Aston Martin Bulldog : le Bulldog aboie, la caravane passe
À l’aube des années 1980, avant de subir le second choc pétrolier, Aston Martin promet de renouveler sa gamme avec une saisissante berlinette à moteur central. Mais ce Bulldog qui s’annonçait féroce ne va pas aboyer longtemps. Il sera vite muselé, sacrifié sur l’autel des économies imposées par les chocs pétroliers. Pendant ce temps-là, les constructeurs italiens vont composer une meute redoutable.

Ferruccio Lamborghini les a tous pris de court. Le jour où il a présenté la Miura, le velléitaire a semé la panique parmi les constructeurs de voitures d’exception. Lamborghini était le premier constructeur à proposer à ses clients une berlinette reposant sur la même architecture que les prototypes de course. Lamborghini osait mettre sur le marché une berlinette à moteur central alors que tous ses concurrents restaient fidèles à l’architecture classique avec moteur à l’avant et roues arrière motrices. Pour être tout à fait juste, il faut rappeler les rares initiatives prises auparavant sur le même thème. L’antériorité appartient à un pionnier modeste, discret, et néanmoins français. En 1962, René Bonnet avait lancé la Djet, une petite sportive dotée d’une mécanique Renault dont il céda les droits de fabrication à la société Matra deux ans plus tard. Il faut aussi citer une belle occasion manquée en 1963 : le projet avorté de la firme ATS qui avait l’intention de produire la belle 2500 GT carrossée par Allemano. En revanche, De Tomaso est allé au bout de son intention en commercialisant une cinquantaine d’unités de la jolie Vallulunga dessinée chez le carrossier Fissore.
Dans les années 1970, les constructeurs de voitures de grand tourisme - en dehors de Lamborghini - vivent sur leurs acquis et ne se lancent pas dans des études dispendieuses. Ce n’est pas le moment. Ils ne font pas les malins car le monde est ébranlé par les chocs pétroliers assortis de crises économiques. Néanmoins, la Miura les oblige à réagir. Huit mois après le coup d’éclat de Lamborghini, De Tomaso présente une première concurrente pour la Miura : la Mangusta dessinée par Giorgetto Giugiaro, mais il faudra attendre plusieurs mois avant de pouvoir l’acquérir. En 1967, Alfa Romeo diffuse une douzaine de « 33 Stradale » basées sur le Tipo 33 qui dispute le championnat du monde d’endurance. Ferrari prend son temps. Piqué au vif par son orgueilleux rival, le cavallino tarde à mettre au point la Berlinetta Boxer (365 GT4 BB). Elle apparaîtra en 1971 sous la forme d’un prototype et trois ans après dans une version de production.

Maserati est plus réactif. Dès mars 1971, la superbe Bora dessinée chez Ital Design arrive sur le marché. Mais déjà Lamborghini a pris plusieurs longueurs d’avance en révélant la Countach qui sera commercialisée en 1974. Pour beaucoup d’autres constructeurs, la réplique à la Miura est de l’ordre du dépit. Ainsi, Isorivolta promet une Varedo qui fera long feu. Sans parler de Chevrolet qui n’en finit pas de faire croire qu’une Corvette à moteur central pourrait voir le jour. Il y eut la Corvette 4Rotor et l’Aerovette en 1973, la Corvette Indy en 1986, la CERV III en 1990… et encore trois propositions sur le même thème en 2025 ! Autant de déclarations d’intention restées lettres mortes…
Et la société Aston Martin Lagonda, que devient-elle dans ce monde tourmenté ? Elle n’est pas la moins fragilisée ni la moins secouée. En février 1972, l’entreprise a été placée sous le contrôle de la société Company Developments, un groupe d’hommes d’affaires basé à Birmingham et dirigé par William Willson. Les projets en cours sont remis en question ; notamment une berlinette à moteur central BRM. Les nouveaux actionnaires ne parviennent pas à redresser la situation si bien que la société fait faillite en décembre 1974. Elle est rachetée en juin 1975 par deux industriels nord-américains, Peter Sprague et George Minden, accompagnés de Jeremy Turner, homme d’affaires londonien. Les négociations ont été menées par Peter Sprague, diplômé de Harvard, qui a la réputation de voler au secours des entreprises en difficulté. À son palmarès, il a sauvé une affaire de semi-conducteurs, un élevage de volaille et une fabrique de meubles ! George Minden, lui, est vendeur de voitures de luxe à Toronto et propriétaire d’hôtels. Quant à Jeremy Turner, homme de communication, il officie dans le monde des voitures de luxe, du yachting et de l’aviation d’affaires.
Cette équipe ambitieuse décide de rajeunir radicalement l’image d’Aston Martin. Elle réactive le processus de résurrection de la marque Lagonda qui avait été amorcé par leurs prédécesseurs. Plutôt que de s’en tenir à une version à quatre portes de la DB S, ils approuvent un dessin extravagant de William Towns, dévoilé en octobre 1974. Cette berline au style aiguisé figurera au tarif d’Aston Martin pendant une quinzaine d’années.
Les nouveaux gestionnaires lancent un projet encore plus radical qu’ils confient à Mike Loasby, l’ingénieur en chef de la maison. Conçu pour incarner le futur, le projet DPK901 opte pour une architecture moderne avec le moteur placé en avant de l’essieu arrière. Le V8, lui, n’est pas nouveau ; c’est le 5,3 litres bien connu mais, gratifié de deux turbocompresseurs qui permettraient au prototype de dépasser les 300 km/h. Aston Martin ne parle pas de puissance…

Pour exprimer la modernité de l’objet, les dirigeants d’Aston Martin comptent surtout sur le style. Ils font appel à William Towns qui se livre à nouveau à son exercice favori : user sans retenue de la règle, jongler avec les lignes droites et les angles comme il le fit pour la Lagonda. Le profil du prototype, bientôt baptisé Bulldog, se compose de trois segments supérieurs rectilignes : un pour le capot prolongé par le pare-brise, un pour le pavillon, le troisième pour le dos. Aucune courbe ne vient perturber cet assemblage géométrique. On accède aux deux places par de larges portes ouvrant « en ailes de mouette ». Le style intérieur n’est pas moins rigoureux, la technicité de la machine étant suggérée par une nuée de commandes, de boutons et de voyants qui ornent le pavillon.
Le concept car est présenté à la presse à Aston Clinton, le 27 mars 1980, à l’hôtel Bell, puis il est envoyé aux États-Unis pour faire ses débuts en public en avril au salon Auto Expo de Los Angeles. À cette époque, cet événement californien est le rendez-vous le plus important de l’année en Amérique du Nord. Pininfarina y a déjà montré sa Modulo et Bertone sa Stratos « 0 ».
À peine sortie du premier choc pétrolier, l’économie mondiale rechute. Le Moyen-Orient s’embrase à nouveau à la suite de l’entrée en guerre de l’Iran contre l’Irak, en septembre 1980. C’est mauvais signe pour la Bulldog, cinq mois après sa présentation… Les murs d’Aston Martin Lagonda tremblent à nouveau. En janvier 1981, l’usine change à nouveau de mains. Deux sociétés en prennent le contrôle : Pace Petroleum, une compagnie de distribution pétrolière présidée par Victor Gauntlett, et C.H. Industrials, une société nationalisée qui fabrique des composants pour l’industrie automobile.
L’heure est moins que jamais aux excentricités, aux expériences hasardeuses comme la Bulldog. Le projet est remisé. Définitivement.
Le talent oublié de William Towns
Le design britannique a le devoir d’entretenir ses particularismes. Les écoles y veillent. L’ancestral Coventry College of Design comme le Birmingham College of Art and Design disposent d’une chaire dédiée à l’enseignement du design. En 1969, le très respectable Royal College of Art de Londres ajoute à son cursus un programme dédié aux moyens de transport, une première en Europe. Grâce à cet environnement, l’industrie britannique dispose de plusieurs designers remarquables. L’un des talents les plus originaux du Royaume-Uni est William Towns. Né en 1936, il a débuté chez Rootes en 1954 puis il a dessiné la mémorable Rover-BRM à turbine de 1965 avant de créer le studio Interstyl basé à Moreton-in-the-Marsh dans le Gloucestershire. Sous cette bannière, il est commissionné par Aston Martin pour concevoir la DB S, sortie en 1967, puis la Lagonda révélée en 1976. William Towns conçoit également plusieurs projets visionnaires tels que la citadine Minissima (1973) ou la frugale Hustler (1978) que copiera Philippe Starck pour créer sa Volteis en 1912. William Towns est emporté par un cancer en 1993 à l’âge de quarante-sept ans.
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