Spécial USA - DESIGNERbyBELLU - Harley Earl, l’inventeur du design
Serge Bellu , mis à jour
Au fil d’une carrière exceptionnellement longue, Harley J. a jeté les bases du design moderne au sein de General Motors où il a animé le studio Art & Colour pendant trois décennies.
Sourire de jeune premier et carrure de cow-boy, Earl a grandi sur les collines de Hollywood. Peu motivé par les études, il quitte l’Université de Californie du Sud (USC) pour entrer dans l’atelier paternel, Earl Automobile Works, où il imagine ses premières carrosseries. Après une ultime tentative de deux ans à l’université de Stanford, le jeune Harley travaille chez Don Lee, agent Cadillac qui a repris l’affaire de son père. Harley Earl apprend son métier et côtoie les stars. Douglas Fairbanks et Mary Pickford se font confectionner des carrosseries chez Don Lee. Le milieu du spectacle sied au jeune homme élégant et extraverti.
En décembre 1925, Larry Fisher l’approche et lui confie l’étude d’une caisse pour une future Cadillac, moins luxueuse, qui doit s’appeler « LaSalle ». De janvier à mars 1926, Earl vit à Detroit pour mener à bien son projet. Il retourne quelques mois à Los Angeles, donne sa démission à Don Lee, et revient à Detroit en juin pour s’y installer définitivement.
Pour dessiner la première LaSalle, Harley Earl reconnaît qu’il s’inspire des Hispano-Suiza. La présentation a lieu dans le cadre du Salon de Boston, le 5 mars 1927. La voiture impressionne le public et convainc définitivement le patron de la GM de créer le département Art & Colour auquel il songeait depuis quelque temps. Le studio est officiellement ouvert le 23 juin 1927 et il est confié à Harley Earl.
Au bout de six mois, onze personnes ont déjà été engagées pour grossir les rangs de Art & Coulour. À terme, le studio emploiera une cinquantaine de personnes. Howard O’Leary est chargé de recruter les stylistes. Est-ce par hasard ou par prescience, le bras droit de Earl a la main heureuse. Une kyrielle de futurs talents immenses vont passer chez Art & Colour : en 1927, Gordon Buehrig (auteur de la Cord 810) ; en 1932, John Tjaarda (créateur de la Lincoln Zephyr) et Philip Wright (dessinateur de la Pierce Arrow Silver Arrow) ; en 1933, Virgil Exner (futur responsable du style Chrysler) ; en 1939, Eugene Bordinat (futur patron chez Ford) ; en 1948, Richard Teague (qui dirigera Packard puis American Motors)… Harley Earl impose de nouvelles méthodes de travail en introduisant la technique du modelage en argile synthétique (« clay ») sur une armature en bois.
En 1938, Harley Earl est aussi l’instigateur de la création du premier concept-car de l’histoire de la GM : la Buick Y-Job. Établie sur la base mécanique d’une Roadmaster, la Y-Job annonce le style des Buick du millésime 1946.
Pendant le long mandat de Harley Earl, la General Motors traverse des phases décisives de l’industrie automobile américaine, de la vogue du « streamline » dans les années 1930, à la prospérité des années 1950 traduite par les carrosseries arrogantes.
En 1955, Harley Earl, qui préside toujours le Styling Staff de GM, prend une initiative iconoclaste. Il réunit le groupe des Damsels of Design, une équipe de huit étudiantes sorties du Pratt Institute de New York. Elles travaillent sur le design intérieur, les couleurs et les matériaux.
Malgré le regard pertinent des Damsels, ce team va être dissous par le successeur de Harley Earl dès sa nomination. L’ouverture d’esprit ne se transmet pas d’une génération à l’autre…
C’est également pendant la gestion de Harley Earl que va naître le Tech Center, un formidable manifeste de l’architecture futuriste des années 1950. Il se trouve à Warren, à la périphérie de Detroit. Imaginé en 1957 par l’architecte finlandais Eero Saarinen et le paysagiste Thomas Church, le Tech’ Center est préservé sous sa forme originelle, avec ses murs de briques vernissées dans vingt-six coloris différents, ses bâtiments longs, plats et rectilignes, généreusement vitrés, encadrant un grand lac rectangulaire d’où surgit un superbe château d’eau, icône étincelante et intemporelle de tous les futurismes. À l’autre bout du lac, une sculpture d’Antoine Pevsner et le Dôme, un vaisseau éblouissant, posé là pour l’éternité, en partance pour d’improbables futurs.
Rien n’a changé depuis la construction du Technical Center. Les escaliers, aériens, qui mènent au studio « couleurs et matières », le grand bureau de Harley Earl, les modeleurs proches des designers, la lumière, la vue sur le lac…
En 1958, Harley Earl cède sa place à William Mitchell. Après le paroxysme du millésime 1959, l’automobile américaine va devoir se réinventer.
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