour d’autres secteurs de l’industrie », observe Mike Ostrowski, Senior consultant du Reputation Institute qui établit chaque année un baromètre de la réputation des entreprises. « Toutefois, l’achat d’automobile étant moins fréquent que d’autres, cela permet d’estomper les effets d’une crise comme le dieselgate. »
Si un scandale écologique d’envergure mondiale n’est pas à même de faire vaciller un géant de l’industrie, on voit mal en effet ce qui pourrait l’atteindre.
C’est dans ce contexte que se profile l’arrivée sur nos routes de véhicules à délégation - au moins partielle - de conduite. Or, seul un quart des Français (26%) disent faire confiance aux entreprises qui conçoivent et fabriquent les voitures autonomes pour réglementer leurs véhicules, selon une étude Ipsos publiée en mai. « Confier sa sécurité à une intelligence artificielle a toujours suscité des incertitudes fortes, plus encore à la lumière des accidents qui ont impliqué des voitures autonomes avec des pionniers tels que Tesla ou Uber », commente Pauline Laujac, d’Ipsos. « Ces accidents contribuent à affecter la confiance placée dans les voitures autonomes. Un travail pédagogique devra être mené, à condition d’avoir des éléments de rassurance face à ces inquiétudes, notamment en matière de réglementation. » Plus que jamais, la question de confiance sera au cœur des préoccupations. Et là, aucun droit à l’erreur.
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