Des voitures moins sûres pour relancer les ventes ?
Rendre plus abordable la petite voiture populaire en l’affranchissant des normes européennes dictées par les constructeurs allemands, c’est ce que réclament les deux patrons de Renault et Stellantis.

Image rare à la une du Figaro mardi dernier : les patrons de Stellantis et Renault, John Elkann et Luca de Meo sur la même photo. En titre : « Le sort de l’automobile européenne se joue cette année. » Diantre, j’achète, même si je me doute qu’il s’agit encore d’un plaidoyer pour le report du tout électrique en 2035, l’augmentation des primes à l’achat ou des droits de douane sur les voitures chinoises.
Mais que les deux boss – au passage tous deux italiens- se soient mis d’accord sur ces sujets clivants serait déjà une surprise qui vaut largement 3,90 €.
Comme disent les Suisses, j’ai été déçu en bien.
Si l’interview débute effectivement par un tableau très sombre du marché automobile européen, le seul au monde qui n’a pas retrouvé son niveau de vente d’avant Covid (18 millions d’immatriculations en 2019, 15 l’an passé) et dont la pente le menace d’être « divisé par deux en l’espace d’une décennie » selon Luca de Meo, les deux compères se montrent nettement plus créatifs sur les causes de ce marasme.

Une familiale au prix d’une 911
C’est parce que les voitures sont devenues trop chères, plaident-ils.
Nom de d’là, ils ont enfin percuté !
Effectivement, à moins de 20 000 €, on n’achète plus qu’une citadine d’entrée de gamme et pour une familiale, il faut plutôt compter dans les 30 000 € en restant dans le modeste. Quand j’ai débuté dans la presse automobile, en 1989, à ces prix, on pouvait s’offrir respectivement une BMW Série 3 et une Porsche 911. D’accord, je ne corrige pas de l’inflation, mais l’idée est là, les tarifs catalogue ont explosé depuis le début de la décennie 2010 et après la dernière poussée inflationniste de l’après COVID, la voiture neuve est devenue un produit de luxe.
Sur ce constat, les deux CEO ont une explication : ce sont « les règles européennes (qui) font que nos voitures sont toujours plus complexes, toujours plus lourdes, toujours plus chères et que les gens, pour la plupart, ne peuvent tout simplement plus se les payer » relève Luca de Meo.
Les normes européennes que Luca de Meo accuse d’être responsables à 92,5 % - notez la précision - des 40 % d’augmentation du prix de la Clio entre 2015 et 2030 et auxquelles, selon John Elkan, l’ingénierie consacre un quart de son temps.
Un temps, c’est moi qui l’ajoute, qui n’a donc pas pu bénéficier à la mise au point de la distribution et à la segmentation du moteur Puretech.

Du pricing power aux keï cars
Pardon de faire de l’ironie, mais même si leurs arguments se défendent, même si on ne peut que les rejoindre dans l’absurdité du nouveau paquet de normes GSR2 qui va encore renchérir nos voitures pour un hypothétique bénéfice en termes de sécurité, j’ai eu parfois l’impression, à les lire, qu’ils découvraient la Lune.
Et même, au risque de sembler immodeste voire ridicule, de relire tout ce que j’écris depuis dix ans ici même, et auparavant dans le mensuel Auto-Moto. Sur l’obésité des voitures, la sophistication inutile, la germanisation des standards et des gammes, l’aberration du SUV...
Luca de Meo et John Elkann veulent que l’Europe permette, avec des normes allégées, de revenir aux petites voitures économiques, celles qui mesurent moins de quatre mètres, et qui représentaient, comme ils le rappellent, 50 % des ventes dans les années 80 et moins de 5 % aujourd’hui. Que ne l’ont-ils réclamé plus tôt ! Pourquoi n’ont-ils osé des versions allongées des Twingo et 108 qui auraient pu être ces micro-familiales bon marché ? Pour ne pas concurrencer les Clio et 208…
Il faut vraiment qu’ils soient dans un sacré pétrin pour prier Bruxelles d’adopter une réglementation dans l’esprit des keï cars nipponnes (limitées à 3,48 x 1,40 m et 64 chevaux) alors qu’il y a trois ans à peine, Stellantis et son 3008 en tête, ils jouaient de leur « pricing power » pour faire déraper les prix et revendiquer des marges à deux chiffres.

L’oreille de Bruxelles
Aujourd’hui, ils découvrent que « les gens » ne peuvent plus se payer des voitures à 200 km/h et deux ans de SMIC, que le parc ne cesse de vieillir, qu’un énorme pourcentage d’Européens a un besoin vital d’une auto pour simplement vivre et travailler et qu’il faut cesser d’ériger la grosse voiture allemande - qu’ils ont passée 30 ans à imiter - en maître étalon du progrès automobile.
C’est sans doute la partie la plus importante de leur interview, quand ils accusent implicitement la Commission européenne de s’être fait dicter des normes de sécurité et d’équipement toujours plus maximalistes par les ingénieurs de BMW, Mercedes et Audi. Trois constructeurs qu’ils décrivent comme essentiellement tournés vers l’export (marchés chinois et américain) quand eux construisent essentiellement en et pour l’Europe, notamment, celle du Sud.
De fait, depuis les négociations des années 90 autour des crashs test d’homologation jusqu’à leur plus récente opposition aux normes de poids, les constructeurs allemands ont souvent eu l’oreille de Bruxelles.
Et aussi celle des acheteurs comme de la presse automobile qui, pendant des décennies, ont communié au culte de la Deutsche Qualität, à la religion du plastique moussé, de la porte qui fait « klonk » et pas « clang », à la course aux équipements et aux vitesses maxi pour autobahn.
Peugeot, Citroën, Fiat et Renault ont dû suivre le mouvement, jusqu’à l’impasse actuelle : faute de modèle abordable, l’acheteur se tourne vers le marché de l’occasion - le seul à n’être pas en crise. Et sans doute demain vers les voitures chinoises qui, thermiques comme hybrides et pas seulement électriques, promettent des tarifs 30 à 50 % inférieurs sans subir, pour le moment, de droit de douane particulier.

L’Europe du Sud, celle des pauvres
Résultat, l’industrie automobile européenne est dans l’impasse et pas seulement Renault et Stellantis ; les constructeurs allemands ne se portent guère mieux, pris en tenaille entre le néo protectionnisme américain et le chauvinisme croissant des automobilistes chinois.
Si d’ici trois ans nos ventes ne se redressent pas, il faudra licencier, voire fermer des usines alertent les deux patrons.
Faut-il pour cela créer, comme ils le demandent, une nouvelle catégorie de « sous voitures », un peu moins sûres, sous condition d’être bridées dans leur taille et leur motorisation ? Une catégorie qu’ils destinent prioritairement aux acheteurs français, italiens, grecs, espagnols et portugais, à l’Europe du Sud, autrement dit, l’Europe des pauvres.
L’idée ne choque que moi ?
Imaginez que les compagnies aériennes low cost soient soumises à une inspection simplifiée et moins fréquente de leurs avions ? Et même exploitent des avions qui répondraient à des normes de sécurité allégées ?
C’est littéralement impensable.

Plus chères et plus dangereuses
Certes, cette inégalité existe déjà sur la route, et même de plus en plus fortement, mais fonctionne dans l’autre sens : des voitures plus chères ET plus dangereuses… pour les autres usagers. Cela parce que la Commission européenne n’a jamais osé imposer une norme d’agressivité aux voitures c’est-à-dire une limite de poids et de hauteur, en clair interdire les SUV. Ni trouvé à redire à l’objectif affiché par Volvo dans les années 2000 – zéro mort… dans une Volvo – à l’époque où il lançait son køløssal XC90.

Aujourd’hui, quand un de ces monstres de plus ou moins deux tonnes et une berline de 1 200 kg se percutent, ce sont les passagers de la seconde qui meurent. Avant la vogue du SUV, ces voitures avec des moteurs à 40 cm du sol étaient rares, aujourd’hui, elles sont partout sur les routes.
Au fond, Luca de Meo et John Elkann ont raison sur un point : l’accumulation d’équipements de sécurité imposée par la norme GSR2 est une idiotie. Ces équipements sauvent sans doute des vies, mais très peu en comparaison de la modification policière des comportements. Démonstration en a été faite en 2003-2004 avec l’arrivée des radars automatiques et de la « tolérance zéro » qui a, en une seule année et sans rien coûté plus que quelques PV d’avantage infléchi la courbe des tués que dix ans de généralisation de l’ABS, des airbags et habitacles renforcés.
En 2024, l’année où les gadgets de la norme GSR2 ont été rendus obligatoires, la France n’a pas déploré moins de tués sur ses routes, mais vingt-trois de plus.
Si l’on veut des voitures plus abordables et pas moins sûres, je pense qu’il faudrait d’abord rendre moins dangereuses les voitures chères. Après quoi, on pourra effectivement rendre un peu moins sûres, et donc plus abordables, les autos bon marché.

Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération