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Autoroutes : non, l’État ne les récupérera pas gratuitement en fin de contrats !

Dans Economie / Politique / Politique

Stéphanie Fontaine , mis à jour

Sur le sujet autoroutier, régulièrement médiatisé, il est pour le gouvernement urgent de ne rien faire. À l’entendre, la nationalisation des sociétés d’autoroutes (ou la rupture anticipée de leurs contrats) coûterait trop cher à l’État, de l’ordre de 40 à 50 milliards d’euros, alors qu’il suffit de patienter jusqu’à la fin des contrats avec Vinci, Eiffage et Abertis pour pouvoir reprendre la main sans rien avoir à débourser. Vrai ? Pas du tout… Retour sur cette problématique pour essayer d’y voir plus clair.

Autoroutes : non, l’État ne les récupérera pas gratuitement en fin de contrats !

Septembre 2021, rappelez-vous : deux candidats à la présidentielle, Marine Le Pen et Arnaud Montebourg formulent le souhait de « nationaliser » les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA).

Ce à quoi le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, répond très vite qu’en procédant ainsi, « c’est 40 milliards d’euros qui vont devoir être déboursés, pour financer une telle nationalisation, alors que si on attend dix ou quinze ans [la fin des premiers contrats de concession passés avec les SCA], on peut récupérer ces autoroutes pour zéro euro ».

Autoroutes : non, l’État ne les récupérera pas gratuitement en fin de contrats !

Autoroutes : non, l’État ne les récupérera pas gratuitement en fin de contrats !

 

Même son de cloche du côté de Jean-Baptiste Djebbari, le ministre délégué chargé des Transports : « Les sociétés d’autoroutes ont été privatisées en 2005 [il parle des SCA dites historiques, appartenant à Vinci, Eiffage et Abertis]. Entre 2031 et 2036, les privatisations arrivent à échéance. En 2031, les plus grosses concessions reviendront donc à l’État. Gratuitement. Pour 0 euro. Si on les renationalise aujourd’hui, on devrait payer pour indemniser les sociétés concessionnaires d’autoroutes. Et payer cher : entre 45 et 50 milliards d’euros », revendique-t-il sur son fil Twitter.

On pourra noter qu’entre ces deux déclarations de Le Maire et Djebbari, livrées à moins de 10 jours d’intervalle, on est passé de 40 à… 50 milliards d’euros, la nationalisation des SCA. Une paille ! On y reviendra plus loin…

Une promesse de campagne partagée

Après Marine Le Pen et Arnaud Montebourg, Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel, Nicolas Dupont-Aignan, plus récemment Yannick Jadot, tous candidats à la Présidentielle, se sont prononcés en faveur d'une nationalisation des autoroutes.

Aucun n'a développé sa méthode pour y arriver, ni les grands détails de ce projet. Ils parlent éventuellement de ce qu'ils feront avec la manne des recettes des péages ainsi récupérée, mais point du coût que l'État devrait, en amont, supporter.

 

1 - À la fin des contrats, l’État n’aura-t-il vraiment rien à débourser ?

Faux !

Comme nous l’explique le professeur de droit public Jean-Baptiste Vila, la règle générale dans un contrat de concession, c’est que « tout nouvel investissement, non prévu au contrat initial, doit être compensé. Cette compensation, cela peut être par exemple une hausse additionnelle aux péages et/ou un nouveau rallongement de la durée des contrats ». Et en cas de rallongement, il reste à préciser que depuis 2015 le Parlement doit le voter.

Si, malgré tout, ces nouveaux investissements n’ont pas le temps d’être amortis d’ici la fin du contrat, « ils peuvent également donner lieu au versement, à l’échéance de celui-ci, d’une indemnité compensatoire aux SCA par l’État », précise l’universitaire bordelais.

Or, c’est bel est bien ce qui est d’ores et déjà prévu ! C’est écrit noir sur blanc dans le dernier avenant au contrat signé avec la Société des autoroutes Paris-Normandie (SAPN), l’une des filiales d’Abertis, appelée à supprimer, d’ici 2024, les péages physiques sur les autoroutes A13, entre Orgeval et Caen (201 km), et A14, entre La Défense et Orgeval (23 km).

