Amendes délictuelles, refus d’obtempérer, rodéos urbains… Du nouveau au Parlement
Un projet de loi du ministère de l'Intérieur contient plusieurs dispositions amenées à faire évoluer la répression de certains délits routiers. La procédure de l'amende forfaitaire délictuelle (AFD) doit être élargie, à défaut d'être généralisée. Le texte devrait être voté d'ici la fin du mois. Décryptage.
Le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur (Lopmi), en discussion au Parlement en ce moment, avait notamment pour ambition initiale de généraliser les amendes forfaitaires délictuelles (AFD).
Il contient plusieurs dispositions vouées à renforcer la lutte contre la délinquance sur la route, y compris les refus d'obtempérer et la pratique dangereuse des rodéos urbains.
Mais la grande innovation devait surtout résider dans cette généralisation des AFD.
Pour améliorer « la rapidité, l'effectivité, la simplicité » de la réponse pénale - entendez la sanction à l'encontre des délinquants -, Emmanuel Macron, lors d'un déplacement à Nice en début d'année, avait en effet indiqué vouloir recourir de manière « beaucoup plus massive » à celles-ci.
Son souhait : les étendre « à tous les délits prévoyant une peine d'emprisonnement inférieure à un an ».
Dans le cadre de la Lopmi, il s’agissait ainsi d’entériner en quelque sorte cette promesse.
Les AFD, c’est quoi ?
Entrées en vigueur en 2017, les amendes forfaitaires délictuelles - ou AFD - sont calquées sur la procédure de l'amende forfaitaire en matière contraventionnelle, c’est-à-dire pour les infractions considérées comme les moins graves, et qui concernent la plupart des infractions routières (excès de vitesse, absence de ceinture de sécurité, de casque, de clignotant, non-respect des voies réservées, d'un feu rouge, stop, sens interdit…).
Cette procédure consiste à taper très vite au porte-monnaie de la personne pris en faute. En l'occurrence, il s'agit le plus souvent du propriétaire du véhicule avec lequel l'infraction a été commise.
Et si le conducteur s'acquitte de l'amende réclamée, dont le montant est fixé par la loi, cela signifie qu'il reconnaît sa culpabilité et ce paiement vaut extinction de l'action publique, autrement dit des poursuites judiciaires.
Pour être bien clair, cela évite de passer devant un juge, parfois des mois voire des années après la commission de l’infraction, afin que ce dernier décide de la peine. Un passage qui soit dit en passant permet l’individualisation des peines, l'un des principes régissant notre droit pénal.
Cela étant dit, et comme l’a d’ailleurs reconnu le président de la République à Nice, ces AFD, qui concernent non plus des « petites » contraventions mais des délits, et donc des infractions plus graves, pour lesquelles des peines d’emprisonnement sont encourues, ne se résument pour autant pas à des amendes « lambda ».
À la différence d’une simple contravention, ces AFD s’accompagnent d’une inscription au casier judiciaire, et ce, parfois, sans que le délinquant se rende vraiment compte des conséquences d’un tel acte… D'où de nombreuses critiques.
« Les forces de l’ordre sont (…) transformées en "radars mobiles" de multiples infractions, le tout sans véritable contrôle judiciaire et en multipliant les obstacles à la contestation pour la personne sanctionnée », dénoncent notamment dans un communiqué le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature, après les premières alertes émises dès janvier à la suite des annonces d’Emmanuel Macron.
La Défenseure des droits juge pour sa part, dans un avis daté du 3 octobre, que la mise en œuvre des AFD comporte « un risque de pratiques discriminatoires ».
Des « verbalisations répétées concernent presque exclusivement des hommes jeunes (moins de 25 ans), parfois des mineurs, perçus comme d’origine étrangère, verbalisés dans un périmètre géographique restreint autour de leur domicile, souvent par les mêmes agents », constate Claire Hédon, qui pointe aussi « la précarité dans laquelle ces verbalisations conduisent certaines des personnes concernées », le montant des amendes étant « hors de proportion avec les revenus, souvent faibles ou modestes, de la personne ou de la famille concernée ».
Voilà pour le contexte de ces AFD.
Des AFD pour quels délits routiers aujourd’hui ?
Actuellement, la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle concerne une dizaine d'infractions, dont l'usage de stupéfiants, le cas le plus médiatisé depuis leur mise en place, avec une amende fixée à 200 euros (150 € en minoré/450 € en majoré).
Et d’ailleurs, si la conduite sous stupéfiants ne fait pas partie des délits couverts par cette procédure, attention aux autres occupants d’un véhicule qui peuvent bien se retrouver visés pour usage de stupéfiants… Si un conducteur sous stupéfiants échappe pour l’heure aux AFD, ce n’est pas forcément le cas de ses potentiels passagers !
À l’encontre des seuls conducteurs sinon, la procédure de l’AFD s’applique uniquement aux délits de conduite sans permis (article L 221-2 du code de la route) et de conduite sans assurance (article L 324-2 du code de la route) pour l'instant.
Étrangement, le projet de texte du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, laissait présager, dans sa version initiale, un abaissement des amendes réclamées en pareils cas…
Selon ce dernier en effet, le montant des amendes forfaitaires délictuelles (AFD) qui devaient donc se généraliser était fixé comme suit à :
- 200 euros pour les délits punis d’une seule peine d’amende ou deux mois d’emprisonnement au plus (150 € en minoré/450 € en majoré). Parmi ces délits à ne prévoir qu'une seule peine d'amende, à titre principal, on peut citer celui de la conduite sans assurance. Or, l’AFD en ce qui le concerne est actuellement de 500 euros (minorée à 400 €/majorée à 1 000 €) !
