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Enquête - Les 80 km/h en question

Dans Pratique / Sécurité

Pierre-Olivier Marie, Stéphanie Fontaine , mis à jour

Depuis le 1er juillet, c’en est fini du grand frisson consistant à rouler à 90 km/h sur le réseau secondaire. Une disposition qui suscite une polémique constante, et au sujet de laquelle nombre d’entre nous se posent encore bien des questions. Caradisiac vous apporte les réponses attendues.

Enquête - Les 80 km/h en question

Quelle histoire les amis! En annonçant le 9 janvier dernier la mise en place de la limitation à 80 km/h sur les routes bidirectionnelles du réseau secondaire à compter du 1er juillet, Edouard Philippe a suscité une vague d’indignation qui ne faiblit pas. Ainsi, les sondages successifs montrent que cette mesure continue d’être rejetée par trois Français sur quatre, et à cela s’ajoute l’opposition de nombreux parlementaires et élus locaux. Même pour un premier ministre droit dans ses bottes et se disant  « prêt à assumer l’impopularité », il y aurait de quoi se poser quelques questions. Les premiers éléments de réponses, en tous cas, ne devraient pas tarder à apparaître sous la forme de statistiques de sécurité routière qu’il faut espérer nettement améliorées, sinon quoi ce serait à désespérer.

Le chef du gouvernement a tenu à préciser vendredi 29 juin que « ...l'objectif, ça n'est pas d'emmerder le monde. L'objectif, c'est de faire en sorte qu'il y ait moins de morts et moins de blessés graves. ». Et il est revenu sur la question le lundi 2 juillet sur RTL (voir la vidéo ci-dessous), assurant que s'il comprenait parfaitement les interrogations et les critiques, l'idée est "de sauver des vies et d'éviter des blessés", et qu'à ce titre "il faut savoir prendre des décisions impopulaires".

Enquête - Les 80 km/h en question

Enquête - Les 80 km/h en question

 

Un grand basculement s'est donc opéré le 1er juillet, au terme duquel Coyote, le fabricant d’avertisseur de zones à risques (ou antiradars, si vous préférez), précise que « les routes limitées à 90 km/h ne représenteront plus que 0,41% du réseau ».

Caradisiac s’attache à répondre aux questions que se posent encore nombre d’automobilistes, tant au niveau des modalités pratiques accompagnant la mise en place de la nouvelle limitation qu’à celui des risques – réels ou supposés – d’écoper de PV injustifiés.

Combien de kilomètres de route et de panneaux routiers sont-ils concernés par le changement de limitations, et combien coûte l’opération?

« Si plus d’1 million de kilomètres de routes correspondent théoriquement aux critères généraux du nouveau décret (routes bidirectionnelles à chaussée unique sans séparateur central), ce sont 466 000 kilomètres d’axes majeurs ou secondaires qui sont actualisés » explique le fabricant de GPS TomTom après mise à jour de ses données cartographiques. Et alors que « les Parisiens ne verront aucun changement suite à l’application de ce nouveau décret, les Périgourdins emprunteront plus de 10 000 km de routes impactées par le changement de vitesse. Et c’est en Seine et Marne que les conducteurs seront plus contrôlés avec 47 radars fixes sur les tronçons limités à 80 km/h, contre 26 en Dordogne. »

D’après la sécurité routière, 11 000 panneaux sont concernés par le changement de limitation. Les pouvoirs publics évaluent l’opération à un coût compris entre 6 et 12 millions d’euros. Une somme qui varierait donc du simple au double (!), justifiée selon les autorités par le fait que « le coût d’un panneau n’est pas unique, et varie en fonction de la quantité, de la taille et de sa classe rétro-réflexion. »

« Le prix moyen pour changer un panneau est de 200 euros : 80 euros pour le panneau sorti d'usine, auxquels s'ajoutent 120 euros pour la pose »  détaille un représentant du Syndicat des équipements de la route (SER) interrogé par l’AFP. Ce sont les collectivités locales (les conseils départementaux, donc) qui financeront les opérations, avant d’être remboursées par l’Etat. A titre d’exemple, retenez que pour le Jura, le changement de panneaux est évalué à 10 000 € en comptant les coûts de main d’œuvre. En Indre-et-Loire, le conseil départemental a annoncé que la pose de 300 nouveaux panneaux ferait grimper la facture à près de 30 000 €. En Corrèze, la somme de 100 000 €  a été évoquée par le conseil départemental, qui fait partie de ceux qui s’opposent le plus fermement à la mesure.

Enquête - Les 80 km/h en question

Concrètement, comment seront installés les nouveaux panneaux ?

