Vendredi 21 juin, 8h00 devant le Palais des Congrés de la Porte Maillot, à Paris. Comme souvent, le fuseau horaire différent sur lequel est réglé notre photographe Eddy Clio devant passer me chercher me laisse un temps confortable pour déguster mon Grande Latte Soja et me perdre dans mes pensées. Voyons voir, la première (et dernière fois) que j'ai touché à un rotatif, c'était en 2004 avec la Mazda RX-8 fraîchement sortie sur le circuit d'Issoire, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle ne m'avait pas laissé un souvenir impérissable, surtout au niveau de son moteur extrêmement linéaire et au bruit désespérément discret.
Quasiment dix ans plus tard, je me demande encore si je n'ai pas loupé quelque chose. Et puis l'originalité mécanique est toujours aussi séduisante et c'est avec les années un trait de caractère qui me séduit de plus en plus. Mazda, c'est un petit peu le Citroën japonais, il y a un parti pris assumé pour faire les choses différemment, et s'y tenir, qui est véritablement rafraîchissant en ces temps d'uniformité universelle. Le transformer ensuite en succès commercial est cependant un autre problème. Et ça ne concerne pas que le moteur rotatif. Rappelez-vous la Xedos 9 avec son V6 à cycle Miller, fantasme ultime de François Chapus. Ou encore la MX5, sortie à une époque où plus personne ne misait sur les petits roadsters. Et dernièrement le programme Skyactiv, prenant totalement à contre-pied la course à l'armement des autres constructeurs avec un retour à la simplicité permettant notamment, véritable tour de force, de proposer des motorisations diesels sans pièges à Nox respectant les normes Euro 6.
Avec la disparition de la RX-8 du catalogue français il y a déjà deux ans, tuée par les normes Euro 5, et sans remplaçante prévue à court terme, il semblait donc que je n'avais plus qu'à mettre un mouchoir sur mes regrets et remords. Mais c'était sans compter un ultime cours de rattrapage. Sachez qu'il existe encore quatre RX-8 R3 neuves en France, deux blanches et deux noires, et Mazda France me propose le volant de l'une d'entre elles pour un week-end. Pas n'importe lequel, celui des 24 Heures du Mans, avec au programme une rencontre intime et personnelle avec la reine elle-même, la 787B victorieuse de l'épreuve en 1991, dont la robe quiltée orange et verte ornait les murs de ma chambre d'adolescent. Autant dire que je ne me suis pas fait prier.
Avance rapide de quelques semaines et dure retour à la réalité avec cette bise de juin étrangement automnale. Eddy arrive enfin et nous voilà partis direction Saint Germain-en-Laye, fief de la branche française de Mazda, sous un léger crachin. Elles sont alignées toutes les quatre bien sagement dans le parking, l'occasion d'en faire à nouveau le tour. Selon moi, le restylage en milieu de vie lui a fait beaucoup de bien et j'apprécie particulièrement les lignes latérales se terminant à l'avant dans l'alignement du capot, faisant sortir visuellement les ailes de la carrosserie. On dirait presque un Chrysler Prowler en fait, en plissant les yeux et avec un peu d'imagination. Et difficile de s'en lasser tant les ventes ont été faibles, puisque de 2003 à 2011, Mazda n'en a écoulé que 1 746, 732 en version 192 ch (4 ports d'admission), interrompue en 2008, et 1 014 en version 231 ch (6 ports d'admission), la nôtre. Son moteur Renesis à deux rotors de 654 cm3 chacun développe cette puissance maxi à 8 200 tr/min, avec une régulation à 9 000 tr/min, et 211 Nm au très haut régime de 5 500 tr/min. Son couple est à peine meilleur que celui d'une Honda S2000 (207 Nm à 7 500 tr/min) mais la RX-8, avec 1 354 kg à vide, n'est pas non plus un poids plume, ce qui donne des performances disons moyennes pour la catégorie : 0 à 100 km/h en 6,8 s et 27,8 s au 1 000 m DA.
Ses particularités ne s'arrêtent pas sous son capot, puis que la RX-8 a inventé le concept de coupé 4 portes bien avant que les commerciaux s'en saisissent : une fois les portes avant ouvertes, deux autres antagonistes facilitent grandement la montée à l'arrière, ou l'installation aisée d'un siège bébé. Et ce ne sont pas des sièges d'appoint que l'on y trouve, puisque quatre athlètes tels que moi peuvent s'y installer confortablement.
On me fait signe que l'heure tourne et que nous sommes attendus au Mans. Gentlemen, start your engines. Avec 160 km, ma RX-8 sent encore le neuf. L'intérieur n'est pas aussi original que l'extérieur, même si l'on remarque la jolie casquette au-dessus des compteurs et le levier de frein à main rappelant la Winchester à canon scié de Terminator II. Un peu de piano laqué, un peu d'alu, beaucoup de plastique, l'ensemble est sobre, à la limite du triste. Heureusement, on peut compter sur les fantastiques sièges Recaro, à la fois magnifiques et particulièrement efficaces pour soutenir mes poignées d'amour, afin d'égayer l'ensemble. Mais trêve de contemplation du mobilier, la caravane des dernières RX-8 neuves françaises s'est mise en branle et il convient de ne pas se perdre : signe d'une conception remontant à quelques années, aucun GPS, même en option, ne vous permettra de retrouver votre route. Pas de port USB non plus, tant pis, il faudra compter sur le Renesis pour se charger de la bande-son. Et force est de constater que, conformément à mes souvenirs, il se fait très discret et dépourvu de toutes vibrations. Nous sommes rapidement sur l'autoroute A11 et, à 130 km/h, les bruits d'air et de roulement, pourtant peu importants, couvre sans peine sa voix feutrée, même si le compte-tours à cette vitesse indique la bagatelle de 4 000 tr/min. À tel point qu'il faut toujours un œil sur le tachymètre si on n'utilise pas le régulateur : à 5 000 tr/min, régime auquel le bi-rotor fait à peine plus de bruit, on est quand même à 160 km/h... Avec une forte présence policière autour de la préfecture de la Sarthe pour accueillir les spectateurs un peu trop enthousiastes du pied droit, il convient donc de se méfier.
Avec un tel étonnant confort, Le Mans est rapidement en vue, mais nous choisissons de quitter l'autoroute pour les derniers kilomètres au profit de la nationale. Pour l'habitué de la MX5 que je suis, la patte de Mazda se retrouve rapidement dans le comportement de la RX-8, avec un châssis très sain réunissant un bon compromis d'efficacité et de plaisir, une direction faisant remonter des torrents d'information et une boîte de vitesses au maniement parfait. Le moteur nécessite pour sa part un apprentissage un peu long, tant son caractère diffère de ses homologues « à mouvement réciproque ». On dit souvent du Renesis qu'il est creux à bas régimes, et cette réputation n'est pas usurpée. En fait, la puissance arrive poliment en rang d'oignons, comme les rugbymen d'un hypothétique XV d'Hiroshima se présentant sur le terrain, et si le coup d'envoi du match n'arrive qu'à partir de 6 000 tr/min, il faut encore attendre jusqu'à 7 000 tr/min pour véritablement sentir tout le pack arriver d'un coup mais il ne faut pas le rater en clignant des yeux au mauvais moment parce que l'arbitre siffle la fin du match à 8 500 tr/min. À ces régimes atteints très rapidement grâce à une inertie inexistante digne d'un bouilleur de moto, on retrouve enfin la musique caractéristique du moteur rotatif hurlant à plein poumon. Mais toujours sans aucune vibration. Une expérience différente du moteur à explosion, une sorte de rencontre du troisième type que tout amateur de mécanique digne de ce nom devrait expérimenter au moins une fois dans sa vie.
Cette fois, nous y sommes, mais avant de fouler du pied cette terre sacrée, il faudra d'abord payer le prix fort : les encombrements incontournables pour accéder aux différents parkings. Heureusement, on peut compter sur les Anglais pour faire le spectacle et créer une atmosphère d'une convivialité fantastique, que ce soit en longeant les campings où sont déjà garées les plus fabuleuses et plus rares voitures de la planète au côté de tentes ridiculement petites, ou en sollicitant les automobilistes pour faire hurler les moteurs et patiner les roues. « You burn rubber, we drink » (si tu brûles du pneu, nous buvons) indique l'écriteau qu'agite devant mon pare-brise ce jovial et éclatant rouquin. Avec seulement 211 Nm à 5 500 tr/min et surtout un attaché de presse Mazda dans la voiture me suivant, je ferai malheureusement un déçu à la soif inassouvie. Le banc de l'autre côté de la route est plus chanceux, avec un compatriote en TVR Sagaris au bruit incroyable qui passe en crabe au ras de mon rétroviseur dans un nuage de fumée.
L'heure tourne, pas le temps de repérer exactement où je laisse ma RX-8 sur l'immense parking, j'ai rendez-vous avec une légende. Elle est là, je la sens, j'ai les genoux qui tremblent et la gorge sèche comme avant de revoir un vieil amour de jeunesse. Malgré ses couleurs chamarrées, on entend la Mazda 787B bien avant de la voir. Son ralenti hésitant caractéristique se transformant en hurlements suraigus hystériques à la moindre sollicitation de l'accélérateur peut être comparé à une variété d'outils allant de la tronçonneuse à la scie circulaire. Beau, peut-être pas, mais évocateur à en filer la chair de poule instantanément, ça, c'est certain. Quel bonheur de la voir s'élancer dans la voie d'accélération de ce circuit sur lequel elle est montée sur la plus haute marche du podium il y a déjà 22 ans, avant de repasser dans la ligne droite, son quadrirotor de 700 ch volontiers cracheur de feu tournant à plein régime, dans une vague sonore presque douloureuse se répercutant dans les gradins. Plusieurs autres voitures ayant marqué l'histoire de la course sont à ses côtés, mais aucune n'a son charisme et son aura.
Une fois que les anciennes ont repris le chemin de leur maison de retraite amplement méritée, c'est au tour des petites jeunes de les remplacer, soufflant au passage les 90 bougies de l'épreuve. Mais en voyant passer une Audi R18 e-tron Quattro à pleine charge, j'ai l'impression d'avoir l'image sans le son.
Sur le chemin du retour direction Paris, il est temps de convenir d'une sorte de conclusion sur le cas RX-8. Mais avant ça, je dois obtempérer à l'injonction d'un jeune homme habillé de bleu qui m'invite d'un geste saccadé à faire une pause sur le parking juste après le péage. Mon premier contrôle d'identité depuis 2002, ça se fête. C'est visiblement le lot de tout ce qui ressemble de près ou de loin à une voiture de sport, puisque je viens me ranger derrière une Corvette C6 Z06 et que je suis suivi de près par une BMW M3 E46. Le concept de prêt constructeur semble assez étrange pour mon gendarme : « vous voulez dire qu'ils vous la passent gratuitement ? ». Eh ouais mon pote, j'imagine que tu ne paies pas non plus pour rouler dans ton Trafic à guirlande lumineuse.
L'incident terminé, reprenons. Est-ce qu'elle n'aurait pas subi une erreur de casting, cette RX-8, en étant classée d'office dans la catégorie restrictive des sportives à cause de ses 9 000 tr/min, sa propulsion, sa répartition des masses idéale à 50/50 et son différentiel à glissement limité ? Peut-être que si, puisqu'elle s'avère une routière remarquablement accomplie : confort, silence, absence de vibration et stabilité à toutes épreuves permettent d'aligner les kilomètres sans sentir la moindre fatigue, même si enlever un pouce aux magnifiques jantes en 19 et un coffre un peu plus grand que 290 litres ne seraient pas de refus pour en faire un outil transcontinental parfait.
Enfin « parfait », quel que soit le premier rôle qu'on veuille bien lui donner, il reste tout de même un défaut majeur. La légende veut que la Mazda RX-8 soit un peu portée sur la boisson. C'est faux. C'est un ivrogne ceinture bordeaux au foie fluo, un pilier de bar au nez piqué comme une fraise, un trou sans fond. Durant ce week-end, j'ai fait précisément à son volant 737,2 km qui ont nécessité 106,66 litres de Sans-plomb 98, ce qui fait une moyenne de 14,47 l/100 km. Certes, on peut me reprocher une conduite très enthousiaste juste pour le plaisir d'entendre le bip au passage des 8 500 tr/min, mais un retour du Mans par l'autoroute à 130 km/h au régulateur s'est soldé par un sévère 12,8 l/100 km. C'est 2 dl de plus qu'une GT-R avec 550 ch et une transmission intégrale sur un exercice similaire, ce qui n'est pas une surprise, puisque, sur le papier, la Nissan émet 275 g de CO2 par km, contre 299 pour la Mazda.
Est-ce que cette soif insatiable sera un clou définitif au cercueil du rotatif en ces temps vert foncé ? Une conversation avec Philippe Geffroy, président de Mazda France, laisse penser que le constructeur d'Hiroshima n'est pas prêt à jeter à l'éponge, et parle d'une nouvelle RX-7 Skyactiv en 2017. On ne pourra pas lui reprocher son manque de pugnacité.
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Twitter : @ PierreDdeG
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