- 500 euros pour les délits punis d’un an d’emprisonnement au plus (400 € en minoré/1 000 € en majoré), dont potentiellement la conduite sans permis, pourtant sanctionnée aujourd’hui d’une AFD à 800 euros, tandis que la minorée est à 640 et la majorée à 1 600 euros !
Dans les deux cas, on partait donc sur une ristourne de 300 euros !
Mais rien de tout cela n’est encore à l’ordre du jour. Entre-temps, le Conseil d’État a donné un avis négatif à cette généralisation des AFD.
L'évolution paraissait bien trop massive - son périmètre aurait été étendu à plus de 3 400 infractions contre une dizaine pour rappel aujourd’hui - sans étude d'impact.
C'est l'une des informations à retenir de ces discussions parlementaires : l'absence d'évaluation de l'impact des amendes forfaitaires déjà mises en œuvre. Le gouvernement et le chef d’État ont beau assurer que la procédure de l’AFD est efficace, de fait, nul ne le sait vraiment.
Un taux de recouvrement des AFD assez faiblard
Ce que l'on découvre, c'est que le paiement de ces AFD n'est guère respecté.
De l’aveu même d’Emmanuel Macron (lors de son intervention à Nice toujours), il est pourtant important de regarder « qui paye quoi à la fin », afin de vérifier que le principe même de la peine soit dissuasif. Et ça, c'est loin d'être gagné apparemment.
En plus des problèmes évoqués par les opposants à ces AFD, auxquels s'ajoutent des problèmes d'adressage, avec des AFD qui n’arriveraient jamais dans les boîtes aux lettres des personnes visées, beaucoup seraient incapables de les payer quand elles les recevraient correctement.
Pour l’usage de stupéfiants, fer de lance de cette procédure, le taux de recouvrement serait inférieur à 50 % en 2021.
Ce taux serait bien plus bas encore - à moins de 35 % - en prenant en compte toutes les AFD, quel que soit le type des infractions.
À Nice, le président de la République avait alors annoncé souhaiter en arriver à des retenues directes sur les revenus. De cela, la Lopmi ne parle pas.
82 % des AFD routières concernent un défaut d’assurance
De même, tous ces problèmes ne sont nullement mentionnés dans le bilan d'activité de l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai), qui en plus de traiter toutes les contraventions - automatisées via les radars ou non - se retrouve aussi à gérer ces AFD, au Centre de Rennes.
Dans ce rapport, il est seulement question du nombre d'AFD émis : 105 000 pour conduite sans assurance, soit une progression de 46 % en un an, et ce qui correspond à « 8 700 par mois en moyenne », et 22 700 pour conduite sans permis (ou non adapté), en hausse de plus de 15 % par rapport à 2020.
Comment expliquer une telle différence entre ces 2 types de délits ? La conduite sans assurance est repérable de manière automatisée via les radars, ce qui n'est pas le cas des conduites sans permis, qui nécessitent une interpellation.
Des AFD pour quels délits routiers demain ?
Même s’il ne s’agit plus de généraliser les AFD, le texte déjà adopté par le Sénat et présenté en ce moment aux députés, prévoit malgré tout d’inclure 14 autres délits.
Il s’agit d’infractions portant atteinte au monopole des taxis, comme l’exercice illégal de l'activité d'exploitant de taxi ou la prise en charge d'un client sur la voie publique sans justification de réservation préalable par un VTC, du délit d'entrée par force et en état d'ivresse dans une enceinte sportive lors d'une manifestation sportive, des intrusions non autorisées dans les écoles, des cas de filouteries (vol à l’étalage par exemple), vente d’alcool aux mineurs, violation des règles au chronotachygraphe, des atteintes à la circulation des trains…
En matière routière, il devrait y avoir le délit de refus de se soumettre aux vérifications relatives au véhicule ou au conducteur, et la transformation d'un véhicule portant atteinte aux dispositifs antipollution.
Dans le premier cas, le texte parle d’une AFD « de 250 euros », pour une minorée de… « 300 euros » ! Une erreur que les parlementaires devront corriger, en inversant les montants. Quant à l’amende majorée, elle serait de 600 euros.
Dans le second cas, l’AFD serait de 200 euros, minorée à 150 et majorée à 450 euros.
Peines alourdies pour les refus d’obtempérer et les rodéos urbains
Enfin, en dehors du champ des AFD, la Lopmi prévoit le renforcement des sanctions à l’encontre des refus d’obtempérer et des rodéos urbains, deux sujets très présents dans l'actualité ces derniers mois.
L’emprisonnement passerait de 2 à 3 ans et l’amende de 15 000 à 30 000 pour les premiers, et les peines seraient portées jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, pour les seconds, lorsque les faits seraient commis dans des circonstances exposant directement autrui « à un risque de mort » ou de blessures mutilantes.
Reste à voir ce qui sera vraiment voté.
Les discussions en séance publique à l’Assemblée nationale sont prévues du 15 au 17 novembre. Et d’ici-là, tout ou presque peut encore évoluer.
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