Une grande partie des nouveaux panneaux 80 aura été posée avant le vendredi 29 juin, mais leur débâchage n’interviendra que le lundi 2 juillet. Et « s’il reste des panneaux 90 au bord des routes limitées à 80 km/h après le 1 juillet, ce qui est possible, nous comptons sur les automobilistes pour les signaler aux préfectures », a récemment précisé Emmanuel Barbe. Dimanche 1er juillet, il y a donc de fortes chances que les automobilistes croisent essentiellement des panneaux bâchés, et il leur incombera d’adopter les 80 km/h en vertu du principe selon lequel nul n’est censé ignorer la loi. D’après TomTom, « 61% des Français déclarent ne pas avoir commencé à identifier les routes dont la vitesse va changer à partir du 1 juillet. » L’intense matraquage médiatique (auquel Caradisiac participe) devrait les y aider sans peine.

Les radars seront-ils réglés à 80 km/h dès le 1er  juillet ?

Si la sécurité routière évoque le chiffre de 1 100 cinémomètres concernés par la nouvelle limitation, TomTom avance que « plus de 1800 radars (fixes, tronçons, etc), soit plus de 50% du parc français total, sont disposés sur des axes concernés par la nouvelle vitesse ».  

Au-delà de la querelle de chiffres, retenez que les radars étant réglés à distance, ils seront en mesure de flasher les contrevenants à compter de 00h01 le 1er juillet. Par contre, interrogé par Caradisiac si des contrôles supplémentaires mobiles étaient à redouter dès dimanche, le délégué interministériel s’est montré clair : une recrudescence des contrôles mobiles n’est pas à redouter dimanche, et « aucun nouveau radar n’accompagnera la mise en œuvre de cette mesure ». Et le même de préciser que les gendarmes seront appelés à faire œuvre de pédagogie dans un premier temps, avec distribution de prospectus vantant les bienfaits de la mesure.

Où ira l’argent des PV récoltés ?

A en croire les autorités, le montant des amendes récoltées bénéficiera directement aux victimes de la route : « l’augmentation de ressources qui sera liée à une éventuelle augmentation des PV ira aux hôpitaux », a assuré Emmanuel Barbe au micro de RTL. « Le montant sera traçable en loi de finances, et publié sur Internet. » Rappelons que les PV rapportent chaque année 1 milliard d’euros à l’Etat. « Mais nous dépensons dans le même temps 3,7 milliards d’euros pour la sécurité routière », objecte Emmanuel Barbe.

Combien de temps vais-je perdre dans mes trajets ?

La vitesse de 80 km/h représente une distance de 1 333 mètres à la minute, soit 167 mètres de moins que si l’on roule à 90 km/h. Sous cet angle, concédons que la polémique qui accompagne le changement de limitation apparaît assez dérisoire. D’après les simulations réalisées sur circuit par la Sécurité routière en partenariat avec l’Utac / Ceram, l’écart sur un trajet de 39 km bouclé à allure régulière s’établirait à 1mn32s, donc peu de chose en réalité. Plus que le maintien absolu des 90 km/h, vitesse déjà passablement soporifique, c’est aussi la crainte de voir les limitations encore abaissées dans les prochaines années qui inquiète. Après les 80 km/h, pourquoi ne pas passer à 70 ?

Depuis janvier, le délégué interministériel à la sécurité routière Emmanuel Barbe a mulitplié les déplacements en France pour "vendre" les 80 km/h.
Depuis janvier, le délégué interministériel à la sécurité routière Emmanuel Barbe a mulitplié les déplacements en France pour "vendre" les 80 km/h.

Y gagne-t-on vraiment en sécurité?

Caradisiac a eu plusieurs fois l’occasion de démontrer qu’il arrivait à la Sécurité routière d’annoncer des valeurs de freinage totalement fantaisistes dans ses argumentaires. Les pouvoirs publics parlent ainsi d’une distance d’arrêt de 81 mètres quand on roule à 90 km/h. Cette valeur repose sur un temps de réaction d’une seconde, soit 25 mètres parcourus à 90 km/h (ce qui est déjà un peu long), à laquelle s’ajoute une distance de freinage de 56 mètres. Or, des tests antérieurement menés par la Sécurité routière ont montré que la distance d’arrêt d’une Renault Clio (pas un modèle de course, donc) n’excédait pas 44 mètres. Mieux : des tests menés par Michelin, société qui dispose d’une certaine expertise en matière de sécurité active, montrent que la distance de freinage à 100 km/h s'établit à 34 mètres.

Bien sûr, nul ne pourra objecter qu’une voiture roulant à 80 freinera plus court que celle roulant à 90. Les 13 mètres théoriquement gagnés (selon la Sécurité routière) peuvent faire la différence entre une simple frayeur et un véritable drame. Mais si l’on suit le même raisonnement, personne ne pourra objecter non plus qu’en laissant sa voiture au garage, le risque de connaître un accident de la route est nul...

Tous les départements jouent-ils le jeu ?

Le passage à 80 km/h ne fait pas l’objet d’un consensus républicain. Début mars, les Présidents de 28 départements ont adressé une lettre ouverte au Premier ministre pour lui demander de renoncer à l’abaissement de vitesse, et lui proposer de leur laisser le soin de faire du « cas par cas » sur les axes accidentogènes. « Faisons du sur-mesure », plaide ainsi François Sauvadet (Côte d’or), qui début juin estimait dans Le Parisien / Aujourd’hui en France que « cette mesure est incomprise des français, notamment dans les zones rurales où la voiture est un outil indispensable pour se déplacer. » « Demain, le Cantal sera toujours aussi beau, mais encore plus loin », renchérissait le Président du conseil départemental Bruno Faure (Le Monde, 17/04), craignant le renforcement de l'enclavement de son territoire.

Les sénateurs ont embrayé au mois d’avril en publiant un rapport de 58 pages intitulé « mieux cibler pour plus d’efficacité », lequel contient notamment la proposition suivante : « Plutôt que d’appliquer la réduction de vitesse de manière uniforme, nous proposons qu’elle soit décentralisée au niveau des départements, afin de l’adapter aux réalités des territoires, et qu’y soient associés les acteurs pertinents, afin d’en favoriser l’acceptabilité et l’efficacité ».

Dans les Hautes-Alpes, les élus avaient voté en avril une délibération défendant le maintien des 90 km/h sur les 1 935 kilomètres de routes gérées par le département: « la délibération du conseil départemental se trouve entachée d'illégalité et doit à ce titre être retirée », avait répondu la Préfecture un mois plus tard.

Ne désarmant pas, Jean-Marie Bernard, président LR  du conseil départemental, a choisi de supprimer des portions à 70 km/h. « Avec l'abaissement par le gouvernement de la vitesse autorisée à 80 km/h, les limitations à 70 km/h n'ont plus de sens », plaide l’élu avec un certain bon sens…pour un combat perdu d’avance.

Les autorités n’ont accordé qu’une considération polie à toutes les désapprobations locales, et n’ont pas dévié d’un degré du cap initialement fixé. Et Emmanuel Barbe de rappeler avec un brin de mauvaise foi que « les départements ont le droit de baisser les vitesses  sur certains tronçons, et aucun ne l’a fait… »

Parmi les derniers à résister figure le département de la Creuse, dont la Présidente Valérie Simonet dit refuser de financer le changement des panneaux routiers : « aucun discernement n'a été fait, aucune différenciation malgré nos interventions. En l'absence de concertation, que l'Etat se débrouille.»

Même son de cloche en Corrèze : « S'il faut bâcher les panneaux à 90 en attendant d'avoir les panneaux à 80, l'Etat n'a qu'à envoyer ses agents faire le boulot ! », a récemment déclaré le président du conseil départemental interrogé par La Montagne. « Ils n'auront qu'à bâcher les panneaux eux-mêmes, envoyer les agents de l'Etat faire le boulot... Le gouvernement n'a qu'à être responsable des mesures qu'il décide. Nous, ce qu'on demande, c'est de ne pas appliquer les 80 tant qu'on n'a pas posé les panneaux.»

Mais comme expliqué plus haut, nul n'est censé ignorer la loi: dans la Creuse, en Corrèze ou ailleurs, c'est bien le 80 km/h qui s'applique dimanche. Si toutefois vous êtes verbalisé dimanche sur une route affichant indûment 90 km/h, n'hésitez pas à contester, photo à l'appui. Il y a de fortes chances que le PV fasse l'objet d’une annulation.

Au-delà des postures locales anti-80 km/h, que guident aussi parfois des considérations politiciennes (les anti sont souvent des élus Les Républicains), les 80 km/h s’imposent à toutes et à tous sur le territoire, dès dimanche à minuit. Et même si les pouvoirs publics nous donnent rendez-vous dans deux ans pour une évaluation de l’efficacité réelle des nouvelles limitations, ne nous y trompons pas : comme Caradisiac vous l'a déjà démontré, les 80 km/h sont là pour longtemps.

Et déjà se profile à l’horizon le 120 km/h - voire le 110 - sur autoroute, moins au nom de la sécurité (le grand ruban concentrant moins de 5% des morts sur la route) qu’à celui de la lutte contre la pollution. Le très médiatique professeur Claude Got, chantre de la lutte anti-vitesse, a récemment annoncé dans le Journal du dimanche qu’il s’agissait de son prochain combat.

Enquête - Les 80 km/h en question

   

 

Données carto TomTom 80kmh par dept.pdf

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