En plus d’une hausse additionnelle sur les péages de 0,22 % entre 2022 et 2024, une indemnité devra en effet être versée en contrepartie de la réalisation de ces travaux, « non totalement amortis à la date d'expiration de la concession », soit au 31 août 2033, la date prévue - pour l’instant ! - de la fin du contrat avec la SAPN. Une indemnité « fixe, forfaitaire et net d'impôt » de 55 millions d’euros, qui « ne préjuge pas du droit à indemnité de la société concessionnaire à d'autres titres », dixit encore le décret qui encadre cette évolution.

Certes, celui-ci date de seulement la fin décembre, quand les déclarations des ministres remontent à septembre. Mais il est clair que le texte a été publié au Journal officiel après des mois de préparation.

Pour preuve, l’avis de l’Autorité de régulation des Transports (ART), qui doit être saisie - à titre uniquement consultatif - en pareil cas, et portant sur ce projet de décret, a été rendu public en juillet. Bien avant les déclarations des ministres, il était ainsi déjà question de cette indemnité, alors surnommée « soulte », de 55 millions d’euros à régler en fin de contrat.

Cela n’a pas empêché le ministre délégué Djebbari de répéter que l’État n’aurait rien à payer en 2033, comme pour tous les autres contrats, la semaine dernière à l’Assemblée nationale, où une Proposition de loi (PPL) sur la nationalisation des SCA était justement discutée – une PPL déposée par La France Insoumise (LFI), sans grande surprise, rejetée.

Voter un tel projet de nationalisation, « ce serait se priver de la capacité à récupérer gratuitement des infrastructures en très bon état », à la fin des contrats, a-t-il ainsi de nouveau déclaré.

 

2 – Combien l’État devra-t-il payer exactement à la fin des concessions ?

Mystère…

Comparée aux 40 à 50 milliards d’euros avancés par le gouvernement pour financer une nationalisation des SCA, cette indemnité de 55 millions d’euros paraît somme toute relativement dérisoire. Le problème, c’est qu’il est loin d’être acquis qu’on en reste là. C’est même tout le contraire qui est à prévoir.

Au moment de la présentation de la loi d’orientation des mobilités (LOM) en 2018 (une loi depuis votée et qui durcit notamment les sanctions en cas de fraude aux péages, quand bien même ils n’existeraient plus physiquement), l’exécutif avait expliqué qu’il souhaitait voir développer ce système d’autoroutes sans barrières sur l'ensemble du réseau. « L'objectif à terme serait la disparition des péages physiques. Et donc la fin des bouchons aux péages », rapportait notamment une source ministérielle au Parisien.

Si le projet gouvernemental devait se maintenir, des « soultes » du même type que celle de la SAPN, calculée à 55 millions d’euros pour seulement deux portions de 224 kilomètres (ou seulement 2,4 % des quelque 9 000 km d’autoroutes concédées), devraient être amenées à se multiplier, et surtout se généraliser. Sans parler d’autres sortes de travaux toujours susceptibles d’intervenir d’ici la fin des contrats…

Dans un autre projet d’avenant concernant cette fois la société ASF (Vinci) et dont l’objet n’a rien à voir avec la suppression des barrières aux péages, mais qui porte sur l’aménagement du Contournement Ouest de Montpellier (COM), c’est l’ART, dans son avis, qui invite carrément le gouvernement à songer à « recourir à un mécanisme de ‘soulte’ ». Objectif : limiter les augmentations tarifaires additionnelles supportées par les usagers.

Il paraît de toute façon évident que plus les contrats vont se rapprocher de leur échéance, plus il pourrait être tentant d’user de ce dispositif, en compensation de nouveaux travaux, dont on n’imagine mal qu’ils pourraient s’arrêter. Selon nos calculs, depuis la privatisation de 2006, pas moins de 35 avenants ont ainsi été signés avec les SCA dites historiques.

