A 80 km/h en Autolib dans le meilleur des mondes
Autolib, le libre-service de voiture électrique parisien, est au bord de la faillite et la limitation à 80 km/h s'appliquera bien (ou mal…) dans quatre semaines. Point commun de ces deux nouvelles? De grandes décisions prises dans le meilleur des mondes.
Autolib est sur la mauvaise pente : 290 millions de pertes cumulées prévues d'ici quatre ans, dont 230 seront à la charge des Parisiens et habitants des 97 communes desservies. Il est probable, vu la baisse accélérée des recettes, que l'addition soit pire encore et même possible que les voitures de Bolloré disparaissent purement et simplement des rues. A deux ans des municipales, pas facile d'argumenter une hausse des impôts pour un service qui ne profite qu'à 150 000 des 12 millions de Franciliens.
Pourquoi Autolib est-il en train de couler ? En résumé, parce que les gens ne sont pas ceux que l'on croit et parce que tout ne se passe pas toujours comme prévu.
D'abord, si le nombre d'abonnés et de trajets diminue depuis deux ans, c'est principalement à cause de la saleté de plus en plus repoussante des petites bagnoles grises. On y trouve de tout, et plus seulement des mauvaises odeurs : du sandwich pas frais au mouchoir usagé en passant par les mégots et bien pire encore. La faute aux SDF qui y dorment parfois ? Pas seulement : ces voitures n'étant à personne, personne n'en prend soin.
De l'électricité dans les bouchons
Deuxième raison de la désaffection, la décision paradoxale de l'ancien maire de Paris qui aura consisté à lancer une nouvelle offre automobile et "en même temps", comme dirait notre président, à rendre les conditions de circulation de plus en plus infernales. Cette injonction contradictoire aurait pu être atténuée en autorisant les Autolib à emprunter les couloirs de bus, au même titre que les taxis, mais c'eût été trop simple.
Résultat, l'abonné à Autolib ne gagne que le temps du stationnement. A condition qu'il trouve une station libre et qu'un livreur ne soit pas garé devant. Au final, il s'avère souvent plus rapide et pas toujours plus coûteux de commander un VTC. Au fait, Uber s'est lancé la même année 2011 qu'AutoLib, c'est pas de chance…
Suspense à un mois de l'entrée en vigueur…
Dans un tout autre genre, mais pour des motifs voisins, ça ne s'annonce pas mieux pour la limitation à 80 km/h. A un mois de son entrée en vigueur, les entreprises de fabrication de panneaux ne sont pas débordées par les commandes, et c'est un euphémisme. Il semblerait que les services de l'Equipement ne se précipitent pas pour remplacer les "sucettes" 90. Des fois que…
Que quoi ? Ben, que le décret d'application ne soit pas signé. Depuis que les portiques de l'écotaxe ont été décrétés éléments décoratifs paysagers, l'aménageur est devenu prudent.
Il y a en effet de quoi avoir des doutes. D'abord, le Monsieur chargé de faire appliquer la nouvelle réglementation via les forces de police et de gendarmerie placées sous sa tutelle - le ministre de l'Intérieur lui-même - répond "joker" quand on lui demande ce qu'il pense du 80 km/h.
Ensuite, une bonne part des ministres et des députés plaident pour qu'on lâche l'affaire. De même que la majorité des sénateurs, sous la pression des élus ruraux.
Aux dernières nouvelles, ceux-ci ont proposé un compromis, plutôt rusé : n'appliquer le 80 km/h que sur les routes dépourvues de ligne médiane. En clair, les petites routes étroites (les blanches des cartes Michelin), mais pas sur les départementales à fort trafic et les ex-nationales, là où la nouvelle limitation sera plus difficile à respecter.
Il est certain que la mesure serait mieux acceptée, mais comme on ne déplore que peu de victimes sur ces routes très secondaires à faible trafic et petite vitesse, cela reviendrait à lui retirer l'essentiel de son efficacité, si tant est qu'elle en ait.
Le 80 km/h si "on" veut
Car la question de l'efficacité du 80 km/h risque de se poser dans les mêmes termes que celle de la rentabilité d'Autolib : les "gens" joueront-ils le jeu ?
S'ils le jouent, il est évident que le 80 km/h sauvera des centaines de vies : moins d'accidents et moins graves.
Il s'agit donc d'une excellente décision, prise dans le meilleur des mondes où les gens préfèrent une petite voiture électrique grise à une grosse berline diesel noire, où personne n'écrase son mégot sur la planche de bord ou n'abandonne son burger dégoulinant sur la banquette arrière. Et bien sûr, où l'on respecte les limitations de vitesse.
Hélas, dans le monde réel, la plupart des "gens" ne les respectent que là où ils encourent une contravention. Or, le risque est quasi-nul sur la quasi-totalité des petites routes de campagne. Et très faible sur les plus grandes pour peu que l'on soit un minimum outillé pour anticiper les "zones de danger".
Le bon vouloir des conducteurs pourrait donc avoir le dernier mot. Et on les sait hostiles à la mesure pour plus des deux tiers à près des trois quarts selon les sondages. Et à 90 % si l'on écarte les opinions favorables de ceux qui ne sont pas ou peu concernés : Franciliens et habitants des métropoles régionales.
Deux scénarios sur les petites routes
Ce qu'il faut redouter, c'est un scénario où une moitié des conducteurs respecte le 80 et une autre continue de rouler "à sa main", c’est-à-dire sans respecter non plus feu le 90.
Hypothèse optimiste, la réduction des vitesses moyennes diminuerait la gravité des accidents.
Hypothèse pessimiste, l'accroissement des différences de vitesse se traduit par celle du nombre de dépassements et donc du nombre d'accidents.
Pire encore, on peut aussi redouter qu'une partie du trafic se détourne des axes possiblement policés au profit des petites routes où l'on ne voit jamais un radar mais parfois les pompiers. Cochez "au plus court" sur un GPS et vous les trouverez sans peine.
Personne n'avait prédit qu'Autolib périrait de l'incivisme de l'usager ni de l'avènement d'un nouveau genre de taxi. Il serait donc prudent d'envisager que le 80 km/h puisse être un meurtrier fiasco.
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