Chronique du confiné : semaine 2. Quand tu te souviens d’un temps où tu rencontrais Schumacher, Senna...
Pilote est un métier étrange. Et quoi de plus naturel que les grands champions de cette discipline soient encore plus étranges que les autres. En plein confinement, les souvenirs de quelques-uns de ces grands énergumènes ressurgissent, avec infiniment de tendresse envers les disparus et les survivants.
Après 9 jours, l’étonnant confinement a mis la civilisation entre parenthèses et renvoyé chacun à son état naturel. Les ados font la gueule, puisque ce sont des ados, et le chat affiche son mépris puisque c’est un chat. Alors le confiné se plonge dans un passé de normalité, du moins dans un temps où il paraissait normal d’apprécier que des engins polluants traversent l’Afrique à fond de train, que des pilotes risquent leur peau tous les quinze jours sur des circuits et que les mêmes pilotes, pierrots lunaires, se comportent dans la vie comme en course : en survolant la réalité.
C’était au temps où le Dakar existait encore. Non seulement il s’achevait dans la capitale du Sénégal, mais le public s’y intéressait, même si Thierry Sabine était déjà mort. Cette année-là, le vainqueur probable, puisque même sur les pistes africaines, l’égalité n’est pas de mise entre les engins d’usine et ceux des poireaux, c’était l’ex-carrossier de Mostaganem. Il s’appelait Pierre Lartigue et sa Citroën ZX rouge survolait la concurrence, tout au long des longues étapes. Le garçon ne s’encombrait pas d’éléments de langage ou de retenues en matière de lutte anti-tabac.
Ainsi, au soir d’une arrivée d’étape, ou le pilote avait signé un énième scratch, le jeune journaliste et futur confiné découvrait un cendrier Ricard fixé par des moyens de fortune sur ce qui faisait office de planche de bord du bolide dont Pierrot le fou venait d’ouvrir la porte. Et de lui demander ce que ce cendrier faisait là. « Tu crois pas que je peux me taper une spéciale de 600 km sans fumer tout de même ? », s’était-il contenté de répondre, dans sa logique de fumeur, où il est impossible de tenir 6 heures sans clope, mais où il est possible de piloter dans l’une des courses les plus difficiles au monde, une cigarette à la main, comme dans un bouchon de départ en vacances. Et surtout, de gagner la course en question.
Pour Pierre Lartigue, la situation était on ne peut plus normale. Comme étaient normales les déclarations d’Ayrton Senna, quelque temps avant Tamburello, avant son tragique accident qui lui a coûté la vie, et qui a transformé la F1 à tout jamais.
La scène se déroule lors d’une conférence de presse d’après Grand Prix. Un journaliste demande au pilote brésilien comment il a pu réaliser de tels dépassements, sous la pluie, sans aucune visibilité. Senna a répondu, en toute bonne foi, qu’il n’y avait aucun problème, qu’il avait « l’impression de survoler la piste à 20 m au-dessus de sa voiture, et qu’il voyait parfaitement ce qui se déroulait devant lui. » Une logique imparable, et une bonne foi, toujours, imperturbable.
Comme celle de Michaël Schumacher, la même année, 1994, celle où il allait, sur sa Benetton, devenir champion du monde pour la première fois. À l’intersaison, son écurie et surtout ses sponsors, avaient convié quelques journalistes, dont le futur confiné, à un dîner. Il devait se dérouler dans la suite royale de l’hôtel Disneyland de Marne-La-Vallée. Précisément celui qui surplombe l’entrée du parc. Quant à la suite, elle se nichait exactement dans l’immense dôme qui le domine.
L’heure est fixée, et personne n’est en retard. Arrivé dans le lieu, le jeune locataire d’un F2 parisien minimaliste est d’abord frappé par la taille du salon. C’est un hall de gare, au beau milieu duquel trône une piscine. Une grande table est dressée en lieu et place des transats habituellement réservés aux baigneurs et à cette table, Michael Schumacher est assis, un verre de lait à la main. Présentations, champagne, discussions avec le team, la compagnie est joyeuse et attentive. Sauf le pilote qui se ressert un verre de lait sans prononcer un traitre mot. On s’inquiète, est-il de mauvaise humeur ? Son manager et ses ingénieurs rassurent : il va parfaitement bien.
On passe à table. Le champion allemand attaque son troisième verre de lait. Histoire de détendre l’atmosphère, un journaliste lui explique que Marylin Monroe adorait boire un verre de lait le soir. « Who ? » demande-t-il avant de se replonger dans son breuvage, sans jamais se défaire d’un énigmatique sourire. Le champion s’est couché tôt et le journaliste aussi, juste taraudé par un problème professionnel : il avait vendu à sa direction une interview de Michaël Schumacher, mais il n’a rapporté qu’une conversation avec son verre de lait.
Aujourd’hui Michaël Schumacher est confiné dans son corps, Ayrton Senna est confiné dans la mémoire de tous et Pierre Lartigue est confiné dans son mas provençal. Finalement, le confiné qui se souvient les rejoint, le temps de se remémorer leurs histoires.
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