On parle là d’ASF, Cofiroute* et Escota du groupe Vinci, APRR et Area d’Eiffage, puis Sanef et SAPN d’Abertis, celles-là mêmes qui ont été privatisées il y a 16 ans et qui détiennent plus de 90 % du réseau concédé. Cela donne une moyenne de deux avenants signés par an… À ce rythme, on peut escompter qu’il y en aura encore une bonne vingtaine d’ici la fin des contrats, prévue entre 2031 et 2036 !

Une fin des contrats prévue pour l'heure entre 2031 et 2036

SCA

Date de fin actuelle (ce qui était initialement prévu)

Durée actuelle (ce qui était initialement prévu)

ASF

2036 (2012)

44 ans (20 ans)

AREA

2036 (2015)

48 ans (37 ans)

APRR

2035 (2010)

49 ans (24 ans)

Cofiroute*

2034 (2009)

64 ans (39 ans)

SAPN

2033 (2015)

38 ans (20 ans)

Escota

2032 (2005)

50 ans (23 ans)

Sanef

2031 (2011)

41 ans (21 ans)

*Cofiroute (Vinci), à capitaux privés depuis le début du contrat, n'a pas fait partie de la privatisation de 2006

Comme on le voit également dans le tableau ci-dessus, depuis la signature des contrats de concession dans les années 70-80, leur date de clôture n’a pas cessé d’être repoussée. Et leur durée a parfois déjà plus que doublé.

Ces rallongements successifs, décidés en compensation de la réalisation par les SCA de nouveaux travaux, théoriquement non prévus aux contrats initiaux, représentent, comme l’a déjà dénoncé la Cour des Comptes, « l’inconvénient de repousser sans cesse (...) la remise en concurrence des concessions ».

Ils montrent surtout que tant que les contrats sont en cours, rien ne permet d’être assuré que leur date de clôture ne sera pas de nouveau reportée. Or, ce qui s'est passé lors de la PPL de jeudi dernier laisse présager qu'un énième report pourrait bientôt être annoncé (voir notre question n°6).

 

3 – Les nouveaux travaux sont-ils toujours décidés car ils sont nécessaires et au juste prix ?

Pas vraiment…

Des travaux commandés aux SCA sans qu’ils soient pleinement justifiés, ce n’est pas vraiment nouveau. En 2017, l’ex-Arafer, devenue entre-temps ART, avait estimé, en étudiant les projets d’avenants destinés à mettre en œuvre le plan d’investissement autoroutier (PIA) de plus de 800 millions d’euros, qu’il n’était « pas justifié de faire supporter » aux usagers « le financement de 23 opérations (représentant environ 34 % du coût total de construction du plan) ».

L’Arafer invoquait alors deux raisons : ils n’étaient pas justifiés « soit parce que les projets correspondent à des obligations déjà prévues dans les contrats », ce qui revenait à payer deux fois les mêmes travaux, soit « parce qu’il n’est pas établi qu’ils sont strictement nécessaires ou utiles à l’exploitation de l’autoroute, indépendamment d’autres motifs d’utilité. »

Or, il s’agit là d’une condition légale ! De nouveaux travaux ne peuvent être théoriquement retenus, passés par simples avenants, et donc aussi compensés, que sous « condition stricte de leur nécessité ou de leur utilité ».

Pour le plan décidé juste avant le PIA, soit le plan de relance autoroutier (PRA), dont l’investissement s’élève à 3,2 milliards d’euros et dont les opérations sont toujours en cours, là aussi planent de sérieux doutes. Ainsi, dans un référé de 2019, la Cour des Comptes a également déploré « les incertitudes du calcul de la compensation » et « la définition insuffisante du caractère ‘compensable’ » de ces travaux.

Qu'en est-il pour ces autoroutes sans péage sur le réseau SAPN ? Là aussi, les travaux « ne paraissent pas tellement répondre à cette condition stricte imposée par la loi », reconnaît le juriste Yann Wels, auteur avec Jean-Baptiste Vila de deux publications sur les autoroutes remarquées en 2020. « À la lecture de l’avis rendu par l’ART, il faut admettre que ça ne saute pas vraiment aux yeux ».

Frédéric Fortin, l’expert financier à l’origine des calculs sur la surrentabilité des SCA dans le rapport de la dernière Commission d’enquête sur les autoroutes de 2020 au Sénat, lui non plus, « ne saisit pas très bien l’utilité générale du projet ». Surtout, il lui « manque pas mal de données pour juger le montant des compensations envisagées. »

De l’aveu même de l’ART, lit-on dans son avis, celle-ci n’a pas eu accès à toutes les informations lui permettant « d’apprécier précisément la part des investissements nécessitant effectivement un renouvellement préalablement à l’échéance de la concession, alors que l’enjeu financier est important ». « On comprend bien qu’il existe ainsi d’énormes incertitudes sur le coût réel de ces investissements », constate Frédéric Fortin.

Et il n’y a pas que cela, poursuit l'expert, « SAPN prévient que le nouveau système va augmenter les coûts d'exploitation, et demande donc une compensation. Cela veut dire aussi que l’on va récupérer des autoroutes plus chères à gérer en fin de contrat ». Pour finir, « l’équation financière de cet aménagement est défavorable à tous les points de vue pour l’État. » Ce qui le surprend toujours dans ce domaine autoroutier, c’est ainsi « le manque de sérieux manifeste de l’utilisation des deniers publics ».

 

4 – A-t-on une vraie idée de combien coûterait la nationalisation des SCA ?

On reste en attente d’une vraie expertise sur le sujet !

C’est bien simple, on n’a aucune idée précise de ce que coûterait une nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) ou une rupture anticipée de leurs contrats pour motif d’intérêt général, ce qui n’est déjà pas la même chose en soi…

 

Nationaliser / Rupture anticipée des contrats : quelle différence ?

Dans le cadre d’une rupture anticipée des contrats de concession, les SCA (ASF, Cofiroute, Escota, APRR, Area, Sanef et SAPN) resteraient à capitaux privés et donc entre les mains des Vinci, Eiffage et Abertis. Simplement les contrats en cours qu’elles ont avec l’État seraient rompus, et celui-ci pourrait relancer de nouveaux contrats, a priori mieux équilibrés… Ou bien faire complètement autrement et sortir du modèle concessif. Toutes les options seraient dès lors envisageables.

Nationaliser signifierait racheter des parts aux sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA). Et comme l’a justement fait valoir la députée socialiste Christine Pirès-Beaune, lors des discussions de la PPL, jeudi dernier, au Palais Bourbon, il n’existe pas une seule façon de faire, « mais cinquante nuances de nationalisation » ! Car l’État n’a pas à racheter 100 % des sociétés, il lui suffit de devenir majoritaire, en prenant 51 % des parts des SCA. Ces sociétés privées deviendraient dès lors des sociétés d’économie mixte, sans potentiellement « que rien d’autre ne change ».

Pour l’Insoumise Bénédicte Taurine, auteure de la PPL en question, la nationalisation présente également l’avantage de pouvoir être décidée « par le Parlement alors que la rupture anticipée des contrats l'est par l'exécutif. » Si ce n’est qu’il faut encore que le texte, possiblement très amendé pour coller au plus près des aspirations des différents parlementaires participants, soit voté… Ce qui ne fut donc pas le cas.

Sur les 90 députés présents dans l’Hémicycle, une soixantaine, issus principalement de la majorité (LREM, MoDem, Agir) ont voté contre. Tous ceux dont on pouvait imaginer qu’ils auraient à cœur de faire entendre leurs voix sur le sujet, comme Marine Le Pen ou encore Nicolas Dupont-Aignan, lui-même auteur d’une PPL visant « à la réappropriation des sociétés concessionnaires d'autoroutes », étaient absents des débats.

 

Qu’il s’agisse de nationalisation ou de rupture anticipée des contrats, et alors qu’on ne parle pas tout à fait de la même chose, les mêmes chiffres sont en tout cas avancés par le gouvernement. La facture serait exorbitante, et oscillerait entre 40 et 50 milliards d’euros… Au moins !

D’où vient cette estimation ? À notre connaissance, aucun audit exhaustif n’a été réalisé pour estimer les coûts précis de ces deux possibilités, y compris avec toutes les nuances qu’elles peuvent comporter.

La seule étude que l’on connaisse, c’est celle de la Royal Bank of Canada, rendue publique en 2014 dans le rapport d’information de l’ex-député Jean-Paul Chanteguet. Le montant estimé par cette banque s’élève alors à 44 milliards d’euros, et selon le socialiste, à l'époque il devait être « considéré comme un maximum absolu ».

Il existe cependant quelques doutes sur la qualité de cette expertise. Dans le rapport du député Chanteguet, il est en effet précisé que ce calcul a été effectué « dans des délais extrêmement brefs et sans avoir accès à toutes les données des comptes de résultat » des SCA.

Depuis, aucun autre calcul n’a été officialisé. Pour autant, d’autres estimations aux montants différents sont présentées.

Six ans plus tard, le rapport de la dernière Commission d’enquête sur les autoroutes au Sénat mentionne ainsi que le « coût évalué par le ministère de l’Économie et des Finances » atteint une fourchette comprise « entre 45 et 50 milliards d’euros ». Soit potentiellement 6 milliards de mieux que le « maximum absolu » livré par Chanteguet !

Lors des débats à l’Assemblée nationale sur la PPL consacrée la semaine dernière à cette nationalisation des autoroutes, les députés de la majorité en ont même remis une couche : ils ont laissé entendre qu’il fallait ajouter à cela les 30 milliards d’euros de dettes, accumulées par les SCA. À les suivre, la facture tournerait carrément autour de « 70 à 80 milliards d’euros » !

Cet alourdissement est pour le moins étrange, puisque comme l’a fait valoir lors de ces débats, le ministre délégué Jean-Baptiste Djebbari, le coût a normalement « vocation à diminuer à mesure qu’approche l’échéance des principaux contrats ». Or, là, c’est tout l’inverse qui se passerait quand on regarde ces chiffres : la note n’aurait de cesse de grimper !

 

5 – Est-ce que la nationalisation des SCA pourrait coûter plus de 40 milliards d’euros à l’État, comme il le dit ?

C’est loin d’être avéré !

Aux dires des experts interrogés, même si sans examen minutieux des comptes des SCA couplé à une expertise juridique tout aussi approfondie, il paraît difficile de calculer l’indemnité qui serait à verser en cas de nationalisation ou même de rupture anticipée des contrats, le chiffre avancé par le gouvernement, qui tend en plus à gonfler avec le temps, leur paraît tout simplement disproportionné.

« Il y a naturellement de quoi douter de tous ces chiffres, sans précision sur leur méthode de calcul », note Frédéric Fortin, l'expert financier missionné par le sénateur Delahaye lors de la dernière commission d'enquête, pour rappel. Surtout, il est loin d’arriver à de telles sommes, quand il tente lui-même de procéder à ces estimations.

« Pour moi, la perte d’exploitation pour les sociétés en cas d’arrêt de leurs contrats pourrait tourner autour de 22 milliards d'euros, sans parler de leur dette que j'évalue, non pas à 30, mais à 20 milliards d'euros. » Soit un total de 42 milliards d'euros, ce qui paraît relativement proche de l’estimation du rapport Chanteguet.

Cette dernière est certes légèrement supérieure (44 milliards d’euros), mais comme elle date de quelques années maintenant, cela peut justement paraître logique.

Pour Frédéric Fortin, toutefois, la reprise de la dette n’a rien à voir ! « Les SCA la supportent très bien, et ça ne les empêche pas de dégager des dividendes extrêmement importants. Si demain, l’État reprend cette dette, il pourra toujours exiger des banques prêteuses qu’elles acceptent simplement le changement d’actionnaires, ou même négocier de meilleures conditions, puisque sur le papier, il est toujours considéré comme un meilleur client que des sociétés », argue-t-il.

Pour le professeur de droit public, Jean-Baptiste Vila, la reprise de la dette des SCA, dans le cadre de ruptures anticipées des contrats, ne serait carrément pas à reprendre.

Ensuite, ce serait au juge administratif de définir l’indemnité à verser aux SCA. « Son référentiel pour l’estimer s’appuie sur deux postes, indique le prof : la valeur résiduelle des investissements, soit ce qui n’a pas encore été amorti, et effectivement les pertes d’exploitation. Mais attention, prévient Vila, ces dernières sont calculées en tenant compte du risque contractuel ! Toute année de contrat qui ne serait en fait qu’une rente de situation ne peut théoriquement pas être comptabilisée dans l’indemnité, car c’est tout simplement contraire à la définition des contrats. »

En clair, sur l'indemnité de base calculée, certains postes pourraient être retranchés selon l'expertise juridique. C'est comme s'il se confirmait que les travaux du Plan de relance autoroutier (PRA) ont entraîné des surcompensations…

La Cour des Comptes a été la première à le soupçonner (dans son référé de 2019), et Frédéric Fortin le premier à essayer de les chiffrer. Selon ses calculs, le PRA devrait générer aux SCA un bonus de plus de 4 milliards d'euros, alors que normalement l’allongement des contrats doit leur permettre de bénéficier d'une « stricte compensation » (l'investissement demandé étant de 3,2 milliards d'euros, elles doivent en récupérer autant - à l'euro près).

En tout cas, l'existence de telles surcompensations, si elles se vérifiaient, fait que l’exécution des contrats sur la période restante, soit de 2022 à 2036, pourrait être assimilée à une aide d’État, potentiellement contestable en justice. Toutes ces informations devraient être de nature à aider l’État à mieux négocier avec les SCA. Encore faudrait-il une vraie volonté politique…

 

6 – Des contrats susceptibles de connaître un énième rallongement ?

C’est loin d’être exclu…

Lors de cette PPL sur la nationalisation des autoroutes, jeudi dernier à l’Assemblée nationale, le gouvernement a également refusé de s’engager sur l’interdiction de prolonger les contrats, ce qui aurait permis d’écarter toutes nouvelles prorogations d’ici 2036. Jean-Baptiste Djebbari a soigneusement évité d’expliquer les raisons de ce choix. Si bien qu'il y a de quoi soupçonner un futur projet de prorogation des contrats !

Parmi les options les plus probables sur la table, il y a la prolongation d'environ 1 an du contrat de la Sanef, en contrepartie de travaux d'aménagement de la section gratuite de l’autoroute A1, aux portes de Paris. L'approche des Jeux olympiques de 2024, qui laissent craindre des problèmes d'accès lors de l'événement, pourrait pousser le prochain gouvernement à se décider.

Certes, le Parlement devrait être saisi. Mais plusieurs observateurs avertis prédisent qu'en cas de réélection d’Emmanuel Macron et d'une majorité confortable aux législatives, cela pourrait être très vite inscrit au calendrier de la prochaine mandature.

Du côté des concessionnaires, une chose est sûre, on a l'air très serein. Les appels à la nationalisation des autoroutes, « ça nous laisse de marbre », a d'ailleurs fait savoir Xavier Huillard, le PDG de Vinci, dans L'Opinion, lundi.

À l'en croire, son entreprise est pleinement consciente du grand enjeu que représente la mobilité propre. Et la meilleure solution pour y arriver, selon lui, c'est de mettre en place « un schéma directeur à trente ans, ainsi que les plans de financement correspondants. Il faut aussi mettre sur pied des partenariats public-privé efficaces »… Autant de partenariats à conclure avec Vinci certainement !

En attendant de voir ce qui se passera, les tarifs de péages vont augmenter en moyenne de plus de 2 % au 1er février. C’est l’une des plus fortes hausses enregistrées ces dernières années.

On peut d’ores et déjà s’attendre à un chiffre d’affaires des SCA en forte progression, alors que leurs charges devraient rester stables. Comme le résume Frédéric Fortin, cette reprise de l’inflation, « c’est un nouveau jackpot annoncé pour les autoroutiers ! »

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