DESIGNERbyBELLU - Jacques Saoutchik, l’âme slave
Parmi les grands noms qui ont fait la notoriété de la carrosserie française dans les années 1930, Jacques Saoutchik, originaire d’Ukraine, se trouve tout en haut de l’affiche avec ses créations époustouflantes.
Jacques Saoutchik est une personnalité atypique dans l’univers de la carrosserie française. Iacov Saoutchick (avec « ck ») vit le jour en 1880 près de Minsk, en Biélorussie. Sa famille, originaire d’Ukraine, vivait au sein d’une communauté juive quand éclatèrent les premiers pogromes. Iacov quitta son pays à dix-neuf ans et s’installa à Paris avec une formation de menuisier. Sur les rives de la Seine, il est devenu Jacques Saoutchik.
Il s’associa avec un artisan parisien et ouvrit un atelier d’ébénisterie dans le 11e arrondissement de la capitale. En 1906, Jacques Saoutchik se maria et se lança dans une nouvelle aventure en créant une entreprise de carrosserie à Neuilly-sur-Seine, à deux pas de la porte Maillot. Sa première création était basée sur une base Isotta Fraschini. Le jeune entrepreneur avait déjà le goût du luxe… Un certain sens de l’originalité, aussi : dès avant la Grande Guerre, Saoutchik proposa des carrosseries transformables qui allaient constituer une spécialité de sa maison dans les années 1920. Revanche éclatante pour cette âme slave si longtemps persécutée !
À cette époque, le cosmopolitisme est dans l’air du temps, dans l’art du temps. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la vie artistique se trouve stimulée par le formidable apport que génère le brassage des cultures. En 1925, Serge Lifar est à l’affiche des Ballets Russes. Au Théâtre des Champs-Élysées, Joséphine Baker, accompagnée par Sidney Bechet, triomphe dans la « Revue nègre ». Le jazz pénètre sur la scène parisienne. Le critique d’art et journaliste André Warnod évoque une « École de Paris » qui réunit une kyrielle d’artistes étrangers : Marc Chagall, Jules Pascin, Ossip Zadkine, Tsugouharu Foujita, Amedeo Modigliani, Moïse Kisling, Alexander Archipenko, Kees Van Dongen…Pour les exilés, Paris redevient le centre de toutes les audaces, l’espace de toutes les tolérances. Jacques Saoutchik vogue sur ce courant. Il avoue son attirance pour le luxe : Rolls-Royce, Panhard & Levassor, Voisin, Minerva, Sizaire-Berwick et bien sûr Hispano-Suiza défilent dans les ateliers de Neuilly. Et même les superlatives Bucciali, de préférence aux voitures plus… ordinaires.
Saoutchik reste on ne peut plus réservé vis-à-vis de la vogue de l’aérodynamique qui vient des États-Unis - dans le silage du "streamline" - et qui bientôt déferle sur l’Europe. Dans les années 1933 à 1939, il préfère développer des motifs et des raccords de couleurs originaux. Il écrit en mai 1935 dans une revue spécialisée : « Les changements continuels de l’automobile en France ne s’expliquent pas sinon qu’ils sont inspirés de la mentalité américaine ». Jacques Saoutchik s’insurge contre les effets de mode et en appelle à Hispano-Suiza ou Rolls-Royce qui « heureusement y échappent ». De fait, toutes les Hispano-Suiza de Saoutchik, tant les modèles H6 que les K6 ou les J12, restent doctes et formalistes.
Après la Seconde Guerre mondiale, Saoutchik aura du mal à assimiler les transformations de l’automobile. Les excès décoratifs, les chromes surabondants, l’influence de l’Amérique, la tentation de la ligne ponton déboucheront sur des carrosseries extravagantes qui parfois confinent à la monstruosité. Mais avec le recul du temps et une bonne dose d’indulgence, les réalisations les plus flamboyantes de Saoutchik ont du panache. Elles sont pour la plupart élaborées sur les grands châssis Delahaye, les types 135 et 175.
Dans les années 1950, les créations de Saoutchik participent à la décadence de la carrosserie française. En 1952, Pierre Saoutchik, l’un des trois enfants de Jacques, prend les rênes de l’entreprise. Il doit gérer la crise, assumer les fautes de son père, ses dettes, sa maladie. Il conserve quelques clients du Proche-Orient qui apprécient son style maniéré. Saoutchik concocte plusieurs Pegaso incroyables puis le carrossier décroche et dépose le bilan en 1955.
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