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Bugatti EB110 : le rêve en bleu qui tourne court (les voitures les plus rapides du monde)

Dans Rétro / Saga des marques

Michel Holtz

Elle atteignait 342 km/h, mais dans le même temps, la Bugatti EB 110 lancée en 1991 a englouti un milliard de francs et s'est déclarée en faillite quatre ans après son lancement. Histoire d'un rêve fou et un tantinet mégalo.

Bugatti EB110 : le rêve en bleu qui tourne court (les voitures les plus rapides du monde)

C’est l’histoire d’une époque, celle de l’argent facile, des traders de Wall Street, de la flambe et de la Bugatti EB110. Si une seule journée pouvait à elle seule symboliser ces drôles d’années folles et cette drôle d’auto, ce serait celle du 15 septembre 1991, qui célèbre les 110 ans de la naissance d’Ettore Bugatti, d’où le nom de la voiture.

Ce jour-là, sur le parvis de la Défense, devant 5 000 invités, l’auto est dévoilée par son parrain : Alain Delon. S’ensuit une parade sur les Champs-Élysées, et un dîner somptueux à Versailles. Aux côtés du comédien, Romano Artioli savoure ce moment, son moment. La renaissance du mythe de Molsheim, c’est lui. Et il a voulu un lancement à la hauteur de l’auto : exceptionnel.

Lui, le concessionnaire Ferrari et Suzuki, a voulu recréer l’auto la plus belle, la plus chère, et la plus rapide du monde. L’EB 110 sera en effet chronométrée à 342 km/h sur la piste de Nardo. Rapide, elle l’est, donc. Chère, elle l’est aussi. Même si les 2,1 millions de francs réclamés pour s’offrir l’engin, ne représentent qu’un peu plus de 470 000 euros d’aujourd’hui, très loin de la première Bugatti Chiron actuelle. 

Un milliard pour voir les choses en grand. Trop grand ?

Cette auto superlative, Artioli y pense depuis 1987. Un autre ténor de la voiture de sport est dans la boucle à ce moment-là : Ferrucio Lamborghini lui-même. Il a vendu ses parts de la marque qu’il a fondée et se retrouve libre comme l’air. Mais il n’est pas convaincu. Pas grave, le garagiste est tenace. Avec un économiste français, Jean-Marc Borel, il lève un milliard de francs de l’époque. Ce ne sont pas loin de 300 millions d’euros d’aujourd’hui, ce qui représente certes une somme, mais peut-être pas suffisante pour créer une marque, et un modèle, de toutes pièces.

Pour le lancement de la Bugatti EB110, Romano Artioli savoure sa victoire sur le parvis de la Défense.
Pour le lancement de la Bugatti EB110, Romano Artioli savoure sa victoire sur le parvis de la Défense.

D’autant qu’Artioli voit les choses en très très grand, en s’entourant évidemment des plus grands. Paolo Stanzani, l’un des papas des Lamborghini Miura et Countach dirige les opérations. La marque Bugatti est rachetée à la Snecma, qui en est le propriétaire, et dans le bureau d’études, avec son équipe, Stanzani met au point un moteur. Ce sera un V12 de 3,5 l de cylindrée, suralimenté par quatre turbos pour en tirer 550 ch à 8 500 tr/mn avec un couple de 608Nm. Le châssis quant à lui, est en carbone. Il est conçu par l’Aérospatiale. Pour le design, élément essentiel, il est confié au plus grand, évidemment, et c’est  Marcello Gandini qui va tracer les lignes de l’EB110.

Mais pour fabriquer une telle auto, il faut un écrin à la hauteur. Pas de souci : Artioli fait construire une usine bleue comme une Bugatti à Campogalliano, en plein milieu du triangle des Bermudes de la bella machina, entre Modène (Maserati), Sant’Agata Bolognese (Lamborghini) et Maranello (Ferrari). 220 personnes y travailleront à l’assemblage des bolides.

Tout fonctionne donc comme sur des roulettes. Sauf que pas tout à fait. Romano Artioli est-il mégalo ? Irascible ? Toujours est-il qu’il flotte une odeur de mécontentement et de turn-over chez Bugatti. Stanzani claque la porte, et Gandini ne revendique pas son œuvre, l’auto finale étant, selon lui, trop différente de son dessin. En plus, lors des premiers tests, certains essayeurs reprocheront aussi le côté un tantinet sous-vireur de l’EB 110.

Il faut 54 jours pour assembler une EB110 à Campogalliano.
Il faut 54 jours pour assembler une EB110 à Campogalliano.

Mais finalement, elle existe, et à la suite de son lancement en septembre 91, les premiers modèles sont livrés. Mais il en faudrait beaucoup plus pour que la belle usine bleue soit rentable. Jean-Marc Borel racontera, des années plus tard, « qu’il aurait fallu vendre 152 voitures par an pour gagner de l’argent ». Son entreprise n’en vendra que 139 en 4 ans, le temps de sa commercialisation. Durant ces quatre années, chez Bugatti, on ne fait pas les choses à moitié. Pas de petits joueurs à Campogalliano. Pour assembler une EB110, il faut 54 jours, contre moins d’une seule chez Ferrari. Rien que le levier de vitesse coûte le prix d’une Fiat 500 et lors des livraisons, ce sont une dizaine de salariés de l’usine qui se déplacent chez le client pour lui expliquer, en long, en large et pendant plusieurs jours comment conduire et entretenir leur bijou. 

Rien d’étonnant donc à ce que le 23 septembre 1995, seul l’administrateur judiciaire à le pouvoir d'accéder à l’usine bleue. Les salariés sont sur le carreau, la faillite est prononcée. Artioli lui, a presque tout perdu. Bugatti, bien sûr, mais aussi, Ferrari puisqu’il s’est fâché avec le Commendatore dès 1987, un an avant sa mort. Quant à Suzuki, le Japonais n’a plus besoin de l’importateur Artioli, puisqu'il traite ses affaires en direct à travers sa filiale locale. 

L’entrepreneur italien rachètera Lotus pour tenter de se refaire, mais en vain. Plein de ressentiment, il expliquera, il y a quelques années à la Gazetta di Modena, que la mafia, que l’on a longtemps soupçonnée d’avoir financé la relance de Bugatti à ses côtés, n’est pas celle que l’on croit. « La mafia, c’est celle de mes concurrents qui ont coulé l’entreprise, en empêchant les investisseurs de me rejoindre ». Aujourd’hui agé de 91 ans, il est rangé des affaires, mais rêve toujours en bleu. Une couleur qui est partie à Molsheim, en Alsace, sous la bannière Volkswagen, et Rimac. Une autre histoire.

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