DESIGN by BELLU : Pegaso, l'heure espagnole
Pendant sept petites années, un ingénieur espagnol a voulu provoquer Enzo Ferrari. L’homme a échoué, mais il a laissé quatre-vingt-quatre objets précieux, des chefs-d’œuvre de style et de technologie.
Lorsque l’on découvre la première automobile Pegaso, exposée au Salon de l’Automobile de Paris, en 1951, son nom inspire la plus grande circonspection.
L’instigateur de cette initiative se nomme Wilfredo Ricart, ancien directeur technique d’Alfa Romeo de 1936 à 1945, et ancien animateur des marques Ricart y Perez et Ricart-España. Il était aussi l’ennemi intime d’Enzo Ferrari qu’il avait côtoyé pendant quelques mois chez Alfa Romeo. Dans Mes joies terribles, publié en 1963, Enzo Ferrari rapporte un échange avec son rival. Demandant au Catalan « aux allures levantines » pourquoi il était toujours juché sur des chaussures à semelles épaisses, Wilfredo Ricart lui répondit que « Le cerveau d’un grand ingénieur ne doit pas être secoué ».
Après l’expiration de son contrat chez Alfa Romeo, au lendemain de la guerre, Wilfredo Ricart revient en Espagne. Il trouve une nation meurtrie par dix années de conflit, un pays qui a gardé les colorations graves et sombres de Guernica, qui a connu les déchirures de la guerre civile et du conflit mondial dans l’ombre sinistre de Franco. L’Espagne avait besoin de se motoriser pour se reconstruire. C’est dans cette perspective que l’E.N.A.S.A. est créée en 1946 pour produire les camions Pegaso.
Wilfredo Ricart est engagé comme directeur technique de cette société. Très vite, il monte un centre de formation pour les techniciens et imagine de distraire ses ouailles en leur faisant dessiner, sous couvert de récréation, les plans d’une berlinette superlative… Car Ricart a un objectif secret : concurrencer Ferrari sur le terrain du grand tourisme…
La Pegaso Z-102 qui apparaît en octobre 1951 tient ses promesses. Elle est animée par un huit-cylindres à quatre arbres à cames commandés par une cascade de pignons. Le beau V8 à course courte avec chambres de combustion hémisphériques et carter sec est entièrement usiné en aluminium.
Les soupapes, inclinées à 45° et refroidies au sodium, sont travaillées en acier au chrome silicium. Présentée avec un moteur 2,5 litres 165 ch, la Z-102 est ensuite gratifiée d’un 2,8 litres 170 ch et finalement un 3,2 litres de 195 ch avec un compresseur toujours disponible en option.
La liste des sophistications s’étend aux autres parties du châssis. L’essieu arrière De Dion comporte un ensemble boîte/pont/différentiel avec les tambours de frein lovés contre cette belle pièce de fonderie. Les suspensions avant et arrière sont assurées par des barres de torsion associées à des amortisseurs télescopiques. Le châssis est constitué d’une plate-forme rigidifiée par plusieurs éléments de la carrosserie.
Lorsque la Pegaso Z-102B est présentée à Paris, elle fait tourner les têtes autant par sa ligne que par sa mécanique. Le style des premiers modèles, réalisé en interne, est brutal, mais il a une indéniable personnalité. En octobre 1952, Pegaso dévoile une création unique en son genre, une voiture conçue et construite par les carrossiers de cette usine espagnole. Avec ses roues carénées et sa lunette bulbeuse, son style est « dramatique », au sens britannique du terme. Baptisée « Capulo », la voiture est exposée au Salon de Paris 1952 puis au World Motor Sports Show de New York en février 1953 avant d’être cédée au dictateur Rafael Trujillo y Mollina, président de la République dominicaine.
Mais bientôt, la confection des carrosseries est confiée à des carrossiers professionnels : le Français Saoutchik et l’Italien Touring. La vieille entreprise de Neuilly prend d’ailleurs la représentation officielle de Pegaso pour le marché français. Au Salon de Paris 1952, on voit apparaître la première Pegaso habillée par Saoutchik qui vit alors des heures tragiques et ultimes. Pierre Saoutchik décroche un contrat avec la firme espagnole Pegaso qui lui confie la réalisation de petites séries de la Z-102 (vingt-cinq coupés et douze cabriolets). Trop tard. En 1955, Saoutchik dépose son bilan.
Dans le même temps, Ricart s’adresse à la Carrozzeria Touring pour réaliser des barquettes sportives. Puis Touring signe le modèle qui sera le plus répandu de toutes les Pegaso puisqu’il sera produit en vingt-quatre exemplaires sur un total de 84 voitures.
Cette berlinette est aussi la plus belle de toute la gamme.
La berlinette présentée par Pegaso au Salon de Paris 1953 est très représentative du style Touring avec ses lignes simples et dépouillées et ses proportions parfaites.
En dehors des modèles de série, plusieurs carrosseries spéciales sont confectionnées, notamment la « Thrill » exposée aux Salons de Turin et Paris en 1954.
Extravagante et extravertie, cette voiture tranche sur les créations contemporaines de Touring, souvent plus sobres. Aiguillonné par les fantasmes aérospatiaux des Américaines, le carrossier se permet ici des envolées pareillement aérospatiales.
Le carrossier espagnol Serra, qui ne manque pas de talent, confectionne de son côté sept cabriolets qui vont marquer la fin de l’aventure automobile de Pegaso.
En octobre 1955, Pegaso lance une version évoluée de la Z-102 qui porte la référence Z-103 et dont la principale différence porte sur le moteur qui se contente d’un arbre à cames central. C’était le commencement de la fin pour l’aventure automobile de Pegaso qui allait s’interrompre en 1958.
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