DESIGN BY BELLU - Eternel postmodernisme : "La tendance semble solidement ancrée dans la panoplie des outils utilisés par les designers d’aujourd’hui en mal d’inspiration".
En architecture, le postmodernisme consiste à singer les références au passé. En design automobile aussi : une multitude de designers continuent de chercher l'inspiration dans l'histoire. De l’Alpine A110 à la David Brown Speedback GT, les exemples se multiplient à l’envi. La tendance postmoderne dure et perdure.
Au départ, le mouvement postmoderne ressemblait à une mode. À une tendance passagère, un peu frivole, souvent ironique. Des caricatures comme la New Beetle de Volkswagen, la Mini de BMW, la première MX5 de Mazda ou la Mustang de Ford renvoyaient au parti pris que Ricardo Bofill avait appliqué dans le domaine de l’architecture et dont quelques designers s’étaient emparés pour dessiner des objets de la vie quotidienne. Pour Charles Jencks, critique et théoricien du mouvement, la notion de « postmodernisme » réagissait contre les excès du purisme, de l’internationalisme et du fonctionnalisme, mamelles de la modernité d’alors.
La tendance est plus tenace qu’on pouvait l’envisager à l’origine. Elle semble même solidement ancrée dans la panoplie des outils utilisés par les designers d’aujourd’hui en mal d’inspiration. Plus les années passent, plus les stylistes cultivent le souvenir du passé, et moins cette facilité se limite à un phénomène marginal.
Ébauchée dans les années 1980, la tendance postmoderne s’est installée durablement dès la décennie suivante dans le monde de l’automobile. De nombreux designers se sont emparés de cette esthétique de la rétrospective, en fouillant dans la mémoire des marques, en cherchant des références. Mazda donna le ton en 1989 avec la MX-5 qui copiait la Lotus Elan. Avant elle, plus marginale, la Nissan Be-1 avait été la première à jouer sur la corde de la nostalgie. Présentée en 1985, elle faisait penser aux citadines européennes des précédentes décennies, à la Mini anglaise ou à l’Autobianchi A 112, icônes des cités post-soixante-huitardes. À la même époque, toujours au Japon, Sharp lançait un poste de radio évocateur des années 1950 avec leurs teintes acidulées et leurs formes désuètes. Une multitude d’objets ont suivi.
On pouvait penser que le design s’était replié sur les valeurs rassurantes du passé, avec humour, dérision et parfois subversion, parce que l’on approchait du passage symbolique dans un nouveau siècle et un nouveau millénaire. C’était sous-estimer le phénomène. En 2018, le mouvement reste toujours aussi vivace. Pour ressusciter la marque Alpine, les designers du groupe Renault n’avaient pas d’autre choix que de restaurer l’esprit de la Berlinette des années 1960 afin de donner d’emblée une âme au projet, de le raccorder à une histoire. BMW n’avait pas opéré autrement pour relancer la marque Mini. Sans relation avec le produit initial, ni dans son concept ni dans son gabarit, la Mini du troisième millénaire assumait l’héritage de l’icône conçue par Sir Alec Issigonis par quelques tics de style et la création des déclinaisons sportives rappelant l’heure de gloire des Mini-Cooper.
Et après ? Pour les designers, l’enjeu consiste à ne pas s’enfermer ad vitam aeternam dans une imagerie folklorique. Certains y parviennent. Mazda a su faire évoluer sa MX5 avec pertinence, s’éloignant progressivement de l’allure rétro pour glisser vers le style « kodo » résolument contemporain. En revanche, Volkswagen a complètement raté la deuxième mouture de la Beetle et que dire des dérapages de Mini avec des variantes guidées par le marketing et non des considérations esthétiques.
Une évidente facilité
Le postmodernisme est un moyen simple et efficace pour rappeler le poids de l’histoire et affirmer l’identité d’une marque. En Grande-Bretagne, David Brown, homonyme du sauveur d’Aston Martin en 1947, est venu sur le marché du luxe avec une interprétation néo-classique de la DB5. De l’autre côté de l’Atlantique, l’approche s’adresse aux réflexes les plus conservateurs. Chez Chevrolet, Ford et Dodge, le créneau des sportives musclées est occupé par des modèles qui se réfèrent ouvertement aux Camaro, Mustang et Challenger des sixties en reprenant leur patronyme et leur silhouette et en reproduisant le ronflement rocailleux de leur V8. Ça fleure fort l’Amérique profonde, ça sonne comme une ballade de Johnny Cash et ça résonne comme les échos nauséabonds de l’America First…
À ce point de nostalgie, la démarche postmoderne devient une posture contestataire et s’assimile à une volonté de décroissance. Comme une simple mode « vintage » qui surfe la petite musique désolante du « c’était mieux avant ».
On préfère rêver d’un design prospectif, plus créatif, et convaincu que ce sera mieux demain.
Photos (6)